Les associations marocaines en région bruxelloise

(extrait de: Abdellatif SAIDI, Les stratégies des associations marocaines bruxelloises: une comparaison avec les Noirs Américains et les Franco-Maghrébins, mémoire non publié, Namur, juin 1997)

Introduction

L'importation de main d'oeuvre étrangère en Belgique après 1945, puis la politique de regroupement familial, au départ partiellement motivée par la crainte du déclin démographique de la population autochtone, ont eu pour effet de créer dans ce pays de nouvelles minorités ethniques, de moins en moins "immigrées" parce que de plus en plus composées de personnes nées en Belgique, de moins en moins "étrangères" par l'acquisition croissante de la nationalité belge.

Evolution du nombre de Marocains en Belgique (source : Institut National de Statistiques)

          Hommes    Femmes        Total

1961         111              8          119

1967      12.865        502     13.367

1977      44.442    36.546    80.988

1996      75.138    65.165   140.303

Répartition des Marocains en Belgique en 1996 (source : I.N.S.)

Bruxelles   Wallonie   Flandre     Belgique

74.070      20.405     45.828      140.303

Au fil du temps, les étrangers qui sont venus s'établir en Région bruxelloise ont ressenti le besoin de se regrouper au sein d'associations spécifiques afin de répondre à des besoins qui leur étaient propres (religion, rapatriement des corps, situation politique dans le pays d'origine) et qui n'étaient pas rencontrés par les associations autochtones existantes. Dans certains cas, ces associations ethniques ont été mises en place sous la houlette des ambassades et des consulats, ou d'organisations des pays d'origine, mais très rapidement des immigrés se sont organisés eux-mêmes, et ont par là-même posé les premiers jalons de l'élaboration d'une ethnicité belgo-marocaine au sein de la société belge.

Aujourd'hui, parmi ces communautés bruxelloises d’origine étrangère, la plus importante numériquement est la marocaine, représentant entre 8 et 10% de la population. Cette communauté, encore principalement "étrangère" sur le plan de la nationalité - beaucoup moins sur le plan linguistique pour ses membres scolarisés en Belgique -, l'est peut-être encore plus en raison de sa religion musulmane.

La communauté musulmane, reconnue depuis 1974 par l'Etat belge, théoriquement au même titre que les autres communautés confessionnelles ou philosophiques, n'a jamais reçu les moyens financiers à laquelle elle a droit, alors que ce même Etat donne à l'Eglise catholique 98% du budget total alloué à la gestion des cultes.

De même, alors que la population originaire du Maroc est, dans sa quasi-totalité, établie en Belgique depuis plus d'un quart de siècle, ou y est née, elle est encore obligée de "rapatrier" ses morts dans son "pays d'origine" parce que les autorités de son "pays d'accueil" n'ont pas su, ou n'ont pas voulu, prévoir dans la législation fédérale et dans la gestion communale des cimetières la possibilité pour les Musulmans d'y être enterrés conformément à leurs rites. Il est à cet égard significatif que la première association créée par des Marocains à Bruxelles ait eu pour objet initial l'assistance mutualisée aux familles pour le "rapatriement" de leurs morts.

L'enseignement de la langue arabe, théoriquement prévu dans les écoles francophones comme troisième langue étrangère (1), en est resté totalement absent, mises à part quelques "expériences-pilotes" (2), ce qui en a laissé le monopole aux mosquées et aux écoles coraniques, dont la vocation pouvait laisser supposer l'occultation de la culture arabe dans ses aspects non musulmans (3), voire laïcs.

Les Marocains dans les syndicats (4)

Depuis toujours, le syndicalisme belge tente d’obtenir des pouvoirs publics une politique d’immigration cohérente. Il dénonce le manque de volonté et de décision qui permettrait de garantir le séjour, la sécurité et les droits des étrangers. Dans les années ’80, les syndicats se sont opposés au durcissement des mesures gouvernementales de la coalition au pouvoir de MARTENS-GOL.

L’intégration des étrangers dans le mouvement ouvrier a toujours fait partie des préoccupations des syndicats, en dépit de leur attitude initiale de refus, puis de leur souci de voir contrôler l’immigration. Face à l’arrivée contingentée des immigrés, la CSC et la FGTB ont toujours adopté une double attitude. Il s’agit d’une part de défendre les droits des travailleurs, belges comme immigrés, (salaires, sécurité sociale etc.) et d’autre part de garder une maîtrise des flux en participant aux discussions qui fixent les contingents et les conditions d’embauche.

Les Marocains, très rapidement, furent notamment regroupés au sein de sections arabes par les deux principales organisations syndicales, mais intégrés au sein de commissions pluriethniques des travailleurs immigrés à la FGTB, seule subsistant la section arabe de la CSC. La commission de la FGTB de Bruxelles s'est par la suite transformée en "commission immigration", avec une mise à l'écart de fait des éléments principalement communistes ou communisants d'origine espagnole, turque et marocaine. La section arabe de la CSC a quant à elle quasiment disparu, la question de sa suppression étant posée pour fin 1997, date du départ à la retraite de son permanent national. Les militants syndicaux d'origine étrangère sont désormais considérés comme intégrés aux structures syndicales de base et aux centrales professionnelles, et la question de leur regroupement ne semble plus se poser, du moins pour les instances syndicales bruxelloises.

Naissance de la première génération d’associations

Notons d’abord qu’entre 1972 et 1976, quelques centaines d’étudiants ont rejoint leur famille et leurs amis afin de poursuivre des études secondaires, supérieures ou de chercher un travail. Beaucoup d’entre eux venaient de vivre au Maroc des événements de révolte dans les lycées et les universités. La société marocaine était dans une crise sociale et politique importante (5).

C’est en 1972, à Bruxelles, suite à un accident de travail sur un chantier de construction où deux travailleurs marocains ont trouvé la mort qu’un mouvement de solidarité s’est créé en vue d’une collecte d’argent pour rapatrier les corps des défunts. La première association de travailleurs marocains voit le jour sous le nom de " Fonds de solidarité maghrébine ". C’est la volonté toute logique, dans la tête de chaque individu appartenant à la communauté maghrébine, que de permettre le retour des défunts en terre natale.

Cette association prend naissance grâce à l’action de quelques opposants au régime politique au Maroc, rejoints par d’autres Marocains militants dans les syndicats belges. Elle vivra environ deux ans au cours desquels de longs débats ont lieu en son sein pour un projet associatif dépassant cette première action collective.

En 1974, des actions ont eu lieu en faveur des travailleurs clandestins, pour lesquels la question de leur régularisation s’est posée après que la Belgique ait décidé l’arrêt officiel de l’immigration.

Cela va donner une occasion propice à l’émergence d’autres associations et organisations plus revendicatives et fortement marquées politiquement. Le groupe de militants qui se trouvait dans l’association " Fonds de Solidarité Maghrébine " va se scinder en plusieurs groupes. Chacun de ces groupes va donner naissance à des organisations, dont le " Regroupement Démocratique Marocain ".

Parmi les exemples types des plates-formes de ces différentes associations, il est intéressant de relever un extrait de celle du RDM (Regroupement Démocratique Marocain) :

" La situation de notre pays [le Maroc] ne cesse de se dégrader dans les domaines politique, économique et social. Les masses laborieuses et pauvres, dans un climat d’inexistence de démocratie et de répression, ne cessent de faire l’objet d’une exploitation de plus en plus accentuée. L’immigration des travailleurs marocains en Belgique est une conséquence directe de cette situation maintenue et entretenue par l’impérialisme international pour son propre profit et pour celui de ses alliés locaux. La répression et l’exploitation qui ont conduit à l’émigration restent les causes réelles de l’ensemble des problèmes d’ordre général ou particulier que connaît la communauté marocaine en Belgique ".

Pour cette organisation, l’action devait être essentiellement orientée vers le pays d’origine dont les autorités étaient tenues pour responsables de la problématique de l’immigration. Quant aux problèmes liés au travail, à l’habitat et aux relations avec les administrations, ils étaient laissés délibérément aux syndicats et aux nombreux services sociaux mis sur pied par les Belges.

D’autres organisations ont été créées par des opposants au régime comme l'Union Nationale des Etudiants du Maroc, principalement animée par des étudiants universitaires venus du Maroc, ou l'Association des Marocains de Belgique pour les Droits de l'Homme, regroupant d'anciens militants de gauche et d'extrême-gauche, pour la plupart des personnes initialement arrivées en Belgique comme étudiants, ainsi que quelques militants issus de l’immigration ouvrière. Ces associations, en particulier l’UNEM et l’AMBDH, ont connu à plusieurs reprises des crises internes, tant à cause de conflits de personnes que par rapport à des conflits idéologiques calqués sur ceux de l’extrême-gauche au Maroc (question du Sahara, évaluation de la démocratisation du régime,...).

Les mouvements liés au régime marocain

Dès 1975, les gouvernements des pays d’origine ont pris des initiatives et ont incité, par l’intermédiaire de leurs ambassades et consulats respectifs, à la création d’associations qu’on appellera " amicales des travailleurs et commerçants en Belgique " ; l’Amicale des Algériens, l’Amicale des Tunisiens, l’Amicale des Marocains. C’est à cette date qu’une conférence réunissant les ambassadeurs et consuls du Royaume du Maroc en Europe s’est tenue à Paris, et où il a été décidé clairement la mise sur pied des " amicales des travailleurs et commerçants marocains ".

Les objectifs des amicales consistaient à garder un certain contrôle sur leur communauté à l’étranger et de déployer les décisions politiques du gouvernement marocains concernants directement les populations expatriées. Il s’agissait à la fois d’inciter les émigrés à continuer à " rapatrier " des fonds au Maroc, d’assurer un certain contrôle de ces populations pour le compte de l’Etat marocain, tout en fournissant des services sociaux, y compris par exemple dans la constitution d’asbl-mosquées.

Dans les années qui ont suivi se sont déployées d’autres associations proches des Autorités marocaines ou des partis de la droite marocaine tels que certaines mosquées, Radio Médi 1, l’Union des Associations d'origine Marocaine, le Comité Permanent des Associations Marocaines, le Conseil Consultatif de la Communauté Marocaine à l'étranger. Ces structures permettent à certaines personnes ou à certains groupes de se poser en interlocuteurs "représentatifs" face aux autorités marocaines, et parfois face aux médias belges.

Les associations issues de la "deuxième génération" :

Dorénavant, ces associations n’ont plus de caractère national ni régional comme c’était le cas avant, mais sont souvent collées à la réalité d’un quartier, d’une commune ou d’une ville.

L’esprit du " militantisme " volontaire qui a prévalu dans l’action des associations des années 70, a disparu pour laisser place à une gestion au quotidien des problèmes touchant au décrochage scolaire, à la formation professionnelle des jeunes et au travail, aux activités sportives et culturelles ...

Nous n’avons plus affaire à des mouvements qui drainent des populations entières et qui accrochent une partie de la communauté maghrébine liée par une sensibilité commune, des revendications et des préoccupations englobant la majorité, nous assistons à un morcellement des préoccupations qui ne va pas sans infléchir la qualité et le nombre des " membres " de ces associations à la baisse.

Remarquons encore que le statut de ces associations est lui-même différent, puisqu’il s’agit en majorité d’associations sans but lucratif (ASBL), ce qui leur donne une personnalité juridique aux yeux de la loi belge. La cotisation des membres est devenue négligeable pour la vie de ces associations ; toutes ou presque comptent sur les subsides que leur donnent les pouvoirs publics pour mener à bien leurs actions.

En région bruxelloise, il n’existe que deux associations subsidiées par la Communauté française gérées par des personnes d’origine marocaine ou maghrébine, c’est-à-dire dont la majorité des membres du conseil d’administration est de cette origine. Ces associations se veulent le plus souvent " interculturelles " et non ethniques, même si leur dénomination peut prêter à confusion (Jeunesse Maghrébine, Avicenne). Elles sont membres de la Fédération des Institutions Socio-Culturelles (FISC), qui fait partie intégrante de la Confédération des Jeunesses Socialistes.

Les médias ethniques

La radio a un impact important dans la communauté arabe de Bruxelles composée majoritairement de Marocains. Elle pénètre dans chaque famille où l’écrit (journaux, revue) est beaucoup moins présent. Elle remplit des fonctions multiformes comme celles de l’information, de la culture, du divertissement. En ce sens, on peut considérer qu’elle est un outil d’utilité publique.

"La question qui est dès lors posée est celle du monopole qu’un média comme la radio peut exercer sur une communauté, évidemment traversée par différentes tendances. Il est normal que celles-ci trouvent leur expression au sein des médias existants. Des équilibres doivent donc être trouvés pour rencontrer les communautés dans leurs multiples facettes : culturelles, religieuses, politiques, questions de générations. En bref, la question du pluralisme interne à la communauté se pose." (6)

Sur la même longueur d'ondes en F.M. coexistent quatre radios indépendantes (Al Manar, Al Watan, Médi I, As Salaam), dont une (Al Manar) est le résultat de l'association de trois "anciennes" radios libres (Médi Inter, Culture 3, El Wafa). Au départ donc, la "Fréquence Arabe de Bruxelles" ne comptait pas moins de six radios sur une même longueur d'ondes, avec chacune son financement propre via la publicité commerciale, et ses propres locaux pour la diffusion.

Il n'y a plus d'émissions à destination des allochtones sur les radios du service public francophone ou néerlandophone, sauf en Wallonie ("Voisins, Voisines", sur Fréquence Wallonie). Néanmoins, une émission d'information, "Houna Brouksîl" (Ici Bruxelles), présentée notamment par le journaliste marocain francophone Ahmed OUBARI , était diffusée en ondes moyennes et en ondes courtes par la BRTN internationale jusqu'en novembre 1997, date à laquelle la rédaction arabe fut supprimée.

A la télévision de service public francophone, la RTBF, il subsiste une émission présentée par la journaliste marocaine Khiti BENHACHEM, "Sindbad". Du côté néerlandophone, l'émission "Babel", à destination des Turcs et des Marocains, avait été remplacée par une émission multiculturelle à audience plus large, en néerlandais cette fois (Babel était bilingue, arabe-néerlandais et turc-néerlandais) : "Couleur locale". Cette émission a également été supprimée en mai 1995. Par contre, l'émission religieuse musulmane dominicale de la chaîne néerlandaise NOS 1, qui aborde également des sujets sociaux, voire politiques, semble très regardée par le public musulman de Flandre, voire de Bruxelles (il s'agit d'une émission trilingue turc-arabe-néerlandais, les propos parlés étant systématiquement sous-titrés dans les deux autres langues).

Il existe un seul magazine paraissant plus ou moins régulièrement qui s'adresse principalement, en français, à un lectorat d'origine marocaine : Horizons Magazine.

En avril 1996, un magazine francophone maghrébin publié à Montréal, "Maghreb Observateur", a tenté de mettre sur pied une antenne à Bruxelles, mais cette tentative d'implantation a pris fin quelques mois plus tard en raison de problèmes d'organisation au Canada même. Plusieurs acteurs de la vie associative bruxelloise avaient manifesté leur intérêt pour cette initiative, mais le député bruxellois Mostafa OUEZEKHTI avait déclaré au rédacteur en chef canado-marocain Abderrahim KHOUIBABA lors d'un passage de ce dernier à Bruxelles en avril 1997 qu'il ne pourrait espérer qu'un lectorat de quatre ou cinq cents personnes, surtout des étudiants universitaires venus du Maroc, en concluant que "de toute façon, les Marocains ne lisent pas" (8).

La participation des Marocains à la politique bruxelloise

Dans les années septante, plusieurs communes bruxelloises mirent sur pied des "conseils consultatifs communaux des immigrés" (CCCI), sous l'impulsion notamment du FDF. Si certains de ces conseils étaient élus, d'autres ne comptaient que des membres choisis par les autorités communales au sein du milieu associatif local. La représentativité des CCCI a souvent été mise en doute en raison du peu d'intérêt manifesté par les populations concernées, notamment lors des scrutins électoraux. Par ailleurs, sous réserve d'une analyse plus approfondie, leur efficacité et leurs réalisations concrètes ne semblent pas avoir laissé des souvenirs inoubliables, de l'avis même d'anciens "conseillers consultatifs" ou d'autres acteurs sociaux de l'époque.

Très tôt pourtant, des militants syndicaux principalement marocains ont rejoint le Parti socialiste et le Parti social-chrétien, selon leur affiliation syndicale.

Mis à part quelques candidatures isolées dans les années septante et quatre-vingts (notamment de Libanais, de Chinois, de Vietnamiens (9)), l'arrivée significative et médiatisée de Marocains et d'autres Maghrébins sur la scène politique bruxelloise date des législatives de 1991.

Il faut rappeler ici que la revendication du droit de vote et d'éligibilité des non Belges aux élections communales, initiée par certains à la fin des années soixante, n'avait connu que des succès éphémères auprès de certains partis, avant d'être mise au frigo au début des années quatre-vingts, avec la coalition MARTENS-GOL. Néanmoins, une des "lois GOL", adoptée en 1984 et d'application deux ans plus tard, attribuait la naturalisation automatique aux jeunes dont un des parents était déjà détenteur de la nationalité belge (10), étendu par la suite à tout enfant dont un parent est lui-même né en Belgique, quelle que soit sa nationalité.

Une loi votée en 1995 a quant à elle accéléré les procédures d'option et de naturalisation, mais certains obstacles subsistent encore, ce qui pousse certains partis et organisations à demander l'adoption d'une loi octroyant l'une ou l'autre forme d'accession automatique à la nationalité belge, soit sur demande formelle de l'intéressé(e) (sans enquête policière et judiciaire notamment), soit d'office, avec possibilité de la refuser.

Par ailleurs, dès les années quatre-vingts, un certain nombre de militants et de travailleurs sociaux marocains, surtout des personnes arrivées en Belgique sous statut étudiant, souvent marié(e)s à des non-Marocain(e)s, demandèrent et obtinrent la nationalité belge, malgré l'attitude hostile à cette démarche du roi Hassan II et des organisations qui étaient inféodées au régime marocain. Celles-ci semblent avoir adopté une nouvelle position entre temps, comptant sur la constitution d'une sorte de "lobby marocain" en Europe, pouvant influencer la politique des états européens vis-à-vis du Maroc.

Acquisition de la nationalité belge par les Marocains (source : I.N.S.)

                           1985     1986-91  1992    1993    1994      1995     Total

Marocains             3.464   10.544    8.682   5.500   8.638    9.146     44.164

toutes nationalités 83.421   53.560  46.485 16.379  25.787  26.129   251.761

En 1991, plusieurs partis (PS, PSC et Ecolo) estimèrent donc qu'il devenait intéressant de présenter des candidats d'origine marocaine, dont l'un fut élu au conseil provincial du Brabant (11). Assez significativement, il s’agissait d’une personne initialement arrivée en Belgique pour y poursuivre des études universitaires, donc ni un " travailleur immigré " de la première génération ni un " jeune de la deuxième génération ". Les récentes "émeutes" de Saint-Gilles, Forest et Molenbeek, mais aussi l'"exemple français" des municipales de 1989, contribuèrent à cette nouvelle approche des Marocains, ou des Maghrébins, en région bruxelloise, désormais considérés comme acteurs potentiels de la vie politique, et surtout comme électorat pouvant être capté par des candidats de même origine.

Il faut rappeler qu'aux Pays-Bas le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales avait permis, dès 1986, à une cinquantaine d'élus d'origine ou de nationalité étrangère d'entrer dans les conseils municipaux (12). En France, ils étaient environ cent cinquante en 1989 (13), en raison notamment des facilités d'acquisition de la nationalité française pour les anciens colonisés ("réintégration" de la nationalité pour les personnes nées avant l'indépendance et résidant légalement en France ) et pour les jeunes nés en France ("droit du sol").

Suite aux élections communales de 1994 et régionales de 1995, le nombre d'élus directs ou indirects d'origine maghrébine à Bruxelles est passé de un à dix-sept (dont un Tunisien et une Algérienne). En tout, ils sont désormais sept socialistes, six écologistes et deux FDF, plus deux élus indirects dans des conseils de CPAS. Néanmoins, il est intéressant de noter que deux élus Ecolo ont par la suite (respectivement début 1995 et mi-1996) abandonné à la fois leur mandat et ce parti, et qu’un élu CPAS siège depuis peu comme indépendant, après avoir quitté le FDF. Par contre, un suppléant Ecolo a été appelé à siéger en 1997 à Watermael-Boitsfort, commune hors des zones de concentration de la communauté marocaine.

" Un seul élu (né en 1953) sur dix-huit (15)relève de la première génération de migrants , huit de la deuxième génération (nés en Belgique ou arrivés à un âge préscolaire, entre 1959 et 1969) et neuf sont initialement venus en Belgique pour y poursuivre des études (nés entre 1946 et 1956). Huit de ces derniers ont obtenu des diplômes universitaires ou supérieurs non universitaires (trois en sciences appliquées, cinq en sciences humaines), comme quatre de la deuxième génération (tous en sciences humaines). Dix élus travaillent dans le secteur social associatif ou public, trois dans des entreprises publiques, deux dans l’enseignement, un dans un cabinet ministériel et deux dans le secteur privé (un employeur et un employé). " (16)

La question de l'autonomisation politique des Marocains de Bruxelles s'est posée tant vis-à-vis d'éventuelles "listes ethniques"  (17) qu'à l'égard des candidats d'origine marocaine sur les listes des partis "belges", lesquels se sont publiquement (dans les médias "belges") défendus d'être des "candidats ethniques" visant un "électorat ethnique", tout en étant largement présents lors de débats ou d'interviews sur les ondes des radios arabes de Bruxelles. Ce double langage persiste d'ailleurs actuellement et peu nombreux sont les élus d'origine marocaine qui reconnaissent devant des interlocuteurs non marocains leur spécificité et celle de leur électorat.

Le Mouvement Européen pour la Reconnaissance des Citoyens, en ce compris ceux issus de l'Immigration (M.E.R.C.I.)

Un seul mouvement "ethnique", ou plutôt "pluriethnique" (car il comptait aussi des non-Marocains), MERCI, a présenté des listes lors des élections communales de 1994. Ce mouvement avait été créé un an plus tôt par des personnes d'origine marocaine ayant milité auparavant au PRL (Mohamed CHATER) ou au PS (Abderrahim IZZIRI et Farid KESSAS e.a.). IZZIRI et quelques autres étaient issus de l'association Belgique Plus, une des scissions de Démocratie Plus (tentative de clonage de France Plus), qui avait parrainé des candidats d'origine maghrébine sur les listes du PS, du PSC et d'Ecolo en 1991. CHATER était issu de l'association Trait d'Union, une autre scission de Démocratie Plus. Ces militants avaient été déçus de l'attitude à leur égard dans leurs partis. MERCI n'a pas survécu à son échec électoral (moins de 1% des voix dans chacune des quatre communes où il s'était présenté. L'initiative avait été condamnée par communiqué de presse par l'Union des Associations d'origine Marocaine, mais soutenue par le Comité Permanent des Associations Marocaines et par son président, par ailleurs rédacteur en chef d'Horizons Magazine, auquel collabore régulièrement Mohamed CHATER.

Le Comité National pour le Suffrage Universel

Début 1996, dans la perspective d'une mise en conformité de la législation belge aux mesures prévues dans le traité de Maastricht, des militants associatifs et politiques d'origine non européenne (principalement marocaine) ont mis sur pied, en Flandre, un Comité National pour le Suffrage Universel. Celui-ci s'efforce de faire du lobbying vis-à-vis des partis politiques afin que, lors des élections communales de l’an 2000, les ressortissants d'Etats membres de l'Union Européenne ne soient pas les seuls bénéficiaires de l'extension du droit de vote et d'éligibilité au niveau communal. Quelques mois plus tard, des militants francophones bruxellois de même origine les ont rejoints et ont démarré une campagne de sensibilisation des élus, d'abord ceux d'origine étrangère puis les "autochtones".

Cette initiative, encore modeste et peu médiatisée du côté francophone, pourrait constituer l'ébauche d'un véritable groupe de pression politique pluraliste, les membres bruxellois du CNSU étant tous membres actifs, et parfois élus, du PS, d'Ecolo, du PSC ou du FDF. Afin de rendre cette revendication plus concrète aux yeux notamment de la population concernée, le CNSU a souligné dans ses tracts l'importance de l'échelon politique communal tant pour des problématiques spécifiquement "ethniques" (taxes sur les antennes paraboliques, non accès des chaînes arabes, turques, grecques ou albanaises sur le câble, carrés ou cimetières musulmans) que sociales (discriminations dans l'accès au logement social, absence de consultation sur des projets d'aménagement du territoire).

Les Marocains et la Communauté flamande

Depuis quelques années, la Communauté Flamande mène une politique de soutien aux regroupements d’organisations ethniques d'"allochtones", y compris en Région bruxelloise, reconnaissant par exemple comme interlocuteurs officiels des fédérations d'associations allochtones, dont deux marocaines (18) et une regroupant essentiellement des enseignants ou ex-enseignants de religion islamique (19). Cette politique n’est pas du tout suivie du côté francophone, où sont privilégiés les réseaux d’associations liés aux familles politiques traditionnelles.

Néanmoins, une aide spécifique aux associations ethniques allochtones existait déjà de la part d’organismes officiels flamands, notamment en région bruxelloise. Une association ethnique de deuxième génération, principalement " francophones ", l’Association des Jeunes Marocains à Molenbeek, a choisi de se faire subsidier par la communauté flamande peu après sa création en 1980. Son responsable explique ainsi cette option :

" L’OCGB [Centre néerlandophone d’accueil pour travailleurs immigrés à Bruxelles] avait mené une campagne d’information dans plusieurs communes, et donc aussi à Molenbeek, en expliquant aux jeunes immigrés quelles sortes d’aide ils pouvaient obtenir pour développer des projets. Il y a eu aussi des contacts avec les francophones, mais ils n’ont débouché sur rien de concret. Alors on s’est dit " Voilà une organisation qui veut nous aider, qui a les mêmes intérêts que nous. On y va. " Le problème linguistique ne se posait pas en des termes aussi virulents. " (20)

Conclusion

Alors que les minorités noire américaine et franco-maghrébine bénéficient d'une tradition d'auto-organisation depuis plusieurs dizaines d'années, la minorité marocaine en Région bruxelloise n'a commencé à s'organiser qu'il y a un quart de siècle, et souffre encore aujourd'hui de l'absence d'organisations suffisamment représentatives.

Les premières associations se distinguaient soit par rapport à un militantisme de gauche tourné vers la situation sociale et politique au Maroc, soit par rapport à l'allégeance au régime marocain.

Les associations de la deuxième génération, largement composées par des travailleurs sociaux, entre autres Marocains, se sont plus préoccupées d'élaborer des projets liés au traitement social de la paupérisation de la communauté, principalement faire face au décrochage scolaire et offrir des activités à des jeunes désorientés et de plus en plus exclus.

Les associations islamiques ont quant à elle « récupéré » ces mêmes jeunes (et moins jeunes) vers une action collective basée sur l’identité musulmane et non simplement sur base d'activités subsidiées de type occupationnel s'insérant dans le cadre de politiques des autorités belges ("intégration-cohabitation", "F.I.P.I."). Les revendications ne se placent plus en terme d’adaptation à la majorité belge pour revendiquer une participation dans la société, mais plutôt dans une forme de radicalisation identitaire poussée jusqu'à refuser une participation construite sur le modèle culturel occidental.

Néanmoins, on constate, plus récemment, une nouvelle politique du Maroc à l'égard de ses "émigrés", tant par le biais d'organisations non spécifiquement religieuses (le Conseil consultatif des Marocains) que par celui de structures islamiques non spécifiquement marocaines (cf. l'invitation de Yahya MICHAUX au Maroc pendant le Ramadan).

La participation politique des Marocains bruxellois constitue un phénomène nouveau depuis les élections de 1994 et 1995, grâce à l'acquisition croissante de la nationalité belge. La partie de cette communauté qui n'est pas encore "devenue belge" reste pour le moment totalement écartée de la prise de décision politique, ce qui créera probablement des frustrations quand, lors des élections communales de l'an 2000, les seuls étrangers "européens" bénéficieront des droits de vote et d'éligibilité. Plusieurs dossiers intéressant spécifiquement les Marocains, ou les Musulmans, dépendent en effet des autorités communales, souvent sensibles à l'électorat qu'elle pourrait mobiliser par leur résolution. Citons pêle-mèle la question des carrés ou des cimetières musulmans, les quotas de "non-Européens" dans les logements sociaux, l'accès dans des conditions égales de chaînes de télévision en langue arabe sur le câble. Par ailleurs, un récent rapport établi par des géographes et des urbanistes flamands a souligné la réticence des autorités communales à mener des politiques de rénovation des voiries et des immeubles dans les quartiers où la majorité de la population ne dispose pas du droit de vote, et représente donc un investissement politiquement moins intéressant.

Annexes

Liste (non exhaustive) d'associations marocaines par catégorie

· les organismes officiels marocains : Amicales des travailleurs et Commerçants Marocains, Fondation Hassan II,

· les organisations importées du Maroc : syndicats (CDT, UNEM), partis (Istiqlal, USFP, Mouvement populaire, Ilal Amam, Mouvement du 23 mars)

· les mouvements liés au Maroc : mosquées, Union des Associations d'origine Marocaine, Comité Permanent des Associations Marocaines, Radios (Médi 1, Médi Inter), Conseil Consultatif de la Communauté Marocaine à l'étranger

· les mouvements créés par des (anciens) opposants au régime marocain : Fonds de Solidarité Maghrébine, Organisation des Travailleurs Progressistes Marocains, Dar El Maghreb, Rassemblement Démocratique Marocain, Al Hijra, Hadjitkoum, Association des Marocains de Belgique pour les Droits de l'Homme, Démocratie Plus, Al Baadil, "Groupe Ouslikh", Forum des Citoyens d'origine maghrébine (1995-)

· les associations issues de la "deuxième génération" : Jeunesse Maghrébine, Association des Jeunes Marocains, Avicenne, Football Club Etoile Marocaine, Football Club Atlas, Radio El Wafa, Etoile du Nord-Oasis

· les mouvements et organisations islamiques interethniques et "internationalistes" : mosquées, Scouts Musulmans, Conseil Supérieur des Musulmans de Belgique,

· les organisations marocaines "flamandes" : la Federatie Marokkaanse Democratische Organisaties (Fédération des Organisations Démocratiques Marocaines), la Federatie Marokkaanse Verenigingen (Fédération des Associations Marocaines), la Vereniging voor Ontwikkeling en Emancipatie van Moslims (Association pour le Développement et l'Emancipation des Musulmans, ex-Fédération des Professeurs de Religion Musulmane), la Vereniging Integratie en Participatie (Association pour l'Intégration et la Participation)

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Notes

1) en Région bruxelloise, après le néerlandais et l'anglais, et au même titre que l'allemand, le russe, l'espagnol ou l'italien

2) dans les écoles communales d'Etterbeek et de la Ville de Bruxelles, ainsi qu'à l'Athénée Royal de Saint-Gilles

3) la littérature arabe comprend de nombreux auteurs chrétiens, voire même juifs, de langue et de culture arabe, sans parler des laïcs ou des athées d'origine musulmane

4) Renée DRESSE, "L'action des syndicats", in: Marie-Thérèse COENEN et Rosine LEWIN, La Belgique et ses immigrés. Les politiques manquées, Bruxelles, De Boeck Université, 1997

5) A ce sujet, signalons qu’en 1973, un mouvement de grève a eu lieu dans les lycées dans tout le pays. Il dura 6 mois, et l’année scolaire fut considérée comme ‘ année blanche’ (tout le monde redoubla).

6) Thérèse MANGOT , "Insertion sociale et expression culturelle. La politique de la Communauté française"; in: Marie-Thérèse COENEN, Rosine LEWIN et al., La Belgique et ses immigrés. Les politiques manquées, Bruxelles De Boeck Université, 1997, p.200

7) qui produit par ailleurs depuis plusieurs années l'émission Al Muhajjir diffusée sur Radio Al Watan (Fréquence arabe, créée par des opposants tunisiens de tendance panarabe) et sur Radio Air Libre (inter- et multiculturelle)

8) cette rencontre avait eu lieu à l'initiative de Pierre-Yves LAMBERT, qui y a assisté

9) bien que quelques candidats d'origine marocaine ou turque aient été présentés sur les listes Ecolo aux élections communales de 1988; en Flandre et en Wallonie, trois Marocain(e)s avaient été élu(e)s ou appelé à siéger comme suppléant (deux écologistes et un CVP)

10) cette mesure doit être replacé dans le contexte d'enlèvements d'enfants issus de couples mixtes par le parent étranger

11) Aziz BEN OTMANE, ancien membre du PS présenté par Ecolo comme tête de liste dans le district d'Ixelles

12) Jan RATH, "Les immigrés aux Pays-Bas", in O. LE COUR GRANDMAISON et C. WITHOL DE WENDEN (collectif), Les étrangers dans la Cité. Expériences européennes, Paris: La Découverte, 1993, p.145

13) estimation du chercheur Vincent GEISSER, inférieure aux cinq cents revendiqués à l'époque par France Plus, cf. Philippe BERNARD, "Les élus de l'immigration vont être plus nombreux", Le Monde 9/6/1995

14) à l'indépendance du Congo en 1960, le gouvernement congolais avait refusé une telle possibilité proposée lors des négociations avec le gouvernement belge

15) l’élu de Watermael n’a pas été comptabilisé ; le dix-huitième élu est d’origine albanaise, de deuxième génération

16) Pierre-Yves LAMBERT, "Candidats et élus d’origine extracommunautaire aux élections européennes, communales, régionales et législatives de 1994 et 1995 en Région bruxelloise", in : L’Année sociale 1995, Bruxelles, Institut de Sociologie de l’U.L.B., p.281

17) les listes flamandes à Bruxelles ou francophones en Brabant flamand n'étant, bien évidemment, jamais considérées comme "ethniques" !

18) Federatie Marokkaanse Demokratische Organisaties, basée à Bruxelles, et Federatie Marokkaanse Verenigingen, basée à Anvers

19) Vereniging voor Ontwikkeling en Emancipatie van Moslims (ex-Vereniging van Islamleerkrachten)

20) revue L'Antiraciste (Schaerbeek), "Histoire de l'AJM", n°49, automne 96

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ASSUMER SON PASSE, CONSTRUIRE SON AVENIR: POUR UNE REAPPROPRIATION DE L'HISTOIRE ASSOCIATIVE BELGO-MAROCAINE

Abdellatif SAIDI, éducateur (publié dans Nouvelle Tribune n°15, juin-juillet 1997)

Pendant longtemps, la problématique des immigrés marocains à Bruxelles a été abordée sous l’angle de l’ "intégration" à la société d’accueil. Aujourd’hui, de plus en plus, les immigrés vivent sur le territoire belge, dans la société belge, depuis vingt, trente ans ou plus, ou y sont nés. Dès lors, convient-il encore de parler d’ "immigrés" ? Ne serait-il pas plus adéquat de considérer que la société belge comprend de nouveaux groupes humains, de nouvelles communautés ?

Dans cette perspective, la nécessité apparaît aujourd'hui de plus en plus pressante d'esquisser des comparaisons entre les stratégies des associations marocaines bruxelloises et celles d'autres communautés ethniques minoritaires souvent considérées comme exemples, ou contre-exemples, par les analystes: les Noirs américains et les Franco-Maghrébins. Les succès recueillis dans les salles bruxelloises, puis dans les vidéo-clubs, par des films décrivant l’expérience noire américaine (Malcolm X, "Boys in the Hood", etc.) ou des banlieues françaises ("La Haine", "Raï", "Le Thé au harem d’Archimède", etc.) ont largement témoigné ces dernières années d'un sentiment de proximité, voire d'identification, de nombreux jeunes Belgo-Marocains à l'égard de ces "cousins" plus ou moins éloignés.

Les Franco-Maghrébins et les Belgo-Marocains font partie du monde francophone, et ont donc été influencés dans leur développement individuel et collectif par les conceptions "anti-ethniques", "républicaines", qui voulaient que l’individu soit intégré au niveau d’une structure étatique globalisante, éventuellement via les structures traditionnelles de socialisation comme les syndicats, sans passer par des structures intermédiaires constituées sur base de l’origine ethnique ou nationale, voire "raciale".

Les Noirs américains ont vécu une situation de minorité nationale composée de citoyens américains, même de seconde zone, et non d’"étrangers". Ils se sont regroupés dans des organisations ethniques d’abord pour revendiquer l’égalité sur le plan juridico-politique. L’Etat américain a, de son côté, suite aux actions violentes et aux émeutes de la fin des années soixante, mis en œuvre des politiques d’intégration socio-économique après avoir reconnu, sous la pression des mouvements noirs non-violents des années cinquante et soixante, l’égalité des droits civiques. La Nation de l’Islam, mouvement ethniciste noir, c’est-à-dire fondé sur une construction identitaire noire basée sur une mythologie et des règles morales plus ou moins inspirées de la religion musulmane, a connu un essor important devant le constat d’échec de ces politiques d’intégration socio-économique.

De la même façon, en France et en Belgique, une tendance se dégage qui, prenant appui sur la marginalisation socio-économique, vise à construire une identité franco-maghrébine ou belgo-marocaine fondée sur une communauté musulmane qui n’était pas le référent identitaire au départ. Les associations de la première génération faisaient référence à l’appartenance à un pays d’origine, celles des années quatre-vingts à une mouvance progressiste autochtone "interculturelle", celles créées ou régénérées ces dernières années à une contre-identité par rapport à une société de moins en moins considérée comme "accueillante", tant en raison de la situation socio-économique de la population maghrébine que de la montée de la xénophobie à son encontre.

Dans le contexte international tel que présenté par les médias dans les années quatre-vingts et nonante, avec la diabolisation de l’Islam, la manifestation publique (port du foulard) et collective (associations islamiques) de l’appartenance à une communauté musulmane, en opposition affichée aux "valeurs occidentales" répondait à ce besoin de contre-identité par rapport à une société globalement perçue comme hostile. Les voyages de Louis FARRAKHAN au Proche-Orient procèdent de la même logique : s’afficher avec des dirigeants considérés comme des terroristes par le Département d’Etat, c’était provoquer le gouvernement " blanc " américain. L’engagement dans un réseau du GIA de Khaled KELKAL, jeune Franco-Maghrébin des banlieues, n’est-il pas, lui aussi, un signal de rupture avec la société française ?

Le risque serait que la société elle-même contraigne ces populations à s'enfermer dans un ghetto identitaire, en les déterminant d'office selon une origine ou une ethnicité imposée de l'extérieur: "si un individu veut s'intégrer dans la société (...) sans passer par le groupe ethnique, c'est son désir (...); s'[il] veut sortir de son milieu [ethnique ou familial], au nom de quoi l'en empêcherait-on ?"(1). Si aux Etats-Unis, on peut considérer que cette imposition est quasiment automatique pour les Noirs, la question reste posée pour les Maghrébins de France et de Belgique, même si cette tendance existe manifestement, sous l'influence notamment des médias et des partis d'extrême-droite.

Dans cette perspective, pour en revenir à Bruxelles, on peut considérer que le travailleur social, l’éducateur ou l’animateur bruxellois d’origine marocaine participe pleinement au processus de construction d'une identité belgo-marocaine, ou plutôt d'identités belgo-marocaines, tant à titre personnel que dans l’interaction avec ses collègues, ses employeurs et ses clients, quelle que soit leur origine d’ailleurs. Le regard de l’autre contribue en effet de toute évidence à la construction d’une identité sociale et culturelle, voire, dans le cas qui nous préoccupe, ethnique.

La connaissance du passé et du présent associatif de leur communauté, leur "mémoire collective", constitue un prérequis indispensable à la (re)construction d’une identité positive par ces acteurs sociaux belgo-marocains. Ceux-ci pourront à leur tour aider leur public cible à l’assumer et à la gérer, tout en ayant conscience des expériences d’autres communautés similaires dans d’autres pays, de leurs enjeux et parfois de leurs impasses. Dans une certaine mesure, "les travailleurs sociaux immigrés sont parfois des leaders qui ont voulu "se former", mais parfois aussi des travailleurs sociaux qui ont découvert l'importance de l'action collective" (2).

Il importe donc que les Belgo-Marocains impliqués dans le travail social concret s'engagent de plus en plus, au travers par exemple de travaux ou de mémoires dans le cadre de formations, pas nécessairement universitaires, dans la réappropriation de cette histoire associative marocaine bruxelloise, que ce soit par des études de cas ou par des études comparatives. Et que ces recherches soient largement diffusées auprès des personnes et associations concernées pour enrichir leur réflexion individuelle et collective sur ce que nous avons été, ce que nous sommes et ce que nous voulons être dans un avenir qui ne doit nous être dicté par personne.

Notes
(
1) et (2): Gilles Verbundt, "Les associations ethniques comme lieux d'intégration sociale", in: Carmel Camilleri et Margalit Cohen-Emerique, Chocs de cultures: concepts et enjeux pratiques de l'interculturel, Paris, L'Harmattan, 1989, p.160


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