Fatiha SAÏDI, députée régionale bruxelloise d'Ecolo
  1. Quand c’est vert… On marche ! ( Marche à Rabat pour le Plan d’action national pour l’intégration de la femme au développement)(paru dans Vert de Contact)
  2. 13 avril 2000 - Femmes maghrébines et discriminations - (Exposé à Liège- Asbl Trait d’Union)
  3. Le Plan National d’Action pour l’Intégration de la femme au développement : un instrument pour l’égalité et la démocratie ? (Intervention à l’ULB, le samedi 6 mai 2000
    Colloque «Changement politique au Maroc : mythe ou réalité ? ») 
  4. 27 mai 2000 - Les conséquences de la réforme de la moudouwana sur les femmes immigrées marocaines en Europe (Intervention à Alkmaar)
  5. autres interventions de Fatiha Saïdi

Quand c’est vert… On marche !

(paru dans Vert de Contact en 2000)

 

Le Maroc est secoué, aujourd’hui, par un débat qui oppose différentes sphères de la société (sociale, politique, religieuse, féministe…). Ce débat est motivé par le « Plan d’action national pour l’intégration de la femme au développement » qui a été présenté par Saïd Saâdi, Secrétaire d’Etat auprès du ministre du Développement social, de la Solidarité, de l’Emploi et de la Formation professionnelle chargé de la Protection sociale, de la Famille et de l’Enfance. Il devait en principe être ratifié par l’ensemble du gouvernement en date du 19 mars 99, mais cela n’a pas été le cas.

Le plan national pour l’intégration de la femme au processus de développement compte près de deux cents mesures visant à la promotion des droits de la femme marocaine. Il se décline en quatre «domaines prioritaires» :

 

L’alphabétisation

L’objectif général que se donne le plan est de promouvoir de façon significative l’alphabétisation des femmes. Le programme est ambitieux et espère atteindre le taux de 500.000 femmes par an, après atteinte d’une « vitesse de croisière » jugée à 250.000 femmes/an. Une attention particulière est accordée aux femmes rurales et différents acteurs sont impliqués dans le processus (chercheurs, acteurs locaux, ministères, ONG, employeurs…).

La santé reproductive

Le plan ambitionne de mettre en place une politique nationale en matière de santé reproductive visant à la sensibilisation et l’information du public. Pour ce faire, les radios et télévisions nationales et locales seraient les premiers vecteurs de transmission.

L’intégration des femmes au développement économique

Ce chapitre du plan se consacre à mettre en place des politiques pour lutter contre la pauvreté des femmes dans les couches de populations marginalisées et vulnérables. L’appel sera lancé au gouvernement afin qu’il augmente la part du budget consacré à la lutte contre la pauvreté. Des mesures spécifiques sont aussi envisagées pour les femmes handicapées, les femmes rurales, les femmes chefs de ménage…

Le renforcement des pouvoirs des femmes

C’est à coup sûr là que le bât blesse. Ce volet du plan aborde des problématiques liées au statut du code personnel en visant la révision du droit marocain que d’aucuns estiment sacré (car basé sur la « chari’a » loi musulmane). Si le plan est adopté et mis en œuvre par le gouvernement, la femme marocaine se verra jouir de droits véritables. Ainsi, la réforme du code du code du statut personnel vise à élever l’âge au mariage des filles à 18 ans, rendre la tutelle matrimoniale facultative pour les filles majeures, remplacer la répudiation par le divorce judiciaire, accorder à la femme divorcée la moitié des biens acquis pendant la durée du mariage…

Si le plan arrive à enrayer ces problèmes, les femmes marocaines vivant en Belgique en bénéficieront elles aussi. En effet, l’une des règles fondamentales du droit international privé est la loi de la nationalité qui régit toutes les questions relatives au statut personnel d’un(e) étranger(e). Ainsi, les femmes marocaines gardent leur nationalité d’origine et sont sous la dépendance légale de leur pays d’origine. Cela pose de nombreux problèmes juridiques qui trouvent leur source dans le conflit de lois et aujourd’hui, l’Etat belge n’a encore trouvé aucune solution satisfaisante quant à la répudiation, le rapt d’enfants (juridiquement appelé « legal kidnapping »).

La marche de tous les espoirs

Les femmes marocaines ont saisi l’opportunité de la Marche 2000 pour descendre dans la rue, investir un espace qui ne leur est pas toujours complètement réservé. Ce 12 mars, à Rabat,  elles ont décidé de revendiquer haut et fort leurs droits ainsi que la ratification et l’application du plan. Anne-Françoise Theunissen (députée bruxelloise ECOLO), Mirella Minne (députée régionale ECOLO), Eloi Glorieux et Christine Grauwels (députés AGALEV) et moi-même les avons accompagnées dans leur marche. Ce fut un moment de solidarité et d’échange intense qui resteront certainement gravés bien longtemps dans nos mémoires. Nous avons rencontré des femmes dynamiques, fières d’être femmes et de se battre pour leur dignité et leur plein accès à la citoyenneté. Bien évidemment, au-delà des changements de la loi, il reste la question fondamentale du changement des mentalités. Les femmes marocaines se battent aussi pour cette évolution qui devrait être relayée par les manuels scolaires, les médias… Sans compter de la représentativité politique des femmes dans les sphères décisionnelles. Aujourd’hui le Maroc compte deux secrétaires d’état féminines et seulement deux députées. Force est de constater dès lors que du pain sur la planche, il y en a…                      

Fatiha SAIDI

Députée bruxelloise


Exposé de Fatiha Saïdi

Liège- Asbl Trait d’Union

13 avril 2000

Femmes maghrébines et discriminations

En tant que femme d’origine marocaine, dans le cadre de cet exposé et sans prétendre à l’exhaustivité, je tenterai, ce soir, d’énoncer quelques discriminations fréquemment dénoncées. Mais avant toute chose, je tiens à souligner que tout en parlant de « la » femme immigrée ou issue de l’immigration, il n’est nullement question d’affirmer qu’il n’existe qu’un modèle de femme ou que le groupe des femmes immigrées ou issues de l’immigration est homogène. Ensuite, lorsqu’on parle d’immigration en Belgique, de quoi parlons-nous ? Et dans quel contexte sont arrivées les femmes ? Il me semblait aussi essentiel d’aborder le contexte historique pour appréhender de façon globale la problématique.

Nous sommes aujourd’hui au 21ème siècle, 50 ans après l’éclosion de la Déclaration Universelle des Droits humains, on ne peut ni se voiler la face ni faire l’économie d’un bilan objectif et d’un état des lieux liés à la position et au statut des femmes, de manière générale. Le constat est bien souvent insatisfaisant à de nombreux égards et les discriminations subsistent que ce soit au niveau de l’emploi, de l’égalité des salaires, de l’accès aux postes à responsabilité et plus particulièrement au champ politique. Dans le cas des femmes immigrées, ces difficultés et inégalités sont bien souvent modulées voire amplifiées par des paramètres linguistique, culturel et autres.

L’immigration en Belgique a débuté bien avant le début du 20ème siècle avec des étrangers arrivant principalement des pays voisins, « le coup d’envoi en est donné en 1923 lorsqu’une circulaire ministérielle motive l’embauche des mineurs italiens ». Ces premiers soubresauts migratoires sont freinés par la crise et le chômage des années 30. Ainsi, un arrêté royal rédigé en mars 1936 décrète qu’un travailleur étranger ne peut franchir la frontière s’il n’est pas porteur d’une licence émanant du Ministère du Travail ; de leur côté, les employeurs doivent demander des autorisation au ministère, afin de pouvoir embaucher du personnel étranger. Cette licence, à cette époque déjà, n’est accordée qu’en cas de carence de main-d’œuvre belge.

L’immigration reprend au même rythme que l’essor économique au lendemain de la deuxième guerre mondiale. A l’époque, le fond des mines s’est vidé de 45.000 prisonniers de guerre allemands qui ont été mis au travail et de nombreux Belges refusent ce travail rude et dangereux (FGTB, 1986). La Belgique qui décide de reconstruire son économie par le charbon, principale source d’économie, fait alors appel à la main-d’œuvre étrangère et plus particulièrement italienne.

L’accord passé en 1946 entre l’Italie et le gouvernement belge est rompu en août 1956 après le tragique accident de Marcinelles où, sur les 262 victimes, on dénombre 136 italiens (Chronique de la Belgique, 1987). Le gouvernement italien refus d’envoyer ses ressortissants dans les charbonnages sans garantie de sécurité et la Belgique fait alors appel à d’autres pays, dont la Grèce, l’Espagne et le Maroc (FGTB, 1986).

L’accord avec l’Italie devenu caduque, la baisse démographique analysée, et « la main-d’œuvre belge faisant défaut » (de Coorebyter, 1988, p.7) sont autant de raisons qui poussent la Belgique à faire appel à d’autres travailleurs étrangers, principalement en provenance de pays méditerranéens. C’est ainsi que la Belgique signera en novembre 1956 un accord avec l’Espagne et en juillet 1957 avec la Grèce. Ces accords assureront le recrutement d’environ 15.000 hommes. Entre 1958 et 1961, l’immigration est stoppée pour reprendre entre 1962 et 1965. Au cours de l’été 1964, appel est fait à la main-d’œuvre turque et marocaine. En 1969 et 1970, la Belgique signera aussi des accords avec la Tunisie et l’Algérie, mais c’est de loin le Maroc qui fournira le contingent le plus nombreux (La Belgique et ses immigrés. Les politiques manquées).

La Belgique et le Maroc signent le 17 février 1964 une convention pour l’envoi d’un contingent de travailleurs qui stipule, outre les modalités strictement pratiques (logements temporaires, …) une série de mesures sur lesquelles les deux gouvernement s’engagent (voir annexe 1).

Des travailleurs aux familles

La convention du 17 février 1964 est rapidement suivie d’une campagne d’encouragement au regroupement familial qui se concrétise à l’initiative du ministère de l’Emploi et du Travail par la diffusion de la plaquette « Vivre et travailler en Belgique », distribuée par l’intermédiaire des ambassades dans les pays du Maghreb.

Cette plaquette s’adresse au travailleur étranger et lui explique « qu’émigrer dans un pays qui nécessairement est différent du sien, pose quelques problèmes d’adaptation. Ces difficultés initiales seront beaucoup plus facilement surmontées si vous menez une vie de famille ; c’est-à-dire une vie familiale. La Belgique est un pays où le travail est bien rémunéré, où le confort est élevé, surtout pour ceux qui vivent en famille ». Plus loin, dans un chapitre consacré à la vie de famille et aux loisirs, la même plaquette informe le travailleur étranger qu’il peut transférer une partie de ses économies à sa famille lorsque celle-ci est restée dans son pays d’origine, mais lui conseille néanmoins « dès que la chose est possible et quand il aura trouvé un logement décent, le travailleur marié fait venir sa famille en Belgique ; séparé trop longtemps des vôtres, vous connaîtriez les effets néfastes de l’ennui et de la solitude. Vous êtes autorisés à vous faire rejoindre par votre famille après un mois ». L’appel est surtout reçu par les populations rurales du Nord du Maroc, sans qualification particulière qui décident de partir des régions pauvres qui n’offrent aucune perspective d’avenir professionnel. Ces populations constitueront le plus grand effectif (80%) de la main-d’œuvre marocaine en Belgique. C’est dans ce contexte que les femmes feront partie du paysage sociologique belge et stabiliseront une immigration qui revêtait auparavant un caractère provisoire.

Le début des années 70 est marqué par une crise économique qui, en Belgique, comme dans d’autres pays européens, contraint la Belgique à stopper définitivement l’immigration. L’Etat prend ainsi des dispositions d’arrêt de l’immigration tout comme au début des années 30, caractérisées elles aussi par une récession économique. L’immigration arrêtée depuis ne permet plus à de nouveaux étrangers de d’installer en Belgique sauf sous le couvert du regroupement familial ou de mesures exceptionnelles (Derricks, 1993).

Et plus récemment …

En Belgique, le gouvernement chrétien-socialiste prévoit, en 1988, dans sa déclaration gouvernementale en matière de politique d’immigration, le maintien de la décision de l’arrêt de l’immigration prise en 1974 et prévoit l’installation d’un Commissariat chargé de faire des propositions en matière de politique d’immigration (La Belgique et ses immigrés. Les politiques manquées). C’est ainsi que le Commissariat à la Politique des Immigrés verra le jour en 1989. Il est aujourd’hui remplacé par le Centre pour l’Egalité des Chances et la lutte contre le racisme.

Le Commissariat à la Politique des immigrés a effectué une série d’études et de recherches sur lesquelles je me suis appuyée pour pointer les différentes discriminations subies à ce jour par les femmes d’origine étrangère.

Le racisme et la xénophobie

Selon une enquête effectuée à l’échelle de l’Union européenne au printemps 1997, le racisme et la xénophobie atteignent un niveau inquiétant dans les Etats membres : près de 33% des personnes interrogées se déclarent ouvertement « assez racistes » ou « très racistes ». Invitées à se situer sur l’échelle du racisme, près de 9% des personnes interrogées se disent « très racistes ». La Belgique arrive largement en tête, avec 22% se déclarant « très racistes », suivie de la France (16%) et l’Autriche (14%) (Commission européenne, Direction générale V).

Dans le début des années 90, on a assisté à des attaques racistes qui sont devenues de plus en plus fréquentes en Europe. Bien souvent, les personnes qui font l’objet de ces attaques racistes sont des femmes qui représentent symboliquement aux yeux de leurs agresseurs des génétrices d’enfants « indésirables ».

Femmes et alphabétisme

En Belgique, la scolarité est obligatoire jusqu’à 18 ans, mais malgré tout, un groupe considérable d’adultes reste encore incapable de lire ou d’ou d’écrire convenablement. On en connaît pas les chiffres précis concernant les personnes analphabètes, mais on estime que la Belgique compte 200.000 personnes complètement ou quasiment analphabètes, soit 5% de la population. Il faut aussi souligner qu ce chiffre représente 7 à 13% de la population de la Communauté française où vit un grand nombre de personnes d’origine étrangère. Les femmes constituent la moitié, voire les deux tiers de ce pourcentage (Quatrième conférence mondiale sur le femmes, Lutte pour l’Egalité, le Développement et la Paix, Pékin, 1995, Rapport de la Belgique).

Femmes et emploi

La discrimination à l’égard des femmes migrantes sur le marché de l’emploi revêt de multiples formes. Le rapport de la Belgique effectué après la Quatrième conférence mondiale sur les Femmes (Pékin, 1995) indique que dans le groupe des femmes travaillant à mi-temps, ce sont les femmes immigrées qui travaillent dans les conditions les plus désagréables. Trois quart des femmes immigrées travaillent dans trois secteurs : comme aides ménagères, comme ouvrières d’usine ou comme employées de bureau. A côté de cela, beaucoup de femmes, également des femmes immigrées, travaillent illégalement dans le secteur du nettoyage, de la confection, du commerce de détail et dans l’horeca. Une enquête sur les remployées turques à Bruxelles a confirmé que les femmes immigrées étaient concentrées dans le secteur du nettoyage (65%), que moins de 40% d’entre elles travaillent à plein temps, qu’elles ont principalement de horaires variables, que les salaires sont parmi les plus bas que l’on puisse trouver et que les heures supplémentaires ne leur sont pas payées.

Femmes et formation professionnelle

En Belgique, les programmes qui ont été mis au point aux divers niveaux politiques pour améliorer la formation professionnelle des femmes restent inaccessibles aux femmes immigrées. Le FOREM (centre de formation) comme les CPAS (Centre public d'Aide sociale) ne comptent que quelques femmes immigrées parmi leurs élèves féminines. Un manque d'information sur les formations proposées, une formation préalable insuffisante et des procédures trop sélectives sont autant de problèmes supplémentaires pour les femmes immigrées (Quatrième conférence mondiale sur les femmes, Lutte pour l'Egalité, le Développement et la Paix, Pékin, 1995, Rapport de la Belgique).

Egalité des chances dans l'enseignement

Une récente enquête menée à Bruxelles a révélé que parmi les filles turques et marocaines, il y avait à la fin du secondaire 46.3% de doubleuses, alors que le pourcentage pour les élèves originaires des pays de l'Union européenne était de 39.1% et de 33.7% pour les filles belges (Quatrième conférence mondiale sur les femmes, Lutte pour l'Egalité, le Développement et la Paix, Pékin, 1995, Rapport de la Belgique).

Le Commissariat Royal à la Politique des Immigrés qui a également relevé un certain nombre de lacunes dans le domaine de l'enseignement s'agissant des jeunes issus de l'immigration, formulait ainsi sa proposition à l'égard des jeunes filles : "une attention particulière doit être accordée à la situation des filles immigrées dans l'enseignement secondaire. En particulier, il faut s'assurer qu'elles remplissent les conditions de l'obligation scolaire légale. Cela peut être effectué grâce à l'application scrupuleuse de la législation existante par les écoles et à un contrôle renforcé de l'inspection. Les écoles qui sont concernées par ce problème doivent être mises devant leurs responsabilités. Ensuite, une attention particulière doit être accordée à l'orientation de ces filles, c'est-à-dire à les orienter vers des filières qui leur permettent de prendre leurs responsabilités sociales et leur offrent des chances sur le marché du travail (Volume 1, mai 1990, p. 69).

Femmes et santé

Le Commissariat Royal à la Politique des Immigrés a aussi abordé le domaine de la santé en soulignant la pauvreté d'information concernant la santé des femmes issues de l'immigration (Volume III, p. 531-532).

Ce manque d'information peut sans doute expliquer les lacunes qui existent en termes de politique de la santé dans ces milieux ou tout au moins, en termes d'approche un peu plus systématique de la question. Il s'agit pourtant d'un domaine capital. Les question de l'émancipation et de la santé sont très liées et le manque de connaissance et de communication possible là où il y a symptômes , maladies ou douleurs témoignent de la réalité de l'isolement et de la solitude.

Femmes et statut juridique

La question de la démocratie ne peut être concrète, sincère, entière que si les discriminations à l’égard des femmes sont bannies radicalement et sans pitié aucune. L’inscription dans les juridictions (c’est-à-dire dans le juste) est une nécessité absolue. Comment peut-on parler de droit, de démocratie, d’égalité si les fondements juridiques mêmes sont solidement enfoncés dans un code du statut personnel qui fait de la femme un être mineur et sous tutelle constante ? La réforme de la moudouwana doit être l’une des premières étapes de la démocratisation. Ce n’est que muni d’instruments juridiques fondés sur le respect de l’individu (homme ou femme), sur l’égalité de tout individu (homme ou femme), sur la reconnaissance de tout individu (homme ou femme), que le Maroc pourra lever la tête et affirmer haut et fort qu’il est engagé dans un véritable processus démocratique. C’est aussi de cette base qu’il pourra rayonner sur les autres états d’immigration soumis à de véritables casse-tête juridiques où en dernier ressort ce sont les femmes qui paient le plus lourd tribut.

On parle beaucoup aujourd’hui d’immigration clandestine, de filières d’exploitation des êtres humains dans lesquelles les femmes sont les premières victimes de l’exploitation sexuelle avec son lot de destructions psychologiques et d’abnégations individuelles. Dans le cas de cette immigration clandestine, avec les corollaires que je viens d’évoquer, on retrouve un nombre significatif de femmes qui ont vécu dans la légalité la plus totale avant de se voir rejetées au ban de la société, « laissées au pays » selon la formule habituellement usitée. Répudiée, délestée de ses documents, le seul choix qui s’offre à elle reste celui de l’immigration clandestine parfois au détriment de sa vie.

Cette dépendance, ce pouvoir totalitaire exercé sur les femmes ne peut laisser aucun démocrate, aucune démocrate insensible ou indifférent.

Dans son second rapport, le Commissariat à la Politique des Immigrés (Volume III, mai 1990, p. 529) consacre une information relative à la situation juridique des femmes en contexte d'immigration. Ainsi, le Commissariat souligne que le statut des femmes immigrées en Belgique relève du droit belge pour tout ce qui concerne, d'une part, l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éventuel éloignement du territoire ; c'est la loi du 15 décembre 1980 et d'autre part, pour tout ce qui relève de leur activité socio-économique : travail, chômage, sécurité sociale, assurances, etc. Il faut aussi tenir compte dans ces secteurs des conventions bilatérales signées par la Belgique avec les pays d'origine. Par contre, leur statut personnel dépend de leur droit national et, dans certains cas, du droit musulman. Les discriminations juridiques qui concernent spécifiquement les femmes issues de l'immigration maghrébine découlent des effets des répudiations prononcées à l'étranger, notamment en matière de garde des enfants et en matière de statut personnel en Belgique (avec des conséquences parfois dramatiques : "legal kidnapping", radiations sans s'assurer du consentement de l'ex-épouse, renvoi dans le pays d'origine et confiscation de documents, etc.).

On peut ajouter par ailleurs que la situation de précarité et de dépendance à l'égard du conjoint est identique lorsqu'il s'agit de femmes arrivées sous le couvert du regroupement familial et dont le droit de résidence expire si la vie conjugale est rompue.

La répudiation reste un facteur incontestable de discrimination à l'égard des femmes contre lesquelles tout démocrate, toute citoyenne doit se mobiliser.

En guise de conclusion, je pense pouvoir affirmer sans réserve qu'il est indispensable, aux quatre coins du monde et dans tous les contextes (pas uniquement celui de l'immigration) de reconnaître les femmes comme des citoyennes à part entière. La reconnaissance au même titre que la participation sont des droits démocratiques fondamentaux. Enfin, on en peut que soutenir tous les Etats, qu'ils soient européens ou non, à mettre en place des actions positives (que je préfère au terme de "discrimination positive"), car cette étape - qui ne peut être qu'intermédiaire - est indispensable pour "remettre à niveau" la condition des femmes et tenter d'effacer les sédiments de la discrimination dont elles font l'objet depuis des siècles.

Fatiha SAIDI

Députée bruxelloise ECOLO


Le Plan National d’Action pour l’Intégration de la femme au développement : un instrument pour l’égalité et la démocratie ?

Intervention de Fatiha SAIDI à l’ULB, le samedi 6 mai 2000
Colloque «Changement politique au Maroc : mythe ou réalité ? » 

Je tiens à remercier vivement l’organisateur Mohamed El Battiui qui nous offre le plaisir de nous retrouver ensemble cet après-midi pour débattre de la question de la démocratie qui reste à coup sûr l’une des plus belles créations de nos sociétés, l’un des idéaux les plus fragiles que nous devons protéger et nourrir. Si mon plaisir est immense, je ne vous cache pas que mon angoisse ne l’est pas moins car m’installer aux côtés de personnes qui ont vécu de nombreuses années privées de leur liberté, torturées, meurtries dans leur chair et dans leur âme m’a inspiré de nombreuses questions de légitimité. Nous sommes aujourd’hui en mai 2000 et nous parlons du Maroc en voie vers la démocratie. Cela ne peut cependant nous aveugler et nous faire oublier les souffrances qu’ont enduré tout un peuple, à des degrés divers, des familles, des militants, des hommes, des enfants, des femmes, …

Des femmes… C’est justement autour de cette moitié de la population que s’articulera mon propos. Que dire aujourd’hui de la question des femmes marocaines ? L’analphabétisme, les violences qu’elles subissent au quotidien, le poids des traditions et l’injustice des lois ne peuvent que nous inviter à revisiter la démocratie à la lueur de ces paramètres.   Les femmes marocaines revendiquent leurs droits, à travers notamment leur travail au sein des Organisations Non Gouvernementales (ONG). Le constat devant l’émergence de la société civile au Maroc est plutôt prometteur car les femmes n’attendent pas dans la passivité. Elles prennent la défense des plus faibles, des femmes battues, des enfants de la rue, des analphabètes, des filles mères… Elles investissent l’espace public et se rendent visibles par la création d’associations, par la mise sur pied de manifestations,… Ces actions sont autant de gestes de résistance, de mutualisation des énergies qu’elles posent dans l’espoir d’être des actrices de leur devenir et de celui de leurs enfants, de leur famille, de leur société. Cette construction n’est ni évidente ni simple car les femmes doivent supporter les pressions des forces traditionnelles qui réclament la sauvegarde des valeurs culturelles coulées dans le modèle patriarcal  dans un contexte où les mentalités évoluent plus que lentement.

Ces situations sont corroborées, soutenues par la législation existante, entre autres, par les livres qui ont pour objet le statut personnel et dont l’ensemble constitue un Code qui a pour titre «Code du Statut Personnel et des Successions». Ce code est porteur d’une série de dispositions qui ne correspondent plus à la réalité d’aujourd’hui. Il instaure une division claire des rôles de l’homme et de la femme, par exemple, dans ses articles 35 et 36. Ainsi la femme est chargée de veiller à la marche du foyer et à son organisation tout en devant fidélité et obéissance à un mari qui lui doit en retour entretien prévu par la loi (nourriture, habillement, soins médicaux et logement), égalité de traitement avec les autres épouses, en cas de polygamie, autorisation de rendre visite à ses parents et de les recevoir dans la limite des convenances et l’entière liberté d’administrer et de disposer de ses biens sans aucun contrôle du mari, ce dernier n’ayant aucun pouvoir sur les biens de son épouse. L’une des prescriptions du Code qui est bien souvent remise en question porte sur la répudiation. La répudiation est la dissolution des liens du mariage qui, « peut avoir lieu verbalement, en termes explicites, soit par écrit, soit encore par signes ou gestes non équivoques, s’il s’agit d’un illettré n’ayant pas l’usage de la parole » (article 46). On parle ici clairement de l’époux en utilisant le vocable illettré au masculin. La répudiation reste donc un acte unilatéral posé par l’homme, même si dans certaines situations, cette faculté est aussi laissée à la femme. Mais le Code du statut personnel reconnaît explicitement l’injustice qui peut frapper une femme et stipule dans son article 52bis que «s’il est établi que la répudiation n’est pas basée sur des motifs valables, le juge doit tenir compte, au moment de l’évaluation du don de consolation, de tout préjudice que la femme a subi».

L’une des grandes avancées qui est parfois présentée par les partisans du Code est celle de la présence obligatoire de la femme devant le notaire lors de la déclaration de répudiation. Je voudrais la nuancer car dans les faits cette obligation est bien souvent détournée et le code du statut personnel n’assure aucune garantie à la femme, précisant simplement (article 48) que « si l’épouse reçoit la convocation et qu’elle ne se présente pas, il est passé outre à sa présence au cas où le mari détient sa décision de répudier ». Cette disposition est absolument fantaisiste et ne protège nullement les femmes.

Il ne m’est pas possible, dans le cadre de cet exposé, de continuer à effectuer le tour de ce code mais je pense que ces deux exemples sont significatifs de la discrimination clairement inscrite dans les fondements juridiques du droit marocain. La distribution des rôles qui attribue l’autorité au mari et la soumission à la femme institue l’infériorité de la  femme et de la discrimination au sein même de la famille. Sans compter que la question essentielle que le citoyen(ne) est en droit de se poser est de savoir si ce partage des rôles et des fonctions correspond à la réalité de la société d’aujourd’hui, dans un pays où les femmes sont de plus en plus amenées à travailler, à assumer des fonctions antérieurement consacrées aux hommes.  Les femmes marocaines ont saisi cette année l’opportunité de l’ouverture officielle des Marches 2000 pour faire connaître leurs revendications. L’un de leur espoir de se voir reconnaître en tant qu’individu à part entière est la ratification et l’application du Plan national d’action pour l’intégration de la femme au développement.

Je ne vais pas m’attarder à la présentation de ce Plan pour ne pas empiéter sur l’intervention de ma collègue Nouria Ouali qui développera après moi les enjeux et les perspectives de ce plan d’action. Donc, en quelques mots, le plan national compte près de deux cents mesures qui visent à la promotion des droits de la femme. Il se décline en quatre «domaines prioritaires» :
L’alphabétisation et la scolarisation
La santé reproductive
L’intégration des femmes au développement économique
Le renforcement des pouvoirs des femmes 

L’alphabétisation
L’objectif général que se donne le plan est de promouvoir de façon significative l’alphabétisation des femmes. Le programme est ambitieux et espère atteindre le taux de 500.000 femmes par an, après atteinte d’une « vitesse de croisière » jugée à 250.000 femmes/an. Une attention particulière est accordée aux femmes rurales et différents acteurs sont impliqués dans le processus (chercheurs, acteurs locaux, ministères, ONG, employeurs…). 

La santé reproductive
Le plan ambitionne de mettre en place une politique nationale en matière de santé reproductive visant à la sensibilisation et l’information du public. Pour ce faire, les radios et télévisions nationales et locales seraient les premiers vecteurs de transmission.  

L’intégration des femmes au développement économique
Ce chapitre du plan se consacre à mettre en place des politiques pour lutter contre la pauvreté des femmes dans les couches de populations marginalisées et vulnérables. Le plan stipule par ailleurs qu’un appel sera lancé au gouvernement afin qu’il augmente la part du budget consacré à la lutte contre la pauvreté. Des mesures spécifiques sont aussi envisagées pour les femmes handicapées, les femmes rurales, les femmes chefs de ménage… 

Le renforcement des pouvoirs des femmes
C’est à coup sûr là que le bât blesse. Ce volet du plan aborde des problématiques liées au statut du code personnel en visant la révision du droit marocain que d’aucuns estiment sacré (car basé sur la « chari’a » loi musulmane). Car le Plan d’Action n’est pas rejeté dans son entièreté par ses détracteurs mais seuls 14 points font  peur et en l’occurrence ceux qui touchent à la réforme du statut du code personnel. L’argument qui est mis en avant pour contrer cette réforme est de dire que le Maroc veut obéir à des injonctions étrangères, occidentales. Pourtant le Maroc a tenté, sans succès, à 5 reprises entre 1961 et 1979, de réformer la moudouwana. Seules de timides réformes, bien souvent sarcastiquement dénommées « réformettes » ont vu le jour en 1993 sous ordre royal.  Et le  contenu du plan d’action : élever l’âge du mariage, limiter les pouvoirs du tuteur matrimonial, lutter contre la polygamie, protéger le droit à l’entretien de l’épouse et des enfants, encourager la planification familiale… font partie intégrante des débats marocains. N’oublions pas qu’en avril 1992 les associations féminines ont lancé une pétition qui visait à récolter un million de signatures et que l’ADFM a mis sur pied quelques semaines plus tard une commission en vue de réformer la moudouwana. Tout cela était bien antérieur à la Conférence de Pékin qui s’est tenue en 1995 et qui est bien souvent dénoncée comme étant l’instigatrice du plan.

Après ces quelques éléments revenons à présent à la question qui nous occupait, à savoir, le plan national d’action pour l’intégration de la femme au développement est-il un instrument pour l’égalité et la démocratie ?
Sans conteste oui, car si ce plan est adopté et mis en oeuvre par le gouvernement, la femme marocaine se verra jouir de droits véritables.

Le plan d’action permettra aussi de remettre de l’ordre dans la cacophonie légale d’aujourd’hui où les femmes se retrouvent tantôt sous tutelle et inférieure dans leur vie familiale, tantôt adulte et responsable dotée de droits civiques (puisque la femme marocaine est éligible et peut voter), du droit à  la scolarité et à  l’emploi.

Si le plan d’action ne sera pas appliqué, il aura au moins eu le mérite de faire émerger d’autres questions comme celle de la place de la femme marocaine au sein de la société. Cette question  peut faire avancer le débat sur la démocratie car elle se situe au centre d’enjeux idéologico-politiques extrêmement forts. L’avenir de la femme inscrit dans l’égalité des droits fera émerger des actrices qui seraient le levier de changement dont le Maroc a besoin pour continuer sa route vers la démocratie. Les femmes sont capables de donner à la démocratie un effet multiplicateur , par la voie de l’éducation. Elles doivent être soutenues dans cette mission en étant considérée comme une citoyenne à part entière, protégée au même titre que tout citoyen par la loi et non la subissant comme une menace suspendue au dessus de sa tête, telle l’épée de Damoclès.  Le débat aura aussi permis aux militants, aux militantes, aux progressistes, aux mouvements féministes d’évaluer leur action et de se repositionner stratégiquement et pédagogiquement. . Les forces progressistes ont réalisé que dans leur lutte pour les droits des femmes, les femmes rurales, les femmes défavorisées, analphabètes ont souvent été oubliées et que ces vides ont été rapidement investis par des courants extrémistes. Car où se trouvent les poches de résistance ? Il est trop facile de caricaturer et de procéder à des clivages douteux entre modernistes et traditionnalistes. La situation est bien plus complexe et il est parfois étonnant de constater que les femmes elles-mêmes sont consentantes, acceptent l’ordre patriarcal établi. Elles l’acceptent au nom de la religion, au nom de la tradition, au nom des devoirs qu’elles ont été contraintes d’assumer parfois sans beaucoup de maîtrise de leur bien-fondé et de leurs enjeux.

Faire avancer  la démocratie c’est aussi avoir affaire à une société cohérente, ou du moins à une société qui aspire à donner du sens et de la cohésion à ses projets. Faire avancer la démocratie, c’est aussi avoir affaire à des instances différentes qui négocient, qui débattent. C’est l’un des rôles du discours juridico-politique mais à ce stade ci du débat, il ne semble malheureusement pas s’articuler avec le discours de la société civile et est très peu relayé par les médias, surtout officiels. Les changements pourtant ne pourront s’effectuer que par la conjugaison des forces de contre-pouvoir que représentent les mouvements associatifs féministes et progressistes et les forces de pouvoir qui sont celles du monde politique et de l’Etat.

Le changement ne peut s’opérer non plus sans une participation plus grande des femmes au sein des sphères décisionnelles et donc politiques. Leur représentation au sein des instances décisionnelles ne peut être assurée que par une politique volontariste et énergique. Rappelons au passage qu’aujourd’hui la Chambre des représentants compte deux députées, deux à la Chambre des conseillers et le gouvernement deux secrétaires d’Etat féminines. Et force est aussi de constater que dans le processus démocratique engagé au Maroc, le monde politique éprouve visiblement beaucoup de peine à se positionner en faveur de l’émancipation des femmes et de sa libération des jougs juridiques sous lesquels elles plient depuis des décennies. Après son lourd passé, le Maroc ne peut plus se contenter de gestes symboliques et timides. Ses décideurs doivent poser des actes concrets et forts pour faire accéder tous les citoyens Marocains, qu’ils soient hommes ou femmes à une pleine et réelle démocratie. 

Je vous remercie de m’avoir écouté.
 


Les conséquences de la réforme de la moudouwana sur les femmes immigrées marocaines en Europe

Intervention de Fatiha SAIDI à Alkmaar,  le samedi 27 mai 2000

Avant toute chose et en guise de préambule, je tiens à remercier vivement les responsables de l’association EMCEMO, Abdou Menebhi et ses collaborateurs(trices)  pour l’initiative qu’ils ont prises et qui nous permet de nous réunir, aujourd’hui, nous militants et militantes de différents pays européens.

Mon exposé s’articulera autour de trois axes :
Durant la première partie, j’évoquerai la lutte de la femme marocaine pour ses droits, tant au Maroc qu’à l’étranger, à partir d’un instrument dont on parle tant aujourd’hui qui est le plan national d’action pour l’intégration de la femme au développement.
Ensuite, j’aborderai la question des discriminations qui touchent les femmes en Belgique et qui découlent du code du statut personnel.
Enfin, j’évoquerai pour clôturer cette intervention, les motifs qui nous ont poussés, en Belgique, à soutenir le plan d’action.  Je rappelle à cet effet que de nombreux amies et amis, membres de ce comité de soutien au plan sont aujourd’hui dans la salle.

1. Les revendications des  femmes pour l’égalité des droits

Depuis longtemps et aujourd’hui plus que jamais, les femmes marocaines revendiquent leurs droits, à travers notamment leur travail au sein des Organisations Non Gouvernementales (ONG). Le constat devant l’émergence de la société civile au Maroc est plutôt prometteur car les femmes n’attendent pas dans la passivité. Elles prennent la défense des plus faibles, des femmes battues, des enfants de la rue, des analphabètes, des filles mères… Elles investissent l’espace public et se rendent visibles par la création d’associations, par la mise sur pied de manifestations,… Ces actions sont autant de gestes de résistance, de mutualisation des énergies qu’elles posent dans l’espoir d’être des actrices de leur devenir et de celui de leurs enfants, de leur famille, de leur société. Cette construction n’est ni évidente ni simple car les femmes doivent supporter les pressions des forces traditionnelles qui réclament la sauvegarde des valeurs culturelles coulées dans le modèle patriarcal  dans un contexte où les mentalités évoluent plus que lentement.
Ces situations sont corroborées, soutenues par la législation existante, entre autres, par les livres qui ont pour objet le statut personnel et dont l’ensemble constitue un Code qui a pour titre «Code du Statut Personnel et des Successions». Ce code est porteur d’une série de dispositions qui ne correspondent plus à la réalité d’aujourd’hui. Il instaure une division claire des rôles de l’homme et de la femme, par exemple, dans ses articles 35 et 36. Ainsi la femme est chargée de veiller à la marche du foyer et à son organisation tout en devant fidélité et obéissance à un mari qui lui doit en retour entretien prévu par la loi (nourriture, habillement, soins médicaux et logement), égalité de traitement avec les autres épouses, en cas de polygamie, autorisation de rendre visite à ses parents et de les recevoir dans la limite des convenances et l’entière liberté d’administrer et de disposer de ses biens sans aucun contrôle du mari, ce dernier n’ayant aucun pouvoir sur les biens de son épouse. L’une des prescriptions du Code qui est bien souvent remise en question porte sur la répudiation. La répudiation est la dissolution des liens du mariage qui, « peut avoir lieu verbalement, en termes explicites, soit par écrit, soit encore par signes ou gestes non équivoques, s’il s’agit d’un illettré n’ayant pas l’usage de la parole » (article 46). On parle ici clairement de l’époux en utilisant le vocable illettré au masculin. La répudiation reste donc un acte unilatéral posé par l’homme, même si dans certaines situations, cette faculté est aussi laissée à la femme. Mais le Code du statut personnel reconnaît explicitement l’injustice qui peut frapper une femme et stipule dans son article 52bis que «s’il est établi que la répudiation n’est pas basée sur des motifs valables, le juge doit tenir compte, au moment de l’évaluation du don de consolation, de tout préjudice que la femme a subi».
L’une des grandes avancées qui est parfois présentée par les partisans du Code est celle de la présence obligatoire de la femme devant le notaire lors de la déclaration de répudiation. Je voudrais la nuancer car dans les faits cette obligation est bien souvent détournée et le code du statut personnel n’assure aucune garantie à la femme, précisant simplement (article 48) que « si l’épouse reçoit la convocation et qu’elle ne se présente pas, il est passé outre à sa présence au cas où le mari détient sa décision de répudier ». Cette disposition est absolument fantaisiste et ne protège nullement les femmes.
Il ne m’est pas possible, dans le cadre de cet exposé, de continuer à effectuer le tour de ce code mais je pense que ces deux exemples sont significatifs de la discrimination clairement inscrite dans les fondements juridiques du droit marocain. La distribution des rôles qui attribue l’autorité au mari et la soumission à la femme institue l’infériorité de la  femme et de la discrimination au sein même de la famille. Sans compter que la question essentielle que le citoyen(ne) est en droit de se poser est de savoir si ce partage des rôles et des fonctions correspond à la réalité de la société d’aujourd’hui, dans un pays où les femmes sont de plus en plus amenées à travailler, à assumer des fonctions antérieurement consacrées aux hommes. 

2. De la situation des femmes marocaines en Belgique

Le statut des femmes immigrées en Belgique relève du droit belge pour tout ce qui concerne, d’une part, l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éventuel éloignement du territoire ; c’est la loi du 15 décembre 1980 et d’autre part, pour tout ce qui relève de leur activité socio-économique : travail, chômage, sécurité sociale, assurances etc. Par contre, leur statut personnel dépend de leur droit national et, dans certains cas, du droit musulman. Les discriminations juridiques qui concernent spécifiquement les femmes issues de l’immigration maghrébine découlent des effets des répudiations prononcées à l’étranger, notamment en matière de garde des enfants et en matière de statut personnel en Belgique. Les conséquences de cette législation ont parfois des conséquences dramatiques sur les femmes qui se voient enlever leurs enfants, radiées des communes dans lesquelles elles vivent, renvoyées (ou plutôt séquestrées) dans leur pays d’origine… La doctrine, la jurisprudence et les circulaires du Ministère de la Justice, dont celles des 13 mars 1980 et 27 avril 1994, reconnaissent les effets d’une répudiation prononcées à l’étranger. La dissolution du lien conjugal opéré par acte adoulaire et homologué par le tribunal n’est généralement considérée comme contraire à l’ordre public que si les droits de la femme ont été transgressés. Les ministres de la Justice marocain et belge ont signés en 1991 une convention qui prévoyait la reconnaissance pure et simple de la répudiation. Sous la pression de nombreuses associations, cette reconnaissance ne fut jamais ratifiée par le Parlement belge.
Aujourd’hui cette convention est totalement remise en question comme il l’a été confirmé lors de la visite de travail que le ministre de la Justice belge effectuait au Maroc ces 15 et 16 mai dernier et durant laquelle il a rencontré le premier ministre, le ministre de la Justice et le secrétaire d’Etat aux Affaires Etrangères. Ainsi, le ministre de la Justice belge reconnaît que les règles contenues dans le Code de droit international privé sont plus restrictives que celles qui se dégagent actuellement de la doctrine et de la jurisprudence dominantes. Et pour cela, elles ne permettent plus, techniquement, de ratifier la Convention. Le ministre de la Justice belge a également souligné que, dans le cadre des nouvelles règles en préparation, il ne sera plus possible pour les couples marocains ou ceux dont l’un des conjoints est bipatride et qui sont installés en Belgique, de voir une répudiation prononcée au Maroc reconnue en Belgique concluant aussi que «partant de l’impossibilité pour la Belgique d’envisager la ratification de la convention mariage-dissolution du mariage, mon Homologue marocain (ndlr : le ministre de la Justice, Omar Azziman) et moi-même nous sommes mis d’accord pour créer un groupe de travail chargé d’examiner dans le détail les règles du futur Code de droit international privé afin de dégager des pistes nouvelles pour la conclusion à moyen terme d’une nouvelle Convention bilatérale».
Par ailleurs, toujours dans le cadre de cette visite de travail, le ministre de la Justice belge a évoqué «l’impossibilité juridique, soulignée par la partie marocaine, pour le droit marocain de reconnaître la validité d’un mariage non-musulman mais a signalé qu’un débat était actuellement en cours sur la réforme du statut personnel. Cette réforme prendra néanmoins du temps».  

3. Pourquoi soutenir le Plan d’Action en Belgique ?

Le Comité de soutien au Plan que nous avons créé en Belgique veut soutenir ce Plan d’Action car nous estimons que :

Le plan d’action permettra de remettre de l’ordre dans la cacophonie légale d’aujourd’hui où les femmes se retrouvent tantôt sous tutelle et inférieure dans leur vie familiale, tantôt adulte et responsable dotée de droits civiques (puisque la femme marocaine est éligible et peut voter), du droit à  la scolarité et à  l’emploi.

Si le plan d’action n’est pas appliqué, il aura au moins eu le mérite de faire émerger d’autres questions comme celle de la place de la femme marocaine au sein de la société. Cette question  peut faire avancer le débat sur la démocratie car elle se situe au centre d’enjeux idéologico-politiques extrêmement forts. L’avenir de la femme inscrit dans l’égalité des droits fera émerger des actrices qui seraient le levier de changement dont le Maroc a besoin pour continuer sa route vers la démocratie.

Les femmes sont capables de donner à la démocratie un effet multiplicateur, par la voie de l’éducation. Elles doivent être soutenues dans cette mission en étant considérée comme une citoyenne à part entière, protégée au même titre que tout citoyen par la loi et non la subissant comme une menace suspendue au dessus de sa tête, telle l’épée de Damoclès.

Le débat aura aussi permis aux militants, aux militantes, aux progressistes, aux mouvements féministes d’évaluer leur action et de se repositionner stratégiquement et pédagogiquement. . Les forces progressistes ont réalisé que dans leur lutte pour les droits des femmes, les femmes rurales, les femmes défavorisées, analphabètes ont souvent été oubliées et que ces vides ont été rapidement investis par des courants extrémistes. Car où se trouvent les poches de résistance ? Il est trop facile de caricaturer et de procéder à des clivages douteux entre modernistes et traditionnalistes. La situation est bien plus complexe et il est parfois étonnant de constater que les femmes elles-mêmes sont consentantes, acceptent l’ordre patriarcal établi. Elles l’acceptent au nom de la religion, au nom de la tradition, au nom des devoirs qu’elles ont été contraintes d’assumer parfois sans beaucoup de maîtrise de leur bien-fondé et de leurs enjeux. Faire avancer  la démocratie c’est aussi avoir affaire à une société cohérente, ou du moins à une société qui aspire à donner du sens et de la cohésion à ses projets.

Faire avancer la démocratie, c’est aussi avoir affaire à des instances différentes qui négocient, qui débattent. C’est l’un des rôles du discours juridico-politique mais à ce stade ci du débat, il ne semble malheureusement pas s’articuler avec le discours de la société civile et est très peu relayé par les médias, surtout officiels. Les changements pourtant ne pourront s’effectuer que par la conjugaison des forces de contre-pouvoir que représentent les mouvements associatifs féministes et progressistes et les forces de pouvoir qui sont celles du monde politique et de l’Etat.

Le changement ne peut s’opérer sans une participation plus grande des femmes au sein des sphères décisionnelles et donc politiques. Leur représentation au sein des instances décisionnelles ne peut être assurée que par une politique volontariste et énergique. Rappelons au passage qu’aujourd’hui la Chambre des représentants compte deux députées, deux à la Chambre des conseillers et le gouvernement deux secrétaires d’Etat féminines. Et force est aussi de constater que dans le processus démocratique engagé au Maroc, le monde politique éprouve visiblement beaucoup de peine à se positionner en faveur de l’émancipation des femmes et de sa libération des jougs juridiques sous lesquels elles plient depuis des décennies. Après son lourd passé, le Maroc ne peut plus se contenter de gestes symboliques et timides. Ses décideurs doivent poser des actes concrets et forts pour faire accéder tous les citoyens Marocains, qu’ils soient hommes ou femmes à une pleine et réelle démocratie. Je vous remercie de m’avoir écouté.

Fatiha SAIDI,
Députée bruxelloise ECOLO
Membre du Comité de soutien au Plan-Belgique
Présidente de l’Association Média Femmes Internationales


Page principale sur les Marocains de Belgique

SUFFRAGE UNIVERSEL - UNIVERSAL SUFFRAGE
citoyenneté, démocratie, ethnicité, nationalité -  citizenship, democracy, ethnicity, nationality