(paru dans Vert de Contact en 2000)
Le Maroc est secoué, aujourdhui, par un débat qui oppose différentes sphères de la société (sociale, politique, religieuse, féministe ). Ce débat est motivé par le « Plan daction national pour lintégration de la femme au développement » qui a été présenté par Saïd Saâdi, Secrétaire dEtat auprès du ministre du Développement social, de la Solidarité, de lEmploi et de la Formation professionnelle chargé de la Protection sociale, de la Famille et de lEnfance. Il devait en principe être ratifié par lensemble du gouvernement en date du 19 mars 99, mais cela na pas été le cas.
Le plan national pour lintégration de la femme au processus de développement compte près de deux cents mesures visant à la promotion des droits de la femme marocaine. Il se décline en quatre «domaines prioritaires» :
Lalphabétisation
Lobjectif général que se donne le plan est de promouvoir de façon significative lalphabétisation des femmes. Le programme est ambitieux et espère atteindre le taux de 500.000 femmes par an, après atteinte dune « vitesse de croisière » jugée à 250.000 femmes/an. Une attention particulière est accordée aux femmes rurales et différents acteurs sont impliqués dans le processus (chercheurs, acteurs locaux, ministères, ONG, employeurs ).
La santé reproductive
Le plan ambitionne de mettre en place une politique nationale en matière de santé reproductive visant à la sensibilisation et linformation du public. Pour ce faire, les radios et télévisions nationales et locales seraient les premiers vecteurs de transmission.
Lintégration des femmes au développement économique
Ce chapitre du plan se consacre à mettre en place des politiques pour lutter contre la pauvreté des femmes dans les couches de populations marginalisées et vulnérables. Lappel sera lancé au gouvernement afin quil augmente la part du budget consacré à la lutte contre la pauvreté. Des mesures spécifiques sont aussi envisagées pour les femmes handicapées, les femmes rurales, les femmes chefs de ménage
Le renforcement des pouvoirs des femmes
Cest à coup sûr là que le bât blesse. Ce volet du plan aborde des problématiques liées au statut du code personnel en visant la révision du droit marocain que daucuns estiment sacré (car basé sur la « charia » loi musulmane). Si le plan est adopté et mis en uvre par le gouvernement, la femme marocaine se verra jouir de droits véritables. Ainsi, la réforme du code du code du statut personnel vise à élever lâge au mariage des filles à 18 ans, rendre la tutelle matrimoniale facultative pour les filles majeures, remplacer la répudiation par le divorce judiciaire, accorder à la femme divorcée la moitié des biens acquis pendant la durée du mariage
Si le plan arrive à enrayer ces problèmes, les femmes marocaines vivant en Belgique en bénéficieront elles aussi. En effet, lune des règles fondamentales du droit international privé est la loi de la nationalité qui régit toutes les questions relatives au statut personnel dun(e) étranger(e). Ainsi, les femmes marocaines gardent leur nationalité dorigine et sont sous la dépendance légale de leur pays dorigine. Cela pose de nombreux problèmes juridiques qui trouvent leur source dans le conflit de lois et aujourdhui, lEtat belge na encore trouvé aucune solution satisfaisante quant à la répudiation, le rapt denfants (juridiquement appelé « legal kidnapping »).
La marche de tous les espoirs
Les femmes marocaines ont saisi lopportunité de la Marche 2000 pour descendre dans la rue, investir un espace qui ne leur est pas toujours complètement réservé. Ce 12 mars, à Rabat, elles ont décidé de revendiquer haut et fort leurs droits ainsi que la ratification et lapplication du plan. Anne-Françoise Theunissen (députée bruxelloise ECOLO), Mirella Minne (députée régionale ECOLO), Eloi Glorieux et Christine Grauwels (députés AGALEV) et moi-même les avons accompagnées dans leur marche. Ce fut un moment de solidarité et déchange intense qui resteront certainement gravés bien longtemps dans nos mémoires. Nous avons rencontré des femmes dynamiques, fières dêtre femmes et de se battre pour leur dignité et leur plein accès à la citoyenneté. Bien évidemment, au-delà des changements de la loi, il reste la question fondamentale du changement des mentalités. Les femmes marocaines se battent aussi pour cette évolution qui devrait être relayée par les manuels scolaires, les médias Sans compter de la représentativité politique des femmes dans les sphères décisionnelles. Aujourdhui le Maroc compte deux secrétaires détat féminines et seulement deux députées. Force est de constater dès lors que du pain sur la planche, il y en a
Députée bruxelloise
Exposé de Fatiha Saïdi
Liège- Asbl Trait dUnion
13 avril 2000
Femmes maghrébines et discriminations
En tant que femme dorigine marocaine, dans le cadre de cet exposé et sans prétendre à lexhaustivité, je tenterai, ce soir, dénoncer quelques discriminations fréquemment dénoncées. Mais avant toute chose, je tiens à souligner que tout en parlant de « la » femme immigrée ou issue de limmigration, il nest nullement question daffirmer quil nexiste quun modèle de femme ou que le groupe des femmes immigrées ou issues de limmigration est homogène. Ensuite, lorsquon parle dimmigration en Belgique, de quoi parlons-nous ? Et dans quel contexte sont arrivées les femmes ? Il me semblait aussi essentiel daborder le contexte historique pour appréhender de façon globale la problématique.
Nous sommes aujourdhui au 21ème siècle, 50 ans après léclosion de la Déclaration Universelle des Droits humains, on ne peut ni se voiler la face ni faire léconomie dun bilan objectif et dun état des lieux liés à la position et au statut des femmes, de manière générale. Le constat est bien souvent insatisfaisant à de nombreux égards et les discriminations subsistent que ce soit au niveau de lemploi, de légalité des salaires, de laccès aux postes à responsabilité et plus particulièrement au champ politique. Dans le cas des femmes immigrées, ces difficultés et inégalités sont bien souvent modulées voire amplifiées par des paramètres linguistique, culturel et autres.
Limmigration en Belgique a débuté bien avant le début du 20ème siècle avec des étrangers arrivant principalement des pays voisins, « le coup denvoi en est donné en 1923 lorsquune circulaire ministérielle motive lembauche des mineurs italiens ». Ces premiers soubresauts migratoires sont freinés par la crise et le chômage des années 30. Ainsi, un arrêté royal rédigé en mars 1936 décrète quun travailleur étranger ne peut franchir la frontière sil nest pas porteur dune licence émanant du Ministère du Travail ; de leur côté, les employeurs doivent demander des autorisation au ministère, afin de pouvoir embaucher du personnel étranger. Cette licence, à cette époque déjà, nest accordée quen cas de carence de main-duvre belge.
Limmigration reprend au même rythme que lessor économique au lendemain de la deuxième guerre mondiale. A lépoque, le fond des mines sest vidé de 45.000 prisonniers de guerre allemands qui ont été mis au travail et de nombreux Belges refusent ce travail rude et dangereux (FGTB, 1986). La Belgique qui décide de reconstruire son économie par le charbon, principale source déconomie, fait alors appel à la main-duvre étrangère et plus particulièrement italienne.
Laccord passé en 1946 entre lItalie et le gouvernement belge est rompu en août 1956 après le tragique accident de Marcinelles où, sur les 262 victimes, on dénombre 136 italiens (Chronique de la Belgique, 1987). Le gouvernement italien refus denvoyer ses ressortissants dans les charbonnages sans garantie de sécurité et la Belgique fait alors appel à dautres pays, dont la Grèce, lEspagne et le Maroc (FGTB, 1986).
Laccord avec lItalie devenu caduque, la baisse démographique analysée, et « la main-duvre belge faisant défaut » (de Coorebyter, 1988, p.7) sont autant de raisons qui poussent la Belgique à faire appel à dautres travailleurs étrangers, principalement en provenance de pays méditerranéens. Cest ainsi que la Belgique signera en novembre 1956 un accord avec lEspagne et en juillet 1957 avec la Grèce. Ces accords assureront le recrutement denviron 15.000 hommes. Entre 1958 et 1961, limmigration est stoppée pour reprendre entre 1962 et 1965. Au cours de lété 1964, appel est fait à la main-duvre turque et marocaine. En 1969 et 1970, la Belgique signera aussi des accords avec la Tunisie et lAlgérie, mais cest de loin le Maroc qui fournira le contingent le plus nombreux (La Belgique et ses immigrés. Les politiques manquées).
La Belgique et le Maroc signent le 17 février 1964 une convention pour lenvoi dun contingent de travailleurs qui stipule, outre les modalités strictement pratiques (logements temporaires, ) une série de mesures sur lesquelles les deux gouvernement sengagent (voir annexe 1).
Des travailleurs aux familles
La convention du 17 février 1964 est rapidement suivie dune campagne dencouragement au regroupement familial qui se concrétise à linitiative du ministère de lEmploi et du Travail par la diffusion de la plaquette « Vivre et travailler en Belgique », distribuée par lintermédiaire des ambassades dans les pays du Maghreb.
Cette plaquette sadresse au travailleur étranger et lui explique « quémigrer dans un pays qui nécessairement est différent du sien, pose quelques problèmes dadaptation. Ces difficultés initiales seront beaucoup plus facilement surmontées si vous menez une vie de famille ; cest-à-dire une vie familiale. La Belgique est un pays où le travail est bien rémunéré, où le confort est élevé, surtout pour ceux qui vivent en famille ». Plus loin, dans un chapitre consacré à la vie de famille et aux loisirs, la même plaquette informe le travailleur étranger quil peut transférer une partie de ses économies à sa famille lorsque celle-ci est restée dans son pays dorigine, mais lui conseille néanmoins « dès que la chose est possible et quand il aura trouvé un logement décent, le travailleur marié fait venir sa famille en Belgique ; séparé trop longtemps des vôtres, vous connaîtriez les effets néfastes de lennui et de la solitude. Vous êtes autorisés à vous faire rejoindre par votre famille après un mois ». Lappel est surtout reçu par les populations rurales du Nord du Maroc, sans qualification particulière qui décident de partir des régions pauvres qui noffrent aucune perspective davenir professionnel. Ces populations constitueront le plus grand effectif (80%) de la main-duvre marocaine en Belgique. Cest dans ce contexte que les femmes feront partie du paysage sociologique belge et stabiliseront une immigration qui revêtait auparavant un caractère provisoire.
Le début des années 70 est marqué par une crise économique qui, en Belgique, comme dans dautres pays européens, contraint la Belgique à stopper définitivement limmigration. LEtat prend ainsi des dispositions darrêt de limmigration tout comme au début des années 30, caractérisées elles aussi par une récession économique. Limmigration arrêtée depuis ne permet plus à de nouveaux étrangers de dinstaller en Belgique sauf sous le couvert du regroupement familial ou de mesures exceptionnelles (Derricks, 1993).
Et plus récemment
En Belgique, le gouvernement chrétien-socialiste prévoit, en 1988, dans sa déclaration gouvernementale en matière de politique dimmigration, le maintien de la décision de larrêt de limmigration prise en 1974 et prévoit linstallation dun Commissariat chargé de faire des propositions en matière de politique dimmigration (La Belgique et ses immigrés. Les politiques manquées). Cest ainsi que le Commissariat à la Politique des Immigrés verra le jour en 1989. Il est aujourdhui remplacé par le Centre pour lEgalité des Chances et la lutte contre le racisme.
Le Commissariat à la Politique des immigrés a effectué une série détudes et de recherches sur lesquelles je me suis appuyée pour pointer les différentes discriminations subies à ce jour par les femmes dorigine étrangère.
Le racisme et la xénophobie
Selon une enquête effectuée à léchelle de lUnion européenne au printemps 1997, le racisme et la xénophobie atteignent un niveau inquiétant dans les Etats membres : près de 33% des personnes interrogées se déclarent ouvertement « assez racistes » ou « très racistes ». Invitées à se situer sur léchelle du racisme, près de 9% des personnes interrogées se disent « très racistes ». La Belgique arrive largement en tête, avec 22% se déclarant « très racistes », suivie de la France (16%) et lAutriche (14%) (Commission européenne, Direction générale V).
Dans le début des années 90, on a assisté à des attaques racistes qui sont devenues de plus en plus fréquentes en Europe. Bien souvent, les personnes qui font lobjet de ces attaques racistes sont des femmes qui représentent symboliquement aux yeux de leurs agresseurs des génétrices denfants « indésirables ».
Femmes et alphabétisme
En Belgique, la scolarité est obligatoire jusquà 18 ans, mais malgré tout, un groupe considérable dadultes reste encore incapable de lire ou dou décrire convenablement. On en connaît pas les chiffres précis concernant les personnes analphabètes, mais on estime que la Belgique compte 200.000 personnes complètement ou quasiment analphabètes, soit 5% de la population. Il faut aussi souligner qu ce chiffre représente 7 à 13% de la population de la Communauté française où vit un grand nombre de personnes dorigine étrangère. Les femmes constituent la moitié, voire les deux tiers de ce pourcentage (Quatrième conférence mondiale sur le femmes, Lutte pour lEgalité, le Développement et la Paix, Pékin, 1995, Rapport de la Belgique).
Femmes et emploi
La discrimination à légard des femmes migrantes sur le marché de lemploi revêt de multiples formes. Le rapport de la Belgique effectué après la Quatrième conférence mondiale sur les Femmes (Pékin, 1995) indique que dans le groupe des femmes travaillant à mi-temps, ce sont les femmes immigrées qui travaillent dans les conditions les plus désagréables. Trois quart des femmes immigrées travaillent dans trois secteurs : comme aides ménagères, comme ouvrières dusine ou comme employées de bureau. A côté de cela, beaucoup de femmes, également des femmes immigrées, travaillent illégalement dans le secteur du nettoyage, de la confection, du commerce de détail et dans lhoreca. Une enquête sur les remployées turques à Bruxelles a confirmé que les femmes immigrées étaient concentrées dans le secteur du nettoyage (65%), que moins de 40% dentre elles travaillent à plein temps, quelles ont principalement de horaires variables, que les salaires sont parmi les plus bas que lon puisse trouver et que les heures supplémentaires ne leur sont pas payées.
Femmes et formation professionnelle
En Belgique, les programmes qui ont été mis au point aux divers niveaux politiques pour améliorer la formation professionnelle des femmes restent inaccessibles aux femmes immigrées. Le FOREM (centre de formation) comme les CPAS (Centre public d'Aide sociale) ne comptent que quelques femmes immigrées parmi leurs élèves féminines. Un manque d'information sur les formations proposées, une formation préalable insuffisante et des procédures trop sélectives sont autant de problèmes supplémentaires pour les femmes immigrées (Quatrième conférence mondiale sur les femmes, Lutte pour l'Egalité, le Développement et la Paix, Pékin, 1995, Rapport de la Belgique).
Egalité des chances dans l'enseignement
Une récente enquête menée à Bruxelles a révélé que parmi les filles turques et marocaines, il y avait à la fin du secondaire 46.3% de doubleuses, alors que le pourcentage pour les élèves originaires des pays de l'Union européenne était de 39.1% et de 33.7% pour les filles belges (Quatrième conférence mondiale sur les femmes, Lutte pour l'Egalité, le Développement et la Paix, Pékin, 1995, Rapport de la Belgique).
Le Commissariat Royal à la Politique des Immigrés qui a également relevé un certain nombre de lacunes dans le domaine de l'enseignement s'agissant des jeunes issus de l'immigration, formulait ainsi sa proposition à l'égard des jeunes filles : "une attention particulière doit être accordée à la situation des filles immigrées dans l'enseignement secondaire. En particulier, il faut s'assurer qu'elles remplissent les conditions de l'obligation scolaire légale. Cela peut être effectué grâce à l'application scrupuleuse de la législation existante par les écoles et à un contrôle renforcé de l'inspection. Les écoles qui sont concernées par ce problème doivent être mises devant leurs responsabilités. Ensuite, une attention particulière doit être accordée à l'orientation de ces filles, c'est-à-dire à les orienter vers des filières qui leur permettent de prendre leurs responsabilités sociales et leur offrent des chances sur le marché du travail (Volume 1, mai 1990, p. 69).
Femmes et santé
Le Commissariat Royal à la Politique des Immigrés a aussi abordé le domaine de la santé en soulignant la pauvreté d'information concernant la santé des femmes issues de l'immigration (Volume III, p. 531-532).
Ce manque d'information peut sans doute expliquer les lacunes qui existent en termes de politique de la santé dans ces milieux ou tout au moins, en termes d'approche un peu plus systématique de la question. Il s'agit pourtant d'un domaine capital. Les question de l'émancipation et de la santé sont très liées et le manque de connaissance et de communication possible là où il y a symptômes , maladies ou douleurs témoignent de la réalité de l'isolement et de la solitude.
Femmes et statut juridique
La question de la démocratie ne peut être concrète, sincère, entière que si les discriminations à légard des femmes sont bannies radicalement et sans pitié aucune. Linscription dans les juridictions (cest-à-dire dans le juste) est une nécessité absolue. Comment peut-on parler de droit, de démocratie, dégalité si les fondements juridiques mêmes sont solidement enfoncés dans un code du statut personnel qui fait de la femme un être mineur et sous tutelle constante ? La réforme de la moudouwana doit être lune des premières étapes de la démocratisation. Ce nest que muni dinstruments juridiques fondés sur le respect de lindividu (homme ou femme), sur légalité de tout individu (homme ou femme), sur la reconnaissance de tout individu (homme ou femme), que le Maroc pourra lever la tête et affirmer haut et fort quil est engagé dans un véritable processus démocratique. Cest aussi de cette base quil pourra rayonner sur les autres états dimmigration soumis à de véritables casse-tête juridiques où en dernier ressort ce sont les femmes qui paient le plus lourd tribut.
On parle beaucoup aujourdhui dimmigration clandestine, de filières dexploitation des êtres humains dans lesquelles les femmes sont les premières victimes de lexploitation sexuelle avec son lot de destructions psychologiques et dabnégations individuelles. Dans le cas de cette immigration clandestine, avec les corollaires que je viens dévoquer, on retrouve un nombre significatif de femmes qui ont vécu dans la légalité la plus totale avant de se voir rejetées au ban de la société, « laissées au pays » selon la formule habituellement usitée. Répudiée, délestée de ses documents, le seul choix qui soffre à elle reste celui de limmigration clandestine parfois au détriment de sa vie.
Cette dépendance, ce pouvoir totalitaire exercé sur les femmes ne peut laisser aucun démocrate, aucune démocrate insensible ou indifférent.
Dans son second rapport, le Commissariat à la Politique des Immigrés (Volume III, mai 1990, p. 529) consacre une information relative à la situation juridique des femmes en contexte d'immigration. Ainsi, le Commissariat souligne que le statut des femmes immigrées en Belgique relève du droit belge pour tout ce qui concerne, d'une part, l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éventuel éloignement du territoire ; c'est la loi du 15 décembre 1980 et d'autre part, pour tout ce qui relève de leur activité socio-économique : travail, chômage, sécurité sociale, assurances, etc. Il faut aussi tenir compte dans ces secteurs des conventions bilatérales signées par la Belgique avec les pays d'origine. Par contre, leur statut personnel dépend de leur droit national et, dans certains cas, du droit musulman. Les discriminations juridiques qui concernent spécifiquement les femmes issues de l'immigration maghrébine découlent des effets des répudiations prononcées à l'étranger, notamment en matière de garde des enfants et en matière de statut personnel en Belgique (avec des conséquences parfois dramatiques : "legal kidnapping", radiations sans s'assurer du consentement de l'ex-épouse, renvoi dans le pays d'origine et confiscation de documents, etc.).
On peut ajouter par ailleurs que la situation de précarité et de dépendance à l'égard du conjoint est identique lorsqu'il s'agit de femmes arrivées sous le couvert du regroupement familial et dont le droit de résidence expire si la vie conjugale est rompue.
La répudiation reste un facteur incontestable de discrimination à l'égard des femmes contre lesquelles tout démocrate, toute citoyenne doit se mobiliser.
En guise de conclusion, je pense pouvoir affirmer sans réserve qu'il est indispensable, aux quatre coins du monde et dans tous les contextes (pas uniquement celui de l'immigration) de reconnaître les femmes comme des citoyennes à part entière. La reconnaissance au même titre que la participation sont des droits démocratiques fondamentaux. Enfin, on en peut que soutenir tous les Etats, qu'ils soient européens ou non, à mettre en place des actions positives (que je préfère au terme de "discrimination positive"), car cette étape - qui ne peut être qu'intermédiaire - est indispensable pour "remettre à niveau" la condition des femmes et tenter d'effacer les sédiments de la discrimination dont elles font l'objet depuis des siècles.
Députée bruxelloise ECOLO
Le Plan National dAction pour lIntégration de la femme au développement : un instrument pour légalité et la démocratie ?
Intervention de Fatiha SAIDI à lULB, le samedi
6 mai 2000
Colloque «Changement politique au Maroc : mythe ou réalité
? »
Je tiens à remercier vivement lorganisateur Mohamed El Battiui qui nous offre le plaisir de nous retrouver ensemble cet après-midi pour débattre de la question de la démocratie qui reste à coup sûr lune des plus belles créations de nos sociétés, lun des idéaux les plus fragiles que nous devons protéger et nourrir. Si mon plaisir est immense, je ne vous cache pas que mon angoisse ne lest pas moins car minstaller aux côtés de personnes qui ont vécu de nombreuses années privées de leur liberté, torturées, meurtries dans leur chair et dans leur âme ma inspiré de nombreuses questions de légitimité. Nous sommes aujourdhui en mai 2000 et nous parlons du Maroc en voie vers la démocratie. Cela ne peut cependant nous aveugler et nous faire oublier les souffrances quont enduré tout un peuple, à des degrés divers, des familles, des militants, des hommes, des enfants, des femmes,
Des femmes Cest justement autour de cette moitié de la population que sarticulera mon propos. Que dire aujourdhui de la question des femmes marocaines ? Lanalphabétisme, les violences quelles subissent au quotidien, le poids des traditions et linjustice des lois ne peuvent que nous inviter à revisiter la démocratie à la lueur de ces paramètres. Les femmes marocaines revendiquent leurs droits, à travers notamment leur travail au sein des Organisations Non Gouvernementales (ONG). Le constat devant lémergence de la société civile au Maroc est plutôt prometteur car les femmes nattendent pas dans la passivité. Elles prennent la défense des plus faibles, des femmes battues, des enfants de la rue, des analphabètes, des filles mères Elles investissent lespace public et se rendent visibles par la création dassociations, par la mise sur pied de manifestations, Ces actions sont autant de gestes de résistance, de mutualisation des énergies quelles posent dans lespoir dêtre des actrices de leur devenir et de celui de leurs enfants, de leur famille, de leur société. Cette construction nest ni évidente ni simple car les femmes doivent supporter les pressions des forces traditionnelles qui réclament la sauvegarde des valeurs culturelles coulées dans le modèle patriarcal dans un contexte où les mentalités évoluent plus que lentement.
Ces situations sont corroborées, soutenues par la législation existante, entre autres, par les livres qui ont pour objet le statut personnel et dont lensemble constitue un Code qui a pour titre «Code du Statut Personnel et des Successions». Ce code est porteur dune série de dispositions qui ne correspondent plus à la réalité daujourdhui. Il instaure une division claire des rôles de lhomme et de la femme, par exemple, dans ses articles 35 et 36. Ainsi la femme est chargée de veiller à la marche du foyer et à son organisation tout en devant fidélité et obéissance à un mari qui lui doit en retour entretien prévu par la loi (nourriture, habillement, soins médicaux et logement), égalité de traitement avec les autres épouses, en cas de polygamie, autorisation de rendre visite à ses parents et de les recevoir dans la limite des convenances et lentière liberté dadministrer et de disposer de ses biens sans aucun contrôle du mari, ce dernier nayant aucun pouvoir sur les biens de son épouse. Lune des prescriptions du Code qui est bien souvent remise en question porte sur la répudiation. La répudiation est la dissolution des liens du mariage qui, « peut avoir lieu verbalement, en termes explicites, soit par écrit, soit encore par signes ou gestes non équivoques, sil sagit dun illettré nayant pas lusage de la parole » (article 46). On parle ici clairement de lépoux en utilisant le vocable illettré au masculin. La répudiation reste donc un acte unilatéral posé par lhomme, même si dans certaines situations, cette faculté est aussi laissée à la femme. Mais le Code du statut personnel reconnaît explicitement linjustice qui peut frapper une femme et stipule dans son article 52bis que «sil est établi que la répudiation nest pas basée sur des motifs valables, le juge doit tenir compte, au moment de lévaluation du don de consolation, de tout préjudice que la femme a subi».
Lune des grandes avancées qui est parfois présentée par les partisans du Code est celle de la présence obligatoire de la femme devant le notaire lors de la déclaration de répudiation. Je voudrais la nuancer car dans les faits cette obligation est bien souvent détournée et le code du statut personnel nassure aucune garantie à la femme, précisant simplement (article 48) que « si lépouse reçoit la convocation et quelle ne se présente pas, il est passé outre à sa présence au cas où le mari détient sa décision de répudier ». Cette disposition est absolument fantaisiste et ne protège nullement les femmes.
Il ne mest pas possible, dans le cadre de cet exposé, de continuer à effectuer le tour de ce code mais je pense que ces deux exemples sont significatifs de la discrimination clairement inscrite dans les fondements juridiques du droit marocain. La distribution des rôles qui attribue lautorité au mari et la soumission à la femme institue linfériorité de la femme et de la discrimination au sein même de la famille. Sans compter que la question essentielle que le citoyen(ne) est en droit de se poser est de savoir si ce partage des rôles et des fonctions correspond à la réalité de la société daujourdhui, dans un pays où les femmes sont de plus en plus amenées à travailler, à assumer des fonctions antérieurement consacrées aux hommes. Les femmes marocaines ont saisi cette année lopportunité de louverture officielle des Marches 2000 pour faire connaître leurs revendications. Lun de leur espoir de se voir reconnaître en tant quindividu à part entière est la ratification et lapplication du Plan national daction pour lintégration de la femme au développement.
Je ne vais pas mattarder à la présentation
de ce Plan pour ne pas empiéter sur lintervention de ma
collègue Nouria Ouali qui développera après moi les
enjeux et les perspectives de ce plan daction. Donc, en quelques mots,
le plan national compte près de deux cents mesures qui visent à
la promotion des droits de la femme. Il se décline en quatre
«domaines prioritaires» :
Lalphabétisation et la scolarisation
La santé reproductive
Lintégration des femmes au développement
économique
Le renforcement des pouvoirs des femmes
Lalphabétisation
Lobjectif général que se donne le plan est de
promouvoir de façon significative lalphabétisation des
femmes. Le programme est ambitieux et espère atteindre le taux de
500.000 femmes par an, après atteinte dune « vitesse de
croisière » jugée à 250.000 femmes/an. Une attention
particulière est accordée aux femmes rurales et différents
acteurs sont impliqués dans le processus (chercheurs, acteurs locaux,
ministères, ONG, employeurs
).
La santé reproductive
Le plan ambitionne de mettre en place une politique nationale en
matière de santé reproductive visant à la sensibilisation
et linformation du public. Pour ce faire, les radios et
télévisions nationales et locales seraient les premiers vecteurs
de transmission.
Lintégration des femmes au
développement économique
Ce chapitre du plan se consacre à mettre en place des politiques
pour lutter contre la pauvreté des femmes dans les couches de populations
marginalisées et vulnérables. Le plan stipule par ailleurs
quun appel sera lancé au gouvernement afin quil augmente
la part du budget consacré à la lutte contre la pauvreté.
Des mesures spécifiques sont aussi envisagées pour les femmes
handicapées, les femmes rurales, les femmes chefs de
ménage
Le renforcement des pouvoirs des femmes
Cest à coup sûr là que le bât blesse.
Ce volet du plan aborde des problématiques liées au statut
du code personnel en visant la révision du droit marocain que
daucuns estiment sacré (car basé sur la « charia
» loi musulmane). Car le Plan dAction nest pas rejeté
dans son entièreté par ses détracteurs mais seuls 14
points font peur et en loccurrence ceux qui touchent à
la réforme du statut du code personnel. Largument qui est mis
en avant pour contrer cette réforme est de dire que le Maroc veut
obéir à des injonctions étrangères, occidentales.
Pourtant le Maroc a tenté, sans succès, à 5 reprises
entre 1961 et 1979, de réformer la moudouwana. Seules de timides
réformes, bien souvent sarcastiquement dénommées «
réformettes » ont vu le jour en 1993 sous ordre royal.
Et le contenu du plan daction : élever lâge
du mariage, limiter les pouvoirs du tuteur matrimonial, lutter contre la
polygamie, protéger le droit à lentretien de
lépouse et des enfants, encourager la planification familiale
font partie intégrante des débats marocains. Noublions
pas quen avril 1992 les associations féminines ont lancé
une pétition qui visait à récolter un million de signatures
et que lADFM a mis sur pied quelques semaines plus tard une commission
en vue de réformer la moudouwana. Tout cela était bien
antérieur à la Conférence de Pékin qui sest
tenue en 1995 et qui est bien souvent dénoncée comme étant
linstigatrice du plan.
Après ces quelques éléments revenons
à présent à la question qui nous occupait, à
savoir, le plan national daction pour lintégration de
la femme au développement est-il un instrument pour
légalité et la démocratie ?
Sans conteste oui, car si ce plan est adopté et mis en oeuvre par
le gouvernement, la femme marocaine se verra jouir de droits
véritables.
Le plan daction permettra aussi de remettre de lordre dans la cacophonie légale daujourdhui où les femmes se retrouvent tantôt sous tutelle et inférieure dans leur vie familiale, tantôt adulte et responsable dotée de droits civiques (puisque la femme marocaine est éligible et peut voter), du droit à la scolarité et à lemploi.
Si le plan daction ne sera pas appliqué, il aura au moins eu le mérite de faire émerger dautres questions comme celle de la place de la femme marocaine au sein de la société. Cette question peut faire avancer le débat sur la démocratie car elle se situe au centre denjeux idéologico-politiques extrêmement forts. Lavenir de la femme inscrit dans légalité des droits fera émerger des actrices qui seraient le levier de changement dont le Maroc a besoin pour continuer sa route vers la démocratie. Les femmes sont capables de donner à la démocratie un effet multiplicateur , par la voie de léducation. Elles doivent être soutenues dans cette mission en étant considérée comme une citoyenne à part entière, protégée au même titre que tout citoyen par la loi et non la subissant comme une menace suspendue au dessus de sa tête, telle lépée de Damoclès. Le débat aura aussi permis aux militants, aux militantes, aux progressistes, aux mouvements féministes dévaluer leur action et de se repositionner stratégiquement et pédagogiquement. . Les forces progressistes ont réalisé que dans leur lutte pour les droits des femmes, les femmes rurales, les femmes défavorisées, analphabètes ont souvent été oubliées et que ces vides ont été rapidement investis par des courants extrémistes. Car où se trouvent les poches de résistance ? Il est trop facile de caricaturer et de procéder à des clivages douteux entre modernistes et traditionnalistes. La situation est bien plus complexe et il est parfois étonnant de constater que les femmes elles-mêmes sont consentantes, acceptent lordre patriarcal établi. Elles lacceptent au nom de la religion, au nom de la tradition, au nom des devoirs quelles ont été contraintes dassumer parfois sans beaucoup de maîtrise de leur bien-fondé et de leurs enjeux.
Faire avancer la démocratie cest aussi avoir affaire à une société cohérente, ou du moins à une société qui aspire à donner du sens et de la cohésion à ses projets. Faire avancer la démocratie, cest aussi avoir affaire à des instances différentes qui négocient, qui débattent. Cest lun des rôles du discours juridico-politique mais à ce stade ci du débat, il ne semble malheureusement pas sarticuler avec le discours de la société civile et est très peu relayé par les médias, surtout officiels. Les changements pourtant ne pourront seffectuer que par la conjugaison des forces de contre-pouvoir que représentent les mouvements associatifs féministes et progressistes et les forces de pouvoir qui sont celles du monde politique et de lEtat.
Le changement ne peut sopérer non plus sans une participation plus grande des femmes au sein des sphères décisionnelles et donc politiques. Leur représentation au sein des instances décisionnelles ne peut être assurée que par une politique volontariste et énergique. Rappelons au passage quaujourdhui la Chambre des représentants compte deux députées, deux à la Chambre des conseillers et le gouvernement deux secrétaires dEtat féminines. Et force est aussi de constater que dans le processus démocratique engagé au Maroc, le monde politique éprouve visiblement beaucoup de peine à se positionner en faveur de lémancipation des femmes et de sa libération des jougs juridiques sous lesquels elles plient depuis des décennies. Après son lourd passé, le Maroc ne peut plus se contenter de gestes symboliques et timides. Ses décideurs doivent poser des actes concrets et forts pour faire accéder tous les citoyens Marocains, quils soient hommes ou femmes à une pleine et réelle démocratie.
Je vous remercie de mavoir
écouté.
Les conséquences de la réforme de la moudouwana sur les femmes immigrées marocaines en Europe
Intervention de Fatiha SAIDI à Alkmaar, le samedi 27 mai 2000
Avant toute chose et en guise de préambule, je tiens à remercier vivement les responsables de lassociation EMCEMO, Abdou Menebhi et ses collaborateurs(trices) pour linitiative quils ont prises et qui nous permet de nous réunir, aujourdhui, nous militants et militantes de différents pays européens.
Mon exposé sarticulera autour de trois axes :
Durant la première partie, jévoquerai la lutte de la
femme marocaine pour ses droits, tant au Maroc quà
létranger, à partir dun instrument dont on parle
tant aujourdhui qui est le plan national daction pour
lintégration de la femme au développement.
Ensuite, jaborderai la question des discriminations qui touchent les
femmes en Belgique et qui découlent du code du statut personnel.
Enfin, jévoquerai pour clôturer cette intervention, les
motifs qui nous ont poussés, en Belgique, à soutenir le plan
daction. Je rappelle à cet effet que de nombreux amies
et amis, membres de ce comité de soutien au plan sont aujourdhui
dans la salle.
1. Les revendications des femmes pour légalité des droits
Depuis longtemps et aujourdhui plus que jamais, les
femmes marocaines revendiquent leurs droits, à travers notamment leur
travail au sein des Organisations Non Gouvernementales (ONG). Le constat
devant lémergence de la société civile au Maroc
est plutôt prometteur car les femmes nattendent pas dans la
passivité. Elles prennent la défense des plus faibles, des
femmes battues, des enfants de la rue, des analphabètes, des filles
mères
Elles investissent lespace public et se rendent
visibles par la création dassociations, par la mise sur pied
de manifestations,
Ces actions sont autant de gestes de résistance,
de mutualisation des énergies quelles posent dans lespoir
dêtre des actrices de leur devenir et de celui de leurs enfants,
de leur famille, de leur société. Cette construction nest
ni évidente ni simple car les femmes doivent supporter les pressions
des forces traditionnelles qui réclament la sauvegarde des valeurs
culturelles coulées dans le modèle patriarcal dans un
contexte où les mentalités évoluent plus que lentement.
Ces situations sont corroborées, soutenues par la législation
existante, entre autres, par les livres qui ont pour objet le statut personnel
et dont lensemble constitue un Code qui a pour titre «Code du
Statut Personnel et des Successions». Ce code est porteur dune
série de dispositions qui ne correspondent plus à la
réalité daujourdhui. Il instaure une division claire
des rôles de lhomme et de la femme, par exemple, dans ses articles
35 et 36. Ainsi la femme est chargée de veiller à la marche
du foyer et à son organisation tout en devant fidélité
et obéissance à un mari qui lui doit en retour entretien
prévu par la loi (nourriture, habillement, soins médicaux et
logement), égalité de traitement avec les autres épouses,
en cas de polygamie, autorisation de rendre visite à ses parents et
de les recevoir dans la limite des convenances et lentière
liberté dadministrer et de disposer de ses biens sans aucun
contrôle du mari, ce dernier nayant aucun pouvoir sur les biens
de son épouse. Lune des prescriptions du Code qui est bien souvent
remise en question porte sur la répudiation. La répudiation
est la dissolution des liens du mariage qui, « peut avoir lieu verbalement,
en termes explicites, soit par écrit, soit encore par signes ou gestes
non équivoques, sil sagit dun illettré
nayant pas lusage de la parole » (article 46). On parle
ici clairement de lépoux en utilisant le vocable illettré
au masculin. La répudiation reste donc un acte unilatéral
posé par lhomme, même si dans certaines situations, cette
faculté est aussi laissée à la femme. Mais le Code du
statut personnel reconnaît explicitement linjustice qui peut
frapper une femme et stipule dans son article 52bis que «sil est
établi que la répudiation nest pas basée sur des
motifs valables, le juge doit tenir compte, au moment de lévaluation
du don de consolation, de tout préjudice que la femme a subi».
Lune des grandes avancées qui est parfois présentée
par les partisans du Code est celle de la présence obligatoire de
la femme devant le notaire lors de la déclaration de répudiation.
Je voudrais la nuancer car dans les faits cette obligation est bien souvent
détournée et le code du statut personnel nassure aucune
garantie à la femme, précisant simplement (article 48) que
« si lépouse reçoit la convocation et quelle
ne se présente pas, il est passé outre à sa présence
au cas où le mari détient sa décision de répudier
». Cette disposition est absolument fantaisiste et ne protège
nullement les femmes.
Il ne mest pas possible, dans le cadre de cet exposé, de continuer
à effectuer le tour de ce code mais je pense que ces deux exemples
sont significatifs de la discrimination clairement inscrite dans les fondements
juridiques du droit marocain. La distribution des rôles qui attribue
lautorité au mari et la soumission à la femme institue
linfériorité de la femme et de la discrimination
au sein même de la famille. Sans compter que la question essentielle
que le citoyen(ne) est en droit de se poser est de savoir si ce partage des
rôles et des fonctions correspond à la réalité
de la société daujourdhui, dans un pays où
les femmes sont de plus en plus amenées à travailler, à
assumer des fonctions antérieurement consacrées aux hommes.
2. De la situation des femmes marocaines en Belgique
Le statut des femmes immigrées en Belgique relève
du droit belge pour tout ce qui concerne, dune part, laccès
au territoire, le séjour, létablissement et
léventuel éloignement du territoire ; cest la loi
du 15 décembre 1980 et dautre part, pour tout ce qui relève
de leur activité socio-économique : travail, chômage,
sécurité sociale, assurances etc. Par contre, leur statut personnel
dépend de leur droit national et, dans certains cas, du droit musulman.
Les discriminations juridiques qui concernent spécifiquement les femmes
issues de limmigration maghrébine découlent des effets
des répudiations prononcées à létranger,
notamment en matière de garde des enfants et en matière de
statut personnel en Belgique. Les conséquences de cette législation
ont parfois des conséquences dramatiques sur les femmes qui se voient
enlever leurs enfants, radiées des communes dans lesquelles elles
vivent, renvoyées (ou plutôt séquestrées) dans
leur pays dorigine
La doctrine, la jurisprudence et les circulaires
du Ministère de la Justice, dont celles des 13 mars 1980 et 27 avril
1994, reconnaissent les effets dune répudiation prononcées
à létranger. La dissolution du lien conjugal
opéré par acte adoulaire et homologué par le tribunal
nest généralement considérée comme contraire
à lordre public que si les droits de la femme ont été
transgressés. Les ministres de la Justice marocain et belge ont
signés en 1991 une convention qui prévoyait la reconnaissance
pure et simple de la répudiation. Sous la pression de nombreuses
associations, cette reconnaissance ne fut jamais ratifiée par le Parlement
belge.
Aujourdhui cette convention est totalement remise en question comme
il la été confirmé lors de la visite de travail
que le ministre de la Justice belge effectuait au Maroc ces 15 et 16 mai
dernier et durant laquelle il a rencontré le premier ministre, le
ministre de la Justice et le secrétaire dEtat aux Affaires
Etrangères. Ainsi, le ministre de la Justice belge reconnaît
que les règles contenues dans le Code de droit international privé
sont plus restrictives que celles qui se dégagent actuellement de
la doctrine et de la jurisprudence dominantes. Et pour cela, elles ne permettent
plus, techniquement, de ratifier la Convention. Le ministre de la Justice
belge a également souligné que, dans le cadre des nouvelles
règles en préparation, il ne sera plus possible pour les couples
marocains ou ceux dont lun des conjoints est bipatride et qui sont
installés en Belgique, de voir une répudiation prononcée
au Maroc reconnue en Belgique concluant aussi que «partant de
limpossibilité pour la Belgique denvisager la ratification
de la convention mariage-dissolution du mariage, mon Homologue marocain (ndlr
: le ministre de la Justice, Omar Azziman) et moi-même nous sommes
mis daccord pour créer un groupe de travail chargé
dexaminer dans le détail les règles du futur Code de
droit international privé afin de dégager des pistes nouvelles
pour la conclusion à moyen terme dune nouvelle Convention
bilatérale».
Par ailleurs, toujours dans le cadre de cette visite de travail, le ministre
de la Justice belge a évoqué «limpossibilité
juridique, soulignée par la partie marocaine, pour le droit marocain
de reconnaître la validité dun mariage non-musulman mais
a signalé quun débat était actuellement en cours
sur la réforme du statut personnel. Cette réforme prendra
néanmoins du temps».
3. Pourquoi soutenir le Plan dAction en Belgique ?
Le Comité de soutien au Plan que nous avons créé en Belgique veut soutenir ce Plan dAction car nous estimons que :
Le plan daction permettra de remettre de lordre dans la cacophonie légale daujourdhui où les femmes se retrouvent tantôt sous tutelle et inférieure dans leur vie familiale, tantôt adulte et responsable dotée de droits civiques (puisque la femme marocaine est éligible et peut voter), du droit à la scolarité et à lemploi.
Si le plan daction nest pas appliqué, il aura au moins eu le mérite de faire émerger dautres questions comme celle de la place de la femme marocaine au sein de la société. Cette question peut faire avancer le débat sur la démocratie car elle se situe au centre denjeux idéologico-politiques extrêmement forts. Lavenir de la femme inscrit dans légalité des droits fera émerger des actrices qui seraient le levier de changement dont le Maroc a besoin pour continuer sa route vers la démocratie.
Les femmes sont capables de donner à la démocratie un effet multiplicateur, par la voie de léducation. Elles doivent être soutenues dans cette mission en étant considérée comme une citoyenne à part entière, protégée au même titre que tout citoyen par la loi et non la subissant comme une menace suspendue au dessus de sa tête, telle lépée de Damoclès.
Le débat aura aussi permis aux militants, aux militantes, aux progressistes, aux mouvements féministes dévaluer leur action et de se repositionner stratégiquement et pédagogiquement. . Les forces progressistes ont réalisé que dans leur lutte pour les droits des femmes, les femmes rurales, les femmes défavorisées, analphabètes ont souvent été oubliées et que ces vides ont été rapidement investis par des courants extrémistes. Car où se trouvent les poches de résistance ? Il est trop facile de caricaturer et de procéder à des clivages douteux entre modernistes et traditionnalistes. La situation est bien plus complexe et il est parfois étonnant de constater que les femmes elles-mêmes sont consentantes, acceptent lordre patriarcal établi. Elles lacceptent au nom de la religion, au nom de la tradition, au nom des devoirs quelles ont été contraintes dassumer parfois sans beaucoup de maîtrise de leur bien-fondé et de leurs enjeux. Faire avancer la démocratie cest aussi avoir affaire à une société cohérente, ou du moins à une société qui aspire à donner du sens et de la cohésion à ses projets.
Faire avancer la démocratie, cest aussi avoir affaire à des instances différentes qui négocient, qui débattent. Cest lun des rôles du discours juridico-politique mais à ce stade ci du débat, il ne semble malheureusement pas sarticuler avec le discours de la société civile et est très peu relayé par les médias, surtout officiels. Les changements pourtant ne pourront seffectuer que par la conjugaison des forces de contre-pouvoir que représentent les mouvements associatifs féministes et progressistes et les forces de pouvoir qui sont celles du monde politique et de lEtat.
Le changement ne peut sopérer sans une participation plus grande des femmes au sein des sphères décisionnelles et donc politiques. Leur représentation au sein des instances décisionnelles ne peut être assurée que par une politique volontariste et énergique. Rappelons au passage quaujourdhui la Chambre des représentants compte deux députées, deux à la Chambre des conseillers et le gouvernement deux secrétaires dEtat féminines. Et force est aussi de constater que dans le processus démocratique engagé au Maroc, le monde politique éprouve visiblement beaucoup de peine à se positionner en faveur de lémancipation des femmes et de sa libération des jougs juridiques sous lesquels elles plient depuis des décennies. Après son lourd passé, le Maroc ne peut plus se contenter de gestes symboliques et timides. Ses décideurs doivent poser des actes concrets et forts pour faire accéder tous les citoyens Marocains, quils soient hommes ou femmes à une pleine et réelle démocratie. Je vous remercie de mavoir écouté.
Fatiha SAIDI,
Députée bruxelloise ECOLO
Membre du Comité de soutien au Plan-Belgique
Présidente de lAssociation Média Femmes
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