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La participation politique des allochtones en Belgique | Les Musulmans de Belgique (aspects institutionnels du culte) |
Pierre-Yves LAMBERT, février 1997
citations:
LAMBERT Pierre-Yves, "Les musulmans de Belgique. Quelques aspects de leur histoire politico-institutionnelle", L'Observateur-Gözlem (Paris), septembre 2000, n°3-4-5, pp.21-24, http://www.cfait.org/_immigration/analyse/32.htmlLe 3 juillet 1996, le gouvernement belge a discrètement promulgué un "arrêté royal relatif à l'Exécutif des Musulmans de Belgique" (Moniteur Belge 9/7/1996), produisant ses effets le 22 novembre... 1994 (article 15). Comme son prédécesseur, le "Conseil provisoire des Sages pour l'organisation du culte islamique en Belgique", il était en effet déjà constitué et officiellement reconnu avant sa consécration légale...
Il ne paraît pas inutile de faire un petit retour en arrière pour mesurer le chemin parcouru depuis fin 1989, époque où la représentation cultuelle des Musulmans de Belgique fit l'objet d'âpres débats et d'exploitations politiques, largement couverts par les médias.
L'école islamique, les cours de religion et le hidjab: un cocktail catalyseur
A la rentrée de septembre 1989, la première école primaire islamique de Belgique, Al Ghazali, ouvrit ses portes à Bruxelles, dans le respect le plus strict du cadre légal en matière d'enseignement. Il s'agissait d'une initiative du Centre Islamique et Culturel, organisme dont l'imam-directeur était, depuis 1974, le gestionnaire de facto du culte musulman reconnu par les autorités belges, principalement en matière de cours de religion islamique.
Cet événement enflamma notamment le ministre-président bruxellois Charles PICQUE (PS), qui avait fait de la "lutte contre l'intégrisme musulman" son cheval de bataille et un utile tremplin politique pour cet obscur conseiller communal appelé, quelques années auparavant, à exercer la charge de bourgmestre de Saint-Gilles en attendant que les factions du PS local se mettent d'accord pour désigner "définitivement" un successeur à Corneille BARCA. Des propos ouvertement racistes, et même des insultes directes émanant de "socialistes de base" à l'égard d'une affiliée d'origine marocaine, suivirent, en octobre, un discours "musclé" de Monsieur PICQUE à propos de l'Islam (citations coraniques, hors contexte, à l'appui) lors d'une assemblée générale du PS de Saint-Gilles...
Au cours d'un débat public le 17 novembre à Bruxelles, le directeur de cette école, Monsieur MANSERI, un Belge d'origine algérienne, déclara notamment que "son objectif est de permettre notamment aux jeunes Musulmans de se prendre en charge et de sortir du ghetto de l'enseignement - professionnel en particulier - tel qu'il est parfois ressenti dans certaines écoles de la capitale dont la population est composée pour la plus grande part d'enfants immigrés" et qu'"il est temps de mettre fin à l'intégrisme laïc qui se manifeste maintes fois à l'égard des communautés pratiquantes et qui dépasse souvent en intensité les autres formes d'intolérance" (Vers l'Avenir et La Libre Belgique 17/11/1989). Néanmoins, lors d'un entretien que l'auteur du présent article avait eu ce soir-là avec Monsieur MANCERI à l'issue de ce débat, celui-ci s'était déclaré fort intéressé par une éventuelle adhésion au Parti socialiste afin de tenter d'y infléchir les mentalités par trop intolérantes vis-à-vis des Musulmans et des personnes d'origine étrangère en général. Rappelons qu'aux élections régionales bruxelloises de juin 1989, ce parti avait présenté un candidat d'origine libanaise, Adel FAKIH, en place non éligible il est vrai, sur sa liste menée par... Charles PICQUE.
Le même PICQUE s'était notamment illustré par son refus, depuis 1987, d'organiser le cours de religion islamique dans les écoles communales saint-gilloises, attitude par laquelle il se rangeait aux côtés du bourgmestre schaerbeekois Roger NOLS, un "indépendant" à la frange extrême-droite et xénophobe du Parti Réformateur Libéral (droite), candidat de ce parti notamment aux élections européennes de juin 1989; il a finalement rejoint le Front National en 1995, à l'occasion d'élections législatives, puis, quelques mois plus tard, le "Front Nouveau", une dissidence de droite (!) du FN. L'Association d'union et d'entraide des parents musulmans avait intenté en juillet 1989 un procès contre les autorités communales de Saint-Gilles et de Schaerbeek pour cette raison, procès qui se déroula en novembre de la même année.
Le prétexte invoqué par ces communes et par leurs défenseurs était l'absence d'une représentation institutionnelle du culte musulman, absence due à la carence des gouvernements successifs qui n'avaient jamais appliqué les dispositions prévues par la loi sur la reconnaissance du culte musulman (19 juillet 1974) et par ses arrêtés d'exécution (arrêté royal du 3 mai 1978). Certains, comme le PRL Hervé HASQUIN, très laïc président du conseil d'administration de l'Université Libre de Bruxelles, estimèrent quant à eux que les deux bourgmestres avaient probablement, en choisissant de violer la loi, suscité la création de l'école islamique (La Libre Belgique 8/11/1989). Le juge JONNAERT, président du Tribunal de Première Instance de Bruxelles, rendit hommage au calme et à l'attitude respectueuse du nombreux public, quasi exclusivement musulman, venu écouter les plaidoiries à la chambre des référés...
Début novembre encore, une cinquantaine de parents d'origine marocaine, soutenus par une association de parents musulmans et par l'imam-directeur du Centre Islamique et Culturel, assignèrent en référé l'Exécutif de la Communauté française et le collège des bourgmestre et échevins de Molenbeek afin de faire reconnaître, à l'Institut Technique (communal) Edmond Machtens, le droit des jeunes filles qui le souhaitaient "de se couvrir la tête d'un foulard, tout en suivant les cours de manière parfaitement normale et de ne pas être obligées de se décoiffer". Quelque quatre cents Musulmans assistèrent à l'ouverture du procès, à nouveau présidé par le juge JONNAERT. Cette fois, la séance se déroulant un vendredi, une prière collective eut lieu dans une des salles du Palais de Justice, attirant l'attention des médias (La Dernière Heure 18/11/1989).
Plusieurs auto-organisations de tendances radicalement différentes s'exprimèrent dans la presse pour certaines, dans la rue et dans les mosquées pour d'autres, à l'occasion de cette controverse (Vers l'Avenir 10/11/1989).
L'Association des étudiants musulmans, basée à Molenbeek et liée à la Ligue d'entraide islamique, dans la mouvance des Frères Musulmans, avait distribué un tract où on pouvait lire (Le Soir 10/11/1989) : "...ce document te concerne, toi, jeune immigré. Aujourd'hui on s'attaque au voile, on interdit de parler l'arabe dans les écoles, demain que feront-ils ? Il est temps de réagir, que les autorités sachent que nous ne sommes pas des jouets."
La Ligue islamique belge (regroupant essentiellement des Belges d'origine étrangère et des "autochtones" convertis ) assurait par un communiqué de presse que "le port du voile est une observance religieuse obligatoire parce que commandée par Dieu et ne répond absolument ni à une oppression masculine, ni même au désir du mari et encore moins à une tradition rétrograde", "estimant qu'il s'agit de la défense du droit fondamental, pour les musulmans, à la liberté de leurs pratiques religieuses et que ce droit est garanti par la Charte internationale des droits de l'homme ainsi que par la Constitution belge" (Le Peuple 10/11/1989).
La Coordination des Associations Maghrébines (fondée par trois maisons de jeunes gérées par des personnes d'origine maghrébine de la mouvance socialiste (et laïque), Avicenne, Groupe Contact et Sensibilisation et Jeunesse Maghrébine, dont plusieurs membres furent candidats PS, et dans une moindre mesure Ecolo, lors des élections communales de 1994 et législatives de 1995 ) quant à elle, tout en critiquant le port du foulard, "imposition de la volonté religieuse masculine pour restreindre et façonner le comportement féminin", estimait néanmoins que "nul enfant ne peut être victime d'une exclusion qui serait contraire au droit à l'enseignement et à l'obligation de scolarité" et ajoutait qu'"il serait temps de réunir tous les acteurs de cette problématique pour trouver un terrain d'entente et dégager des solutions durables".
La réponse des autorités: paternalisme contre auto-émancipation
Le ministre de l'Education de la Communauté française, Yvan YLIEFF (PS), adopta une attitude ouverte et tolérante au cours de cette polémique, mais il est significatif qu'il entama des consultations "tous azimuts" (Le Peuple 8/11/1989) d'une part auprès de divers organes de l'enseignement officiel ou catholique (Conseil de Concertation de l'Enseignement Officiel, Conseil Pédagogique de l'Enseignement de la Communauté [française], administration du Ministère de l'Education, Secrétariat National de l'Enseignement catholique), d'autre part auprès de la Fédération des Associations de Parents d'Elèves de l'Enseignement Officiel (FAPEO), laquelle ne comptait quasiment aucun parent musulman parmi ses membres...
Dans une tribune libre publiée par Le Soir du 9 novembre, Larby AYARI, intellectuel maghrébin de Belgique, souligna que "l'observation saine et méthodique nous montre qu'il s'agit là [création de l'école islamique en Belgique et d'un parti politique islamique en Grande-Bretagne] d'un mouvement de structuration d'une communauté qui passe du stade de la "simple immigration" à un début d'auto-organisation en tant que minorité culturelle", à l'instar de ce qui s'est passé aux Etats-Unis.
Le même jour, dans la même rubrique du même journal, Hervé CNUDDE (membre du conseil général de la Ligue des droits de l'homme) prônait la mise en place "par désignation" d'un "conseil de sages composé de personnalités reconnues parmi les résidents musulmans d'origine marocaine et turque", comme "pour créer l'organe de direction des émissions religieuses islamiques à la télévision française", "entre autres parce que ce mode de désignation est plus familier au monde religieux de l'islam que des élections"...
Le 17 novembre, à l'occasion de la conférence évoquée plus haut, un conseiller municipal communiste de la banlieue parisienne, Toufik BAALACH, après avoir abordé la question du foulard islamique, estima que la question essentielle devait porter sur "la place en tant que citoyen des Musulmans en France, en Belgique ou ailleurs": "tout le reste n'est que folklore !", et de conclure en réclamant une plus large représentativité des interlocuteurs de la religion islamique (Vers l'Avenir, La Libre Belgique, La Lanterne 17/11/1989). Ce n'était pas là l'opinion de Monsieur MANSERI, pour qui, "que vous le vouliez ou non, le Centre islamique [et culturel] représente toute la communauté musulmane, tous les immigrés sans exception depuis 1968", "il est bien reconnu par le gouvernement belge" (Nouvelle Gazette de Charleroi 21/11/1989).
Au même moment, on apprit alors que, suite à une demande introduite par... l'Exécutif régional bruxellois, le premier ministre Wilfried MARTENS (CVP) allait convoquer une conférence ministérielle ad hoc "afin d'examiner l'organisation de la représentation officielle de la communauté islamique en Belgique", conférence à laquelle seraient conviées les Communautés et les Régions (La Dernière Heure 8/11/1989). On savait que le ministre de la Justice Melchior WATHELET (PSC) envisageait la création d'un Conseil Supérieur des Musulmans de Belgique, mais ce projet avait été remis en cause après l'assassinat en février 1989 de l'imam-directeur du Centre Islamique et Culturel, son principal partenaire dans l'élaboration de ce projet.
Un semblable projet avait déjà été envisagé dès 1985 par le prédécesseur de Monsieur WATHELET, Jean GOL (PRL), mais avait été abandonné suite aux critiques émises par le Conseil d'Etat (Monique RENAERTS, "L'historique de l'Islam en Belgique et la problématique de sa reconnaissance", in: "Aspects de l'Islam", Cahiers de l'Institut de Philologie et d'Histoire Orientales, U.L.B., 1996, n°3, pp. 51-63). Pour mémoire, la reconnaissance du culte musulman, aux côtés des autres communautés confessionnelles et philosophiques, avait été réglée par la loi du 19 juillet 1974, dont les arrêtés d'exécution ne furent adoptés que quatre ans plus tard, dans l'arrêté royal du 3 mai 1978. Ce dernier prévoyait la mise sur pied de "comités chargés de la gestion des intérêts temporels des communautés musulmanes en matière de culte, ainsi que de leur représentation dans leurs rapports avec l'autorité civile", mais ne fut jamais appliqué.
Des élections proposeés, puis contestées
C'est alors que, fin novembre, le Commissariat Royal à la Politique des Immigrés accoucha, après neuf mois d'existence, d'un volumineux rapport intitulé "Intégration, une politique de longue haleine". Et les "intégristes laïcs", principalement au sein de la Fédération Bruxelloise du Parti Socialiste, ainsi que les courants politiques xénophobes, virent dans ce rapport une véritable déclaration de guerre: la proposition de procéder à l'élection dans les mosquées d'un Conseil supérieur des Musulmans qui remplacerait, avant la fin de l'année scolaire, le Centre Islamique et Culturel comme interlocuteur officiel de l'Etat belge. En fait, ce Conseil aurait été composé de douze personnes élues et de cinq cooptées en raison de leur autorité morale, intellectuelle ou scientifique (Martine VANDEMEULEBROUCKE, "Immigration: des pistes pour un Conseil des Musulmans", Le Soir 24/11/1989 et Eric DE BELLEFROID, "Un organe démocratique pour représenter l'islam", La Libre Belgique 24/11/1989).
Quelques jours plus tard, le tribunal des référés de Bruxelles trancha dans les deux litiges dont il avait été saisi: dans les écoles, y compris à Molenbeek, le foulard islamique pourrait être porté en classe, mais... pas ailleurs (cours de récréation entre autres), et les pouvoirs publics, y compris à Saint-Gilles et à Schaerbeek, étaient tenus d'organiser les cours de religion islamique (Nouvelle Gazette 2/12/1989)... Néanmoins, le tribunal reconnut, et ce fut là une victoire partielle pour Charles PICQUE, le vide juridique né de l'absence d'un ministre du culte islamique et d'un organe démocratique pour représenter les Musulmans de Belgique. Un conseiller communal schaerbeekois d'opposition souligna à cette occasion qu'il serait temps pour les autorités nationales et communautaires de mettre en pratique l'arrêté royal de 1978, prévoyant l'élection démocratique de ministres du culte islamique par toute la communauté musulmane, en dehors de tout monopole du Centre Islamique et Culturel (Georges VERZIN, du groupe libéral de gauche IDS, opposé à Roger NOLS, cf. La Lanterne 2/12/1989). Quelques jours plus tard, à l'occasion d'un débat au conseil communal d'Ixelles, le FDF Basile RISOPOULOS mettait en cause "les ministres de l'Education qui se sont succédé [et] n'ont jamais rien fait pour avoir en face d'eux des interlocuteurs islamiques représentatifs de la communauté musulmane": "il faut ramener le problème du foulard à sa juste dimension" (Le Soir 8/12/1989).
Les "Sages" du gouvernement belge et les élus des Musulmans de Belgique
Dans le même temps, à l'initiative du Centre Islamique et Culturel et de "la plupart des responsables des groupements cultuellement représentatifs de la communauté musulmane, ainsi que les imams" (Monique RENAERTS, op. cit., p.58), fut mis en place un Comité préparatoire à ces élections. Le Commissariat Royal fit alors savoir que la création d'un Conseil Supérieur des Musulmans de Belgique ne constituait pas une décision, mais une proposition, élaborée en contact avec le Ministère de la Justice, des représentants du Centre Islamique et Culturel, d'autres Musulmans, ainsi que quelques universitaires spécialisés.
Les élections eurent quand même lieu le 13 janvier 1991 dans les mosquées "marocaines", malgré l'avis contraire diffusé sous forme de lettre-tract par l'Ambassade du Maroc, ainsi que dans les mosquées "turques" indépendantes du gouvernement turc. Le gouvernement belge tenta de les empêcher en entreprenant, significativement, des démarches auprès de l'imam-directeur du Centre Islamique et Culturel, une association internationale n'émanant aucunement des communautés musulmanes de Belgique, et des ambassades du Maroc et de Turquie, toujours prêtes à agir pour museler les velléités démocratiques de "leurs" ressortissants à l'étranger. Vingt-six mille des trente-deux mille électeurs inscrits participèrent à ces élections, dont fut issu un Conseil Général, lequel désigna un Conseil Supérieur des Musulmans de Belgique de dix-sept membres, présidé par un des trois membres cooptés, Yacine BEYENS, un Belge "de souche" converti (Monique RENAERTS, op. cit., p.59). Ni le Conseil Général ni le Conseil Supérieur ne furent reconnus par les autorités belges.
Pour contrecarrer ce processus de désignation démocratique, le gouvernement belge mit en place, en mars 1990 (officialisé par arrêté royal le 16/11/1990), un "Conseil provisoire des Sages pour l'organisation du culte islamique en Belgique", composé de 17 membres, dont 3 représentants du Centre islamique et Culturel, qui refusa de les occuper et de reconnaître ainsi une quelconque légitimité à cet organe. La quasi totalité des membres d'origine turque furent désignés par l'instance religieuse officielle de l'Etat turc, la Fondation Religieuse Turque (Diyanet Türk Vakfi), les autres membres, d'origine turque ou arabe, par les "piliers" (parti et syndicat) socialiste et social-chrétien, parfois presque contre leur gré. Certaines personnes non religieuses furent contactées pour siéger dans cet organe, mais elles refusèrent, estimant que l'organisation du culte ne pouvait être assumée que par des Musulmans croyants et non seulement "sociologiques". D'autres n'eurent pas autant de scrupules et des candidats, pourtant connus pour leur athéisme ou leur non-respect des prescriptions religieuses, se proposèrent spontanément, notamment au sein du Parti socialiste.
Le "Conseil des Sages" n'eut qu'une éphémère existence de moins de deux ans, aucunement reconnu par les personnes au nom desquelles il était censé s'exprimer. Des "Comités techniques" successifs furent mis sur pied pour gérer l'enseignement de la religion islamique. Le premier, constitué à l'initiative du "Conseil des Sages", fut accusé par ses détracteurs de pratiquer le clientélisme dans la désignation de nouveaux enseignants. Le second, "Comité technique bis", fruit de négociations fort discrètes entre des émissaires du gouvernement belge et les diverses organisations musulmanes, fut composé de cinq Musulmans "pratiquants" (par opposition à "sociologiques") répondant à des critères très stricts, et exerça ses activités de fin 1992 à fin 1994.
Entre le début 1993 et la fin 1994 eurent lieu de nouvelles négociations, tout aussi discrètes, qui débouchèrent finalement, en octobre 1994, sur la reconnaissance par le Ministère de la Justice d'un "Exécutif des Musulmans de Belgique" comme interlocuteur.
Vers une reconnaissance politique des citoyens musulmans de Belgique
A la différence de feu le "Conseil des Sages", l'"Exécutif des Musulmans" semble bénéficier d'une légitimité assez large au sein des communautés musulmanes de Belgique (notons néanmoins que des problèmes se sont posés pour la représentation des courants turcs ne se reconnaissant pas dans la Fondation Islamique Turque, c'est-à-dire principalement les mosquées Milli Görüsh, branche extérieure du parti islamiste Refah), bien que le "Conseil Supérieur des Musulmans de Belgique", dont firent partie certains de ses membres actuels, poursuive son existence et continue à réclamer l'organisation d'élections, seules susceptibles de conférer à un tel organe une légitimité indiscutable.
En effet, comme l'a très justement noté l'éminente islamologue Monique RENAERTS à propos de l'élection du Conseil Général des Musulmans en janvier 1991, "pour la majorité des musulmans d'origine étrangère, c'était la première fois de leur vie qu'ils avaient l'occasion de se rendre aux urnes" (Monique RENAERTS, op. cit., p.59). Cette observation ne doit néanmoins pas faire oublier que les travailleurs non-belges étaient déjà électeurs et éligibles aux élections sociales dans leur entreprise depuis plus de quinze ans.
Cinq ans plus tard, la situation a considérablement évolué en raison de l'accroissement des naturalisations et des options de nationalité et, de plus en plus, les Musulmans de Belgique, quelle que soit leur origine ethnique, sont des citoyens belges à part entière. Depuis la mise sur pied de l'Exécutif au printemps 1994 et sa reconnaissance, il y a eu des élections communales (octobre 1994), puis législatives (mai 1995), qui ont vu l'élection d'une trentaine au moins de personnes musulmanes ou d'origine musulmane (ils n'étaient que quatre auparavant, dont trois écologistes et un CVP) au sein des conseils communaux ou de l'aide sociale dans les trois Régions du pays, puis au sein du Parlement régional bruxellois, tant sur des listes socialistes ou écologistes que social-chrétiennes ou FDF. Des fidèles de mosquées bruxelloises (principalement dans la commune de Molenbeek) nous ont rapporté les appels de certains prédicateurs à voter pour les partis écologistes, notamment pour le candidat Mostafa OUEZEKHTI.
Contrairement à la précédente génération de Musulmans militant dans des partis politiques "belges", notamment au PS, certain(e)s de ces élu(e)s, principalement à Ecolo, ne sont pas seulement des "Musulmans sociologiques" et accordent donc une plus grande attention aux affaires cultuelles (le député régional Mostafa OUEZEKHTI notamment, coordinateur d'un forum "Vers une reconnaissance du culte musulman" dans le cadre des "Etats généraux de l'écologie politique"). A Schaerbeek, où plusieurs élus locaux du FDF (notamment le conseiller communal Khalil ZEGUENDI et l'échevin de la jeunesse Michel DE HERDE) avaient participé en 1995 à au moins une réunion pré-électorale dans la mosquée Kouba, ce sont deux édiles (non-musulmans) de ce parti qui ont publiquement suggéré la création d'un carré musulman dans le cimetière communal fin 1996 (Michel DE HERDE et l'échevin de l'état-civil Jean-Pierre VAN GORP, cf. e.a. La Lanterne 3/11/1996; à Louvain par contre, le bourgmestre Louis TOBBACK, président du SP, a rejeté la "constitution d'un ghetto [musulman] dans le cimetière communal", cf. Het Laatste Nieuws 20/11/1996).
L'attitude plus ou moins constructive et tolérante des responsables politiques et des élu(e)s, musulman(e)s ou non, aura probablement une incidence non négligeable sur le processus d'intégration politique de ces nouveaux citoyens, et par conséquent aussi sur le libre choix de leurs représentants chargés de gérer le culte islamique. L'attitude paternaliste des autorités belges à l'égard des Musulmans, héritée du passé politique de la Belgique vis-à-vis des ouvriers, des femmes ou des Congolais, ne sera peut-être alors plus qu'un mauvais souvenir : début 1997, on a pu voir au journal télévisé un certain Charles PICQUE, recordman du titre de "Bruxellois de l'Année", décerné par les lecteurs de l'hebdomadaire toutes-boîtes "Vlan", passer le flambeau à la Bruxelloise de 1996, Nabela BEN AÏSSA, une jeune fille musulmane coiffée du foulard islamique...
Pierre-Yves
LAMBERT
(article rédigé
en février 1997 pour Nouvelle Tribune (Bruxelles),
refusé;
publié en septembre 2000 sous le titre "Les musulmans de
Belgique.
Quelques aspects de leur histoire politico-institutionnelle"
dans L'Observateur-Gözlem
(Paris), septembre 2000 n°3-4-5, pp.21-24)