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Politique contractuelle dintégration en Belgique (30/10/1999)
Politique contractuelle dintégration en Belgique
(30/10/1999)
La volonté du gouvernement de régulariser sous conditions les illégaux dénote le souci dassurer à chaque résident le droit à la citoyenneté. Le corollaire embarrassant de cette politique douverture est la possibilité de lexpulsion forcée de ceux qui ne satisferont pas aux conditions requises. La méfiance est alors de mise devant cette dynamique biphasée marchandée. Faut-il risquer la sortie au grand jour ? LEtat est-il bien intentionné ? Pourquoi le délai de constitution du dossier est-il si court ? Et pourtant, lespoir de sortir dun long tunnel noir est immense et nombreux sont ceux qui nhésitent pas à tenter le coup. Cette atmosphère est assez similaire sur plusieurs points à celle qui a entouré le processus de suffrage des musulmans lannée dernière. Elle est diffusée et sous-tendue par une politique contractuelle dintégration.
Gros plan sur les communautés musulmanes... Celles-ci forment un tableau richement impressionniste dont la vision de loin présente la silhouette dune collectivité au même rérérend religieux, et dont la vision de près fait apparaître, par la variété colorée des touches successives, un ensemble de réalités culturelles et politiques.
Pourtant, malgré ce polymorphisme, les musulmans se sont inscrits en masse dans le processus électoral qui devait conduire à la formation dun organe représentatif habilité à gérer le temporel du culte.
Dautant plus, que la route fut parsemée dembûches en tout genre : de la distribution de tracts appelant à ne pas voter à la croisade politique, de la réserve sinon de lhostilité larvée des pays dorigine à lexploitation médiatique des grandes peurs de loccidental vis-à-vis de lislam (intégrisme) ou du musulman vis-à-vis de la société daccueil (contrôle étatique policier). Le temps fut pourtant le principal ennemi : quelques mois pour expliquer le processus électoral, enregistrer les électeurs et encoder les données électorales, faire connaître les candidats et organiser les bureaux de vote le temps pour vaincre les méfiances des uns et des autres basées sur les souvenirs du passé et les craintes du futur.
Et pourtant, lorgane élu a été reconnu et les textes légaux ont été modifiés. Sans vouloir faire lapologie des événements, ni sexalter sur cette primeur dans le monde occidental, il faut reconnaître que la Belgique sert en quelque sorte de laboratoire dessai. Dans un contexte historique, politique et juridique déterminé, dans un imaginaire collectif redessiné à la suite dévénements traumatisants (Loubna), une expérience a été courageusement tentée qui, en particulier, définit les rapports entre les musulmans et lEtat, et, en général, pose la possibilité de léquation entre lagréation dintérêts collectifs basés sur une identité religieuse, et lintégration individuelle citoyenne.
Une voix médiane entre lapproche assimilatrice (accepter lautre en rejetant sa différence) et lapproche insertionnelle ( lautre reste un étranger aux différences constantes) a été tentée très concrètement vis-à-vis dune communauté réputée bouillonnante et contrastée dans le paysage communautaire : lintégration. Les musulmans sont invités à sinvestir dans la société et lenrichir si et seulement sils respectent les valeurs fondamentales de la société daccueil : la tolérance, les principes démocratiques, et le respect de lEtat de droit. Ce fut dailleurs la condition exprimée par le gouvernement pour la mise en place de l'instance religieuse officielle. La commission daccompagnement et les observateurs dépêchés par le CECLER dans les bureaux de vote furent notamment lexpression dun contrôle de lobservation du contrat. Comment les musulmans ont-ils réagit par rapport à ce cadre contractuel imposé ?
Pour y répondre, il faut retourner à la journée du 13 décembre 1998 et analyser les comportements de vote.
Plus que les données quantitatives, latmosphère électorale donne des indices sur les attentes réelles des communautés musulmanes. La presse les décrit : « les musulmans étaient heureux de voter », » le vote des musulmans leur donne représentants et fierté », « une ambiance bon enfant », « un vote pour détruire une mauvaise image de marque », « dit is oefening in democratie », « moslimverkiezingen tonen eenheid in diversiteit »
Les musulmans se sont donc exprimés non pas dans un cortège de revendications à partir de leur identité religieuse, mais dans une volonté explosive de saffirmer en tant que citoyen et de contribuer à changer sensiblement limaginaire collectif. Cette manifestation, antithèse de la dynamique de repli, était une allégeance davantage consacrée au « vouloir-vivre ensemble » quau multiculturalisme et théorique droit à la différence.
Lorgane élu, dénué de toute couleur politique, nest , bien entendu, pas destiné à une quelconque conquête prosélithique des consciences musulmanes. Son rôle est de gérer les affaires du culte dans le respect de la loi et de définir les statuts des acteurs religieux. Mais, immanquablement, cette gestion dans lespace public va progressivement moduler le métissage dune nouvelle identité centrée autour dun islam de Belgique. La décrispation des mentalités, la multitude des contacts obligés entre musulmans et administrations publiques, le repositionnement des partis et la réflexion critique sur les avantages constitués des Eglises établies, louverture du droit à la citoyenneté par lacquisition de la nationalité, sont parmi les facteurs qui peuvent accélérer ce processus. Au contraire, les problèmes socio-économiques (discrimination sociale, chômage) peuvent le freiner.
La modulation devrait sopérer sous linitiative de forces réductrices des différences culturelles dorigine, et de forces inductrices incitatives à lintégration de lindividu en tant que porteur dune identité religieuse et en tant que citoyen respectueux de ses devoirs.
Les musulmans de Belgique, sils relèvent le défi de leur cohésion identitaire et des paradoxalités de leur mixage culturel, pourraient alors davantage investir à léchelle individuelle les institutions intégrantes (école, armée, entreprise) et les intermédiaires traditionnels existants (partis, syndicats, associations). Dans une société qui se dépiliarise et abandonne ses vieux clivages politiques et philosophiques, dans une laïcité moderne qui reconnaît lapport de valeurs appartenant à des mondes différents, les musulmans devraient répondre à linvitation citoyenne qui leur est offerte et casser larchétype dune culture cohabitante, cloisonnée et hermétique au dialogue. En se fondant dans la société, ils devraient, par leur participation, générer un imaginaire collectif plus imperméable aux événements extérieurs et plus réceptif à une congruence avec la réalité du contexte journalier.
Et peut-être alors ne parlerons-nous plus dintégration tant individuelle que collective?
Dr Didier Yassin Beyens
10 décembre 99
1. Une aventure
Pour certains dentre nous, laventure a commencé en 1991.
Nous étions alors quelques uns, assis dans un petit local du Centre Islamique, à discuter de la reconnaissance du temporel du culte islamique. Bien quanimés dune bonne volonté et dune certaine naïveté , nous étions tout à fait inexpérimentés pour la tâche qui nous attendait.
Une tâche ingrate, puisque le nouveau conseil élu dont nous avions la responsabilité fut désavoué déjà avant la tenue des élections proprement dites même si quelque 26000 musulmans (1/3 de procuration) y avaient participé un bébé mort-né, en quelque sorte
" Un Conseil sans légitimité " " Un Conseil mystérieux de composition douteuse ", diront certains. Ce qui est certain, ce que personne ny croyait ! Dautant plus que différents événements avaient dégradé le climat autour de la problématique musulmane : laffaire du foulard, de Salman Ruchdie, de lécole islamique, du FIS algérien sans oublier lassassinat 2 ans auparavant du directeur du Centre islamique et de son bibliothécaire.
Huit ans plus tard (26 février 1999)
Nous sommes au Ministère de la Justice. Une conférence de presse est organisée. On reconnaît alors un organe issu lui aussi délections (plus de 70000 inscrits - pas de procuration) mais on lui confère lautorité dun " organe chef de culte ", habilité à gérer le temporel du culte musulman. Une " primeur dans le monde occidental " diront certains.
Que sest-il passé en 8 ans ?
Il serait difficile de détailler les différents événements et acteurs de cette période qui se caractérise par la recherche de solutions alternatives et temporaires, adaptées à un contexte changeant, toujours dans le but de solutionner lépineuse question de la représentativité musulmane
Pour nous éclairer davantage, considérons différentes périodes entrecoupées par des événements qui vont générer la transition : des événements " charnière ".
2. Des périodes et des événements
1ère période : les compromis et les changements de mentalité
- mars 1991 : élection dun Conseil Supérieur (CSMB,17 membres) qui repose sur un Conseil général
- 1992 : mise en place dun Comité technique (5membres), compétent pour la désignation des enseignants de religion islamique ; fin de la mission du Conseil des Sages
Les affaires de culte se dissocient alors des affaires politiques
- printemps 1993 :mise en place dune Assemblée constituante dont émane lExécutif des Musulmans de Belgique (EMB,17membres)
- septembre 1994 : pétition signée par les " Universitaires (220) pour les droits de lislam " en faveur dun traitement non discriminatoire de lislam belge
- 5 novembre 1994 : lettre du Ministre de la Justice au congrès 2O ans dislam en Belgique du CSMB annonçant quil reconnaît lEMB (" un drôle de compromis belgo-musulman ")
- décembre 94 : interpellation du Ministre de la Justice par le sénateur Dufour
- mars 1995 : le Ministre de la Justice essaie de faire passer sur le quota du fonds dimpulsion de la politique dintégration un crédit (1,5 million) destiné à lEMB et se heurte au refus du Ministre Picqué
Cet incident permet de dissocier les affaires liées à limmigration des affaires liées au culte. La politique dintégration des populations immigrées se résume essentiellement à linsertion sociale, lemploi et la lutte contre le décrochage scolaire. En aucun cas, reconnaître un culte ne pourrait être une affaire dintégration !
- décembre 95 : publication du 2ème rapport du CECLER
- mai 1996 : prolongation du mandat de lEMB suite au rapport dévaluation
- 03 juillet 1996 : arrêté royal relatif à lEMB
- janvier 1997 :forum organisé par Ecolo
- mars 1997 : Ecolo propose une résolution pour reconnaître lislam belge au nom de la citoyenneté
Entre les affaires liées à limmigration et les affaires liées au culte, une troisième composante sindividualise :lintégration citoyenne. Il faut ouvrir la citoyenneté aux immigrés en leur facilitant lacquisition de la nationalité, comme il faut ouvrir la citoyenneté aux musulmans en leur facilitant la reconnaissance du culte.
La population musulmane fait partie intégrale et permanente de la société.
Evénement en mars 1997 : enterrement télévisé de Loubna et attitude citoyenne et responsable de Nabela
2ème période : intérêts pour la question musulmane
- 18 mars 1997 : le Roi sintéresse à la question musulmane
- juin 1997 : la problématique des cimetières est revue par le Ministre de lintérieur et soulevée par différents députés
- mai 1997 : propositions du PAC pour une nouvelle citoyenneté : faciliter la naturalisation et reconnaître lislam
- 22 avril 1997 : lettre adressée au Ministre de la Justice par lEMB lui demandant de réfléchir à des élections dans la communauté musulmane .et moins de 2 mois plus tard
- 24 juin 1997 : réponse du Ministre de la Justice qui attend alors des propositions
- avril 1998 : le CECLER lance les Etats généraux et insiste sur les perspectives liées au culte islamique
- 22 mai 1998 : les propositions de lEMB sont concrétisées par un dossier remis au Ministre de la Justice
Au cours de cette période, les communautés musulmanes sont perçues par la population autochtone avec davantage de sympathie. Mais les musulmans restent extrêmement sceptiques sur la possibilité de régler définitivement la question de la représentativité : déjà échafaudés par de premières expériences, dans une période de crise économique , pourquoi est-il imaginable de la part dun Etat d " aider " une communauté se sentant déjà tant discriminée et rejetée ? !
- Evénement le 15 juin 1998 : la décision historique par le conseil des Ministres daccepter des élections dans la communauté musulmane
- " cest la première fois dans lhistoire récente quon assiste à la structuration dune religion par la voie délections ", " belangrijke intégratiemaatregel intien jaar ", lira-t-on dans la presse.
3ème période : préparatifs et oppositions
- un arrêté royal autorise lEMB à organiser les élections (24 juin 1998)
- 21 juin 1998: lEMB invite à un forum tous les acteurs musulmans (près de 1500) de Belgique pour débattre de la formation de linstance représentative
- octobre 1998 : le sheikh El Quardaoui intervient à la TV el jazira pour soutenir le processus et le cautionner, tout en légitimant le travail des gestionnaires par rapport à celui des savants.
- 24 septembre 1998 : publication dun arrêté royal relatif à une Commission daccompagnement
- Audition à la COCOF, conférence-débât avec démocratie-plus
- Période dinscription des électeurs et des candidats (264 candidats dont 16 femmes), travail très lourd dencodage, supervision par la commission , travail dinformation par les délégués (300-1/3 femmes) de lEMB
Parallèlement, dans cette période de préparatifs, toute une série doppositions vont se manifester. La presse francophone va abondamment les relayer :
- Le Comité de vigilance qui insiste sur le manque de concertation et la mise en place dun état policier (" inscriptions=danger :vous serez tous fichés !),
- interventions répétées du député Simonet qui parle dun processus illégal et du noyautage du processus par des radicaux ,
- le Centre culturel arabe soulève le spectre de lintégrisme,
- un imam de Molenbeek distribue des tracts au nom du Centre islamique belge (confusion avec la grande Mosquée du Cinquantenaire) et ironise en dénonçant la trahison par Ali BABA et les 40 voleurs.
Il suffit de lire la presse dalors pour comprendre oh combien lEMB doit évoluer dans un climat particulièrement difficile : " boycott des élections ? ", " la représentation de lislam fait des vagues ", " zizanie dans les mosquées ", " des élections mal emmanchées ", " le processus serait-il illégal ? ", " des élections contestées et des méthodes moyenâgeuses orchestrées avec laval du gouvernement ", " les futurs représentants des musulmans de Belgique seront-ils des islamistes purs et durs ? "
Dautant plus que linstance organisationnelle est suspectée de vouloir se remettre en piste par le biais délections tronquées, faussement démocratiques, et par un système complexe de cooptation.
Le processus de préparation des élections va néanmoins être sauvé par lannonce, le 04 novembre 1998, de linscription de plus de 72000 musulmans (2/3 hommes, 80% préférence pour la mosquée). La presse sera alors plus clémente, parlant dun succès inespéré. Des sympathies diverses vont alors soudainement se manifester.
Mais la période de répits est brève. LEMB poursuit son travail avec limprimerie, sélectionne par tirage au sort les lieux de vote (mosquées) puis en ajoute dautres selon des critères déterminés (85) , interpelle les bourgmestres pour lobtention des lieux publics (18), constitue des bureaux de vote (1 Président , 4 assesseurs par mosquée , 2 observateurs) parfois dédoublés. Au total, une équipe de près de 900 personnes est constituée en collaboration avec le CECLER ; ils sont autant dhommes et de femmes, de toutes les nationalités, inexpérimentés dans la technique électorale.
Evénement 13 décembre 1998 : le vote
Les musulmans sont plus de 46000 à se déplacer dans le lieu de vote qui leur a été désigné. La presse souligne lévénement : " le vote des musulmans leur donne représentants et fierté ", " une ambiance bon enfant malgré quelques problèmes dorganisation ", " dit is oefening in democratie ", " moslimverkiezingen tonen eenheid in diversiteit ", " lislam placé sur un plan d égalité totale avec les autres cultes en Belgique ", " Belgique : lislam en rang serré ", " une première en Europe ", " un succès de foule pour le vote des musulmans de Belgique ", " une journée historique "
La Commission contrôle tous les documents électoraux. Le processus alors validé, lEMB procède à une cooptation en deux tours (05 janvier et 15 janvier 99). Soixante jours après les élections, tous les documents électoraux sont détruits en présence dun huissier mandaté par le Président de la Commission daccompagnement.
4ème période : période de doute : intégrisme, représentation des femmes, " screening ", lacunes légales
Après les élections, une salve de critiques en tout genre va animer la période la plus délicate du processus. Les clauses du contrat sont sans cesse rappelées à lEMB : lEtat de droit interviendra en fin de parcours. Il faut alors faire preuve de la plus grande vigilance et souplesse pour que les attentes des électeurs aboutissent à bonne fin et que les engagements pris soient respectés.
Les presses francophone et surtout flamande sont alors très locaces pour souligner les aléas et multiples péripéties de laventure musulmane : " les intégristes dans le collimateur de la Sureté ", " le processus en péril " ," Danger de mainmise intégriste ", " Kandidaten voor moslimraad onder de loep "," zuivere lijst ", " naar een schone lijst ", " moslims kiezen enkele islamitische blokkers ", " moslimraad telt slechts één vrouw meer "
Evénement le 25 février 1999 : présentation de la liste des membres par lEMB lors dune conférence de presse au Ministère de la Justice
Cest le jour de la reconnaissance : " malgré les embûches, lislam est enfin représenté ", " le culte musulman a ses gestionnaires ", " un interlocuteur officiel pour les musulmans "
5ème période : la reconnaissance légale de lorgane représentatif des musulmans
- le 10 mars 1999 : dispositions modifiant la loi du 04 mars 1870 sur le temporel du culte
- le 03 mai 1999 : arrêté royal portant reconnaissance de lEMB
- le 04 mai 1999 : arrêté royal portant reconnaissance des membres de lEMB
Nous pouvons dire que la période de juin 98 à février 99 fut riche en rebondissements : à un événement heureux succédait une période de polémiques et de critiques. Cest dailleurs à cause de cela que la presse sy est intéressée apportant une publicité indirecte pour le processus électoral. Dautant plus que le suspense était au rendez-vous :jusquau dernier jour, personne ne pouvait présager de lissue finale du processus de suffrage.
Lévénement le plus important de ces huit années nest ni la décision historique daccepter des élections, ni la reconnaissance de lEMB, ni la publication des textes légaux peut-être la surprise au début de novembre 98 devant le nombre délecteurs musulmans inscrits
Cest en fait la journée du 13 décembre 1998, animée par quelques dizaines de milliers de musulmans, qui est lélément révélateur dun fait nouveau quil faut appréhender différemment.
3. Un pacte
Gros plan sur les communautés musulmanes...
Celles-ci forment un tableau richement impressionniste dont la vision de loin présente la silhouette dune collectivité au même référent religieux, et dont la vision de près fait apparaître, par la variété colorée des touches successives, un ensemble de réalités culturelles et politiques.
Pourtant, malgré ce polymorphisme, les musulmans se sont inscrits en masse dans le processus électoral de décembre 1998 avec, à la clef, à lissue de cette forme de concertation populaire proche du principe de " shoura ", la constitution dun organe représentatif habilité à gérer le temporel du culte. Ils furent plus de 70000, âgés de plus de 18 ans et en Belgique depuis plus dun an, à souscrire au pacte proposé par linstance religieuse organisatrice des élections (EMB).
Ce pacte sarticulait autour dune invitation offerte à toutes les sensibilités musulmanes en vue de participer à des élections démocratiques pour la mise en place dun organe religieux, lui-même destiné à combler le vide juridique pour la reconnaissance complète du culte.
Mais la route fut parsemée dembûches en tout genre : de la distribution de tracts appelant à ne pas voter à la croisade politique, de la réserve sinon de lhostilité larvée des pays dorigine à lexploitation médiatique des grandes peurs de loccidental vis-à-vis de lislam (intégrisme) ou du musulman vis-à-vis de la société daccueil (contrôle étatique policier). Ce fut pourtant le temps le principal ennemi : quelques mois pour expliquer le processus électoral, enregistrer les électeurs et encoder les données électorales, faire connaître les candidats et organiser les bureaux de vote le temps pour vaincre les méfiances des uns et des autres basées sur les souvenirs du passé et les craintes du futur.
Et pourtant, lorgane élu a été reconnu et les textes légaux ont été modifiés.
Sans vouloir faire lapologie des événements, ni sexalter sur cette primeur dans le monde occidental, il faut reconnaître que la Belgique sert en quelque sorte de laboratoire dessai. Dans un contexte historique, politique et juridique déterminé, dans un imaginaire collectif redessiné à la suite dévénements traumatisants (Loubna), une expérience a été courageusement tentée qui :
- en particulier, définit les rapports entre les musulmans et lEtat (un " organe chef de culte " avec toutes ses prérogatives, offrant une plate-forme officielle de dialogue), et,
- en général, pose la possibilité de léquation entre lagréation dintérêts collectifs basés sur une identité religieuse (les musulmans), et lintégration individuelle citoyenne. (participation de ces musulmans dans la société)
4. Un contrat
Une voix médiane a été tentée très concrètement vis-à-vis dune communauté réputée bouillonnante et contrastée dans le paysage communautaire, entre :
- lassimilation (accepter lautre en rejetant sa différence) ,et
- linsertion ( lautre reste un étranger aux différences constantes).
Il sagit dune formule dintégration : les musulmans sont invités à sinvestir dans la société et lenrichir si et seulement sils respectent les valeurs fondamentales de la société daccueil : la tolérance, les principes démocratiques, et lEtat de droit. Ce fut dailleurs la condition exprimée par le gouvernement pour la mise en place de l'instance religieuse officielle sollicitée par les musulmans. La commission daccompagnement et les observateurs dépêchés par le CECLER dans les bureaux de vote furent notamment lexpression du contrôle de lobservation du contrat dans la mise en place de lorgane représentatif.
La France tente actuellement une approche similaire par lélaboration dune " déclaration dintention " dressant la liste des droits et des devoirs des fidèles de lislam. Ceux qui adoptent le contrat entreront dans le processus dunification en vue de la constitution de lorgane représentatif. Mais ici, lhostilité à organiser un scrutin procède dun imaginaire collectif (lesprit républicain) reposant sur des lois différentes et ne facilite en tout cas pas la sélection par les communautés musulmanes des interlocuteurs religieux. Elle ne permet pas non plus de présager dans les faits la volonté dune minorité religieuse dadhérer aux valeurs fondamentales de la société daccueil.
5. Les réactions des musulmans
Mais en Belgique, comment les musulmans ont-ils réagit par rapport à ce cadre contractuel imposé par lEtat et encouragé de manière pragmatique par lEMB sous la forme dun pacte socio-religieux inédit ?
Pour y répondre, il faut retourner à la journée du 13 décembre 1998 et analyser les comportements de vote.
Plus que les données quantitatives, latmosphère électorale donne des indices sur les attentes réelles des communautés musulmanes. La presse les décrit : " les musulmans étaient heureux de voter ", " le vote des musulmans leur donne représentants et fierté ", " une ambiance bon enfant ", " un vote pour détruire une mauvaise image de marque ",...
" Vous voulez que les musulmans sintègrent ? Donnez-leur leur fierté ! ", sexclamait un élu français de Marseille. Voilà qui résume parfaitement cette période exaltante.
Les musulmans se sont donc exprimés non pas dans un cortège de revendications à partir de leur identité religieuse, mais dans une volonté explosive de saffirmer en tant que citoyen et de contribuer à changer sensiblement limaginaire collectif. Cette manifestation, antithèse de la dynamique de repli, était une allégeance davantage consacrée au " vouloir-vivre ensemble " quau multiculturalisme et théorique droit à la différence. Certains y verraient, peut-être une logique de post-islamisme (G. Képel) où les aspirations des communautés musulmanes sont prises démocratiquement en compte dans un projet qui se définit par ses implications concrètes et non par quelque forme didéologie radicale ou autre. Mais plus que le projet en question, cest la fierté dy adhérer qui prélude à toute forme de participation. Dans cette logique, lintégrisme ne se définit plus alors par référence à une idéologie mais elle est lexpression dune inadéquation ou dun décalage de comportements ou dattitudes incongruentes par rapport à la réalité concrète (E. Platti).
Etait-ce le cas pour les électeurs et les candidats inscrits à ce suffrage démocratique ?
6. Une identité en construction
Quoiquil en soit, lorgane religieux, dénué de toute couleur politique, nest , bien entendu, pas destiné à une quelconque conquête prosélithique des consciences musulmanes, ni à dynamiser la formation dun nouveau pilier idéologique en Belgique. Son rôle est de relayer les attentes des communautés musulmanes en gérant les affaires du culte dans le respect de la loi (en définissant par exemple les statuts des acteurs religieux), mais aussi en présentant de manière symbolique cette volonté du " vouloir vivre ensemble " dans une société qui senrichit par lapport de valeurs diverses.
Toutefois, immanquablement, la gestion dans lespace public va progressivement moduler le métissage dune nouvelle identité centrée autour dun islam de Belgique.
Parmi les facteurs qui peuvent accélérer ce processus :
- la décrispation des mentalités,
- la multitude des contacts obligés entre musulmans et administrations publiques, à travers les rôles convergents mais non transposables des acteurs religieux et politiques,
le repositionnement des partis et la réflexion critique sur les avantages constitués des Eglises établies,
louverture du droit à la citoyenneté par lacquisition de la nationalité,
Peuvent le freiner au contraire :
- les problèmes socio-économiques (discrimination sociale, chômage),
Il est évident que la reconnaissance du culte naplanit pas toutes les difficultés dintégration dune minorité religieuse (Martiniello) . Tout au plus, elle incite à y faire davantage face de manière active par le biais de la citoyenneté reconnue. Cest le rôle de tout un chacun et, en particulier des acteurs politiques.
- et les tensions intra-communautaires basées sur des logiques de compétition ou de pouvoir.
Cest de la capacité des musulmans à sentendre sur des projets concrets que sélabore une nouvelle cohésion identitaire délaissant peu à peu les divergences culturelles. De manière peut-être contradictoire en apparence, ils pourraient alors mieux assumer les " paradoxalités " de leur mixage culturel (selon le terme dA. Manço) et davantage investir à léchelle individuelle la société : il faut dabord être soi-même et reconnu en tant que tel pour pouvoir par après accepter lautre tout en partageant avec lui des valeurs communes.
7. Un nouvel imaginaire
Dans une société qui se dépolarise et abandonne ses vieux clivages politiques et philosophiques, dans une laïcité moderne qui reconnaît lapport de valeurs appartenant à des mondes différents, les musulmans devraient répondre à linvitation citoyenne qui leur est offerte et casser larchétype dune culture cohabitante, cloisonnée et hermétique au dialogue. En se fondant dans le groupe, ils devraient, par leur participation, générer un imaginaire collectif :
plus imperméable aux événements extérieurs négatifs et à leur image véhiculée (on se souvient par exemple de linfluence de la guerre dIrak jusque dans les établissements scolaires) et
plus réceptif à une congruence avec la réalité du contexte journalier (abandon des ghettos culturels et religieux, gestion de lislam adaptée au contexte, formation de cadres musulmans compétents, participation aux décisions politiques ), et ce,
tout en calquant le pas dune société qui se transforme et se mondialise par , notamment, léconomie et les nouvelles techniques de la communication (influence des paraboles, dinternet ).
Et cest par un curieux mélange didentité religieuse, de nostalgie culturelle et de citoyenneté active, en assumant dans la vie quotidienne toutes les paradoxalités (comment être à la fois musulman , marocain et belge sans se placer parfois en situation contradictoire ?) que les musulmans vont générer progressivement un nouvel imaginaire autour dune identité qui se construit.
8. Conclusion
La volonté du gouvernement de régulariser sous conditions les illégaux dénote le souci dassurer aux "nouveaux migrants" le droit à la citoyenneté. Le corollaire embarrassant de cette politique douverture à la fois humaniste et pragmatique est la possibilité de lexpulsion forcée de ceux qui ne satisferont pas aux conditions requises. La méfiance est alors de mise devant cette dynamique biphasée marchandée politiquement. Faut-il risquer la sortie au grand jour ? LEtat est-il bien intentionné ? Quoiquil en soit, la faveur possible de lacquisition à la nationalité jette un immense espoir pour ceux qui vivent reclus et cachés.
La facilité du droit à lacquisition de la nationalité pour ceux qui, au contraire, sont nés en Belgique devrait inciter les enfants des " anciens migrants " à simpliquer davantage dans la société.
Latmosphère autour de la problématique " naturalisation-citoyenneté " est assez similaire sur plusieurs points à celle qui a entouré le processus de suffrage des musulmans lannée dernière ("identité religieuse-citoyenneté").
Il ny a pas si longtemps, certains doutaient de la capacité de musulmans à devenir des citoyens à part entière, dautres voyaient une antinomie entre lislam et le monde occidental.
Quoi quil en soit, la résolution de la problématique de la représentativité musulmane sous-tendue par une politique contractuelle dintégration, fut lopportunité de révéler ,de la part des musulmans, un projet de société basé non seulement sur légalité constitutionnelle des citoyens (les cultes reconnus doivent jouir des mêmes prérogatives), mais aussi sur leur volonté de participer activement dans la société et de faire partie intégrale et permanente de la société belge.
Hier, lislam transplanté (selon les termes de F. Dasseto) demain, peut-être, lislam citoyen
Dr Didier Yassin Beyens
(22/2/2000, paru en tribune libre dans Le Matin, Bruxelles)
Une société multiculturelle et multiethnique, basée sur le respect des valeurs de chacun, une société de mélange où la mixité défie la peur de lautre dans sa différence, où les idées et les attitudes reflètent linterdépendance de ceux qui pensent différemment, où chacun apporte sa pierre de citoyen responsable à la construction dune société meilleure, plus juste et plus équitable qui nen rêve pas ? Sans doute lextrême droite qui, la générosité mise de côté, a la nostalgie dune société pure barricadée autour dune identité homogène et qui accuse de tous les maux ceux qui viennent la parasiter de lextérieur.
La montée des partis extrémistes basés sur le rejet de lautre, suscite dans lopinion publique une réaction de peur : de Haider à Milosevitch, du Front National au Vlaamse Blok, nombreux sont ceux qui se mobilisent pour dénoncer les dangers dune pensée générant intolérance et violence. Mais navons-nous pas aussi peur de nous-mêmes, de cette dose dintolérance que nous nourrissons parfois en nous-mêmes et que narrive pas à tarir une rationalité toute simple ? Ne nous est-il jamais arrivé de penser que nos problèmes résultent uniquement de laction de celui ou ceux qui pensent différemment ? Navons-nous jamais voulu imposer notre point de vue au-delà de la sphère du respect mutuel ?
Notre société se veut démocratique et respectueuse des droits de lhomme. Il est vrai que sous dautres latitudes, les réalités sont bien différentes. Il est alors plus facile de prétexter dun contexte particulier pour justifier une attitude énergique où des innocents sont victimes : en Irak, au Liban, en Algérie, en Tchétchénie et ailleurs, la peur de lautre est réutilisée en manuvres politiques pour le dominer et lanéantir ou pour lexploiter par des commerces divers. Pourtant nous navons pas peur de ce que nous considérons être loin de nous. Par contre, ce qui se passe en notre sein, en Autriche et au Kossovo, nous met particulièrement mal à laise, car dans cette Europe des nations et des régions dont nous faisons partie, il y a le pendant dintolérance que nous portons en nous-mêmes et dont nous avons peur. Car nous savons pertinemment bien que lagitation ne vient pas de lhomme seul mais quil est nourri par une partie de la population. Elle nest que le signe dune déception, dune incapacité dune tranche de la population de rêver dune société généreuse où chacun dans le respect mutuel, et dans le contrôle de sa peur de lautre, contribue au progrès social et économique. Dans le nouveau millénaire de la mondialisation, il est clair que le premier défi qui se pose à lhomme moderne est sa capacité à souvrir dans le respect des identités de chacun et dans lassurance que la mixité loin dêtre un danger, représente une richesse dans la découverte des autres et de soi-même.
Lorgane représentatif des musulmans : entre logique bureaucratique et discours religieux
(20/3/2000, paru dans "Islam de France")
Un organe représentatif musulman constitue-t-il une aberration quand chacun saccorde à dire que lislam ne prête en aucune manière à une quelconque forme de hiérarchie religieuse comparable à ce qui existe par exemple dans le culte catholique ? Une concertation élargie au niveau des communautés de base selon le principe de shoura, de manière à présenter à lautorité non musulmane une plate-forme de dialogue, suffit-elle à légaliser le bien-fondé dune telle entreprise communautaire, simplement parce quelle se réfère à des valeurs universellement admises par tous (tolérance, démocratie) et quelle implique, par ce biais, une volonté dintégration citoyenne ?
Certes, la mission dun tel organe est de gérer le temporel du culte et de définir les statuts des différents acteurs religieux (enseignants, aumôniers, imams ). Toutefois, il serait illusoire de le restreindre à un rôle uniquement administratif, car la fonction symbolique de la représentativité ne permet pas docculter limage publique qui peut être articulée autour de toute une communauté de foi.
Mais au-delà de cette polémique théorique qui ne voit, à travers lexpression du suffrage musulman, quune entreprise déislamisée, coupée de son essence spirituelle (" quand le droit écrit lislam "), il serait utile de sinterroger de quelle manière un tel organe puisse encore respecter pleinement son caractère religieux sans se dénaturer par des " imaginaires exogènes " (pluralisme, démocratie, citoyenneté), surtout sil sinscrit dans un cadre juridique non islamique et obéit à lEtat de droit en tant que minorité religieuse.
Autant la demande de lEtat de disposer dun interlocuteur ciblé dans des matières religieuses est explicite, autant cette nécessité ne sinscrit pas à priori parmi les injonctions spirituelles qui se définissent autour de la profession de foi (shahada) caractérisant lidentité musulmane et de tout ce quelle implique. Bien que la jurisprudence (fiqh) doive être repensée par les théologiens musulmans (mujtahidun) à la suite des brassages de population et des conditions spécifiques de vie des minorités musulmanes dans des espaces ouverts, il est possible de développer schématiquement en différents points les implications religieuses possibles de la mise en place de lorgane communément appelé " chef de culte " (" quand lislam utilise le droit ").
Tout dabord, il paraît évident que linégalité de traitement appliqué à lislam découlait de labsence dun organe représentatif, seul obstacle à lapplication de la loi de 1974 portant reconnaissance du temporel du culte musulman. Le principe déquité (qist) appliqué au traitement de tous les cultes reconnus a été le point dénominateur à la recherche dune solution acceptable par les différentes parties concernées à lintérieur du cadre légal qui définit les rapports de lEtat aux cultes et en tenant compte des spécificités de ceux-ci. LEtat de droit, sil a été plus sévère vis-à-vis des musulmans, ne peut sans nuances être accusé davoir sélectionné une orthodoxie musulmane car les contraintes (diplôme, screening) vis-à-vis du processus libre et démocratique du suffrage ne furent appliquées quaux interlocuteurs directs du Ministre.
Dautre part, le processus de suffrage a permis de dégager des responsabilités au sein des communautés musulmanes et partager les rôles des uns et des autres autour de projets concrets. Ce qui est alors assumé par un groupe restreint déresponsabilise lensemble par le principe du devoir collectif (fard kifaya). La tradition prophétique insiste sur les valeurs de compétence et de confiance pour assumer une responsabilité, même si celle-ci est exercée par des non musulmans. La manière dorganiser et de déléguer les rôles en fonction des aptitudes de chacun trouve déjà référence dans la période médinoise (expédition de Tabuk).
Mais surtout, lorgane représentatif agit en principe comme une uvre dintérêt général (maslaha) en ce sens quil sefforce de restreindre les contraintes empêchant une expression libre de la spiritualité, en diminuant les suspicions et en favorisant le dialogue. La préservation de la religion doit être pensée ici en terme dune plus grande facilité accordée aux musulmans de vivre leur foi dans le respect du cadre national. Par la recherche de solutions satisfaisantes aux comportements sociaux (muamalat )encouragés par lislam et au respect du cadre légal dans la gestion du temporel du culte, lorgane stimule les théologiens à produire un fiqh adapté à un nouveau contexte.
En agissant sur lenvironnement, un organe officiel, par son image publique, véhicule bien entendu la vision dun islam et dune communauté de foi pouvant dépeindre sur limaginaire collectif des autochtones. En ce sens, il fournit à la société un témoignage fondé sur la foi (shuhada ala an-nas) et le sens des limites par lengagement social responsable basé sur des valeurs de justice, de loyauté et de solidarité.
Progressivement, se structure alors une personnalité musulmane au-delà des particularismes linguistiques, ethniques et culturels, par la recherche commune dans un même contexte dune plus grande liberté de conscience, de culte, dexpression, de tolérance, et donc par la recherche dune plus grande justice (adl) dans un environnement perçu souvent comme hostile. Lorgane dit représentatif reste cependant un éternel défi au rassemblement des différentes communautés musulmanes par sa disposition sans cesse sollicitée à resserrer les liens de fraternité autour de projets concrets et sa capacité constante à ne pas se couper de la base communautaire.
Lislam, en plaçant la justice au-dessus des considérations familiales, raciales et même doctrinales, en fait une valeur universelle absolue. Le principe objectif de justice (" Dieu ordonne la justice et lexcellence ") est au-delà des sentiments abstraits dappartenance communautaire (umma). Lorgane " chef de culte " doit alors oeuvrer pour quune plus grande justice de fait permette aux croyants et aux croyantes de se protéger des discriminations religieuses. " La loyauté à sa foi et à sa conscience imposant une citoyenneté responsable et honnête ", le musulman est invité à améliorer la société plurielle par laction (amal) et la participation aux affaires sociales. Lorgane de gestion stimule alors inévitablement la mixité et la réciprocité des échanges tout en rappelant le devoir de fidélité et loyauté aux engagements pris du côté musulman et non musulman (ahd). Les contacts répétés avec les administrations publiques, lélaboration des statuts religieux et la recherche de cadres de formation adaptés au contexte, sont autant déléments appelant les musulmans à prendre part de plein pied à la société dont ils font partie et quils connaissent alors mieux (ahwal an-nas).
Mais lorgane représentatif ne peut justifier " islamique ment " le bien-fondé de son existence quà partir du moment où il peut prouver son utilité aux musulmans par loffre de services divers : le statut des enseignants, lobtention de carrés musulmans dans les cimetières, les visites des aumôniers, lantenne télévisée, les réparations des lieux de culte La tradition religieuse insiste sur la recherche de ce qui est utile (manfaa) ou dintérêt public (maslaha kulliyya).
Ainsi donc, lorganisation administrative et lexercice dordres comptables au sein dune institution chargée officiellement de la gestion du temporel du culte, nexclut nullement la sortie dune logique bureaucratique et ne justifie certainement pas le discours permanent autour de problématiques techniques liées à linstitutionnalisation de lislam. Celle-ci nest pas vécue comme une fin mais comme un moyen pouvant permettre une plus grande liberté de lexpression de foi, une utilité pour la communauté de foi et un témoignage mieux visible du message religieux par des activités conduisant à plus de justice et de dignité.
Dautant plus que lorgane central doit initier un processus graduel de reconnaissance des communautés locales pour que celles-ci puissent prétendre à lobtention de budgets divers. Leffet immédiat sera alors de démultiplier le nombre dacteurs musulmans au niveau des différentes bases représentatives et de décentraliser la gestion des affaires du culte par une plus grande autonomie de fonctionnement au niveau des provinces.
Mais il reste que le pas à franchir pour passer dune inconsistante gestion technique des affaires cultuelles à un discours officiel plus véritablement centré sur les questions de fond et les débats de société, trouve obstacle dans limpossibilité quont les musulmans de développer un clergé idéologique et de laisser sexprimer des gestionnaires au nom et place dune communauté aussi diversifiée dans ses sensibilités. Pourtant la sortie de cette dialectique est simple : cest par une gestion administrative transparente, neutre et honnête des affaires du culte et en appliquant ce qui est recommandé en terme de justice, déquité, de concertation, de respect des engagements et de solidarité, et de tout de qui touche la moralité personnelle (khuluq) que la personnalité musulmane se structurera avec maturation, que ce soit à léchelle individuelle ou au niveau et à travers lorgane représentatif des musulmans.
Dans cette perspective, qui oserait prétendre que cette dynamique évolutive doit sétaler sur une courte période, sous peine de préfigurer léchec du nouvel outil juridique à la disposition des musulmans?
Dr Yassin Didier Beyens