DROIT DE VOTE DES ETRANGERS EN BELGIQUE
Droit de vote, naturalisation automatique: contribution au débat
(document multidiffusé de novembre 1996 à juin 1997 par le Comité National pour le Suffrage Universel)
1) "la construction d'une citoyenneté européenne doit être limitée aux ressortissants des états membres"
La citoyenneté locale est déjà élargie à tous les résidents, "européens" ou non, dans cinq pays sur quinze (Pays-Bas, Irlande, Danemark, Suède, Finlande), à tous les anciens colonisés au Royaume-Uni et sur base de la réciprocité en Espagne et au Portugal. La "citoyenneté européenne" limitée aux ressortissants d'états membres de l'Union Européenne ne constitue donc pas le fondement des droits politiques locaux dans huit pays sur quinze. En Irlande et au Royaume-Uni, des non-nationaux peuvent voter ou être élus à tous les niveaux, y compris au Parlement.
Par ailleurs, les modes d'acquisition de la nationalité diffèrent tellement d'un pays à un autre qu'on légitimerait des situations absurdes où un Turc né en France, binational franco-turc, aurait le droit de vote en Allemagne après cinq ans de résidence, et pas un Turc né en Allemagne et qui y a toujours vécu.
2) "la citoyenneté doit être liée à la nationalité, dont l'acquisition doit être facilitée"
Certains prônent l'"automaticité" de l'acquisition de la nationalité du pays de résidence, tout en liant indissociablement l'exercice de la citoyenneté à la qualité de "national". Il s'agit là d'une conception paternaliste qui ne tient aucun compte des souhaits exprimés par les personnes concernées au premier chef.
L'argument selon lequel les obstacles seraient uniquement liés à la procédure ou au coût de la naturalisation, postule que tous les résidents non-Belges désirent acquérir la nationalité belge, et que cette acquisition est seule génératrice d'une égalité des droits politiques et sociaux. Or, il est bien clair que de nombreux non-Belges ne souhaitent pas devenir "belges", et c'est leur droit le plus absolu. Les forcer à accepter, ou pire à refuser, la nationalité belge reviendrait à exercer sur eux un chantage inadmissible: tout éventuel refus serait évidemment interprété par d'éventuels employeurs ou par la Sûreté de l'Etat comme une preuve de déloyauté vis-à-vis de la société et de l'Etat belges.
Avec une telle logique, les défenseurs de la "naturalisation automatique" remettent en cause les principes qui ont présidé à l'extension du suffrage universel sans condition de nationalité aux élections sociales. Il y a un siècle, ils auraient probablement proposé que les ouvriers devraient tous devenir riches pour satisfaire aux règles du vote censitaire, ou que les femmes se transforment en hommes!
3) "pas de saucissonnage des droits de vote et d'éligibilité: il faut les exiger d'emblée à tous les niveaux"
Cette revendication de l'égalité des droits à tous les niveaux doit constituer un objectif à terme. Il faut néanmoins par priorité utiliser les occasions de faire progresser cette revendication. En l'occurrence, ce sont les gouvernements européens et leur Traité de Maastricht qui ont saucissonné ces droits en les limitant aux niveaux local et européen. On peut le regretter, mais il faut "faire avec" plutôt que de s'engager dans une fuite en avant qui consisterait à revendiquer tout ou rien. C'est un peu comme si les syndicats revendiquaient sans concession, dans le cadre des négociations salariales, l'alignement généralisé sur les salaires des PDG...
4) "les élections communales ne portent que sur des enjeux limités, sans véritable intérêt"
Quatre exemples concrets d'enjeux "sans intérêt".
Dans de nombreuses communes bruxelloises et wallonnes, le conseil communal a voté une taxe annuelle, entre 5.000 et 10.000 francs selon les cas, sur les antennes paraboliques, quelle que soit leur adéquation ou non à des règles urbanistiques. Or, à quelques exceptions près (moyennant un abonnement complémentaire ou la possession d'un téléviseur très récent avec "hyperbande"), les chaînes les plus regardées par les détenteurs de ces antennes ne sont pas diffusées sur le câble par les sociétés de télédistribution, soit faute d'autorisations gouvernementales (exigence pour laquelle la Belgique a été condamnée par la Cour Européenne en septembre dernier), soit parce que les droits d'auteurs ne seraient pas compensés par le nombre d'abonnés supplémentaires. Les sociétés les plus conservatrices à cet égard sont des... intercommunales.
La plupart des sociétés de logements sociaux dépendent des communes, dont les conseils désignent les membres de l'assemblée générale et/ou du conseil d'administration. Ces sociétés pratiquent, de notoriété publique et de longue date, des politiques de ghettoïsation entre "autochtones" et "allochtones", "Belges" et non-Belges", "Européens" et "non-Européens". La politique de construction de nouveaux logements ne tient la plupart du temps aucun compte de la demande des familles nombreuses, principalement "allochtones", et on assiste de plus en plus à l'adoption de "conventions" par lesquelles des sociétés s'engagent à respecter les règles de priorité (revenus, taille du ménage, personnes à charge, ancienneté de la demande) pour une partie seulement des nouveaux logements, ou des logements rénovés ou vacants, le reste étant attribué selon des critères de "respect de la mixité sociale", incluant la nationalité ou l'origine ethnonationale. En clair, on pourra refuser l'accès à une famille "allochtone" prioritaire si le quota d'"allochtones" est déjà atteint.
Dans certaines communes urbaines, les musulmans, pour la plupart d'origine étrangère (mais pas tous) représentent entre dix et quarante pourcents de la population. Pourtant, il n'y a aucun espace spécifique prévu pour les leurs morts dans les cimetières communaux, à quatre exceptions près. Louis TOBBACK, bourgmestre de Louvain, a déclaré (Het Laatste Nieuws 20/11/96) son opposition à une telle "ghettoïsation" dans les cimetières, alors que la communauté juive bénéficie depuis longtemps, à sa demande, d'espaces spécifiques, voire de cimetières.
Fin août, un référendum communal a eu lieu à Genk (Limbourg) sur un important projet d'aménagement urbain. A la demande des Jeunes CVP et d'élus de tous les partis, y compris du VLD, et avec l'approbation du... Vlaams Blok local, le droit de vote a été étendu aux non-Belges. Mais des bulletins de couleurs différentes ont été prévus pour, au moment du dépouillement, compter séparément les avis des Belges et des non-Belges, le vote de ces derniers n'étant qu'"indicatif"...
5) "les élections européennes ne concernent pas les non-Européens, et ne constituent pas une priorité pour eux"
Si le caractère concret des enjeux politiques communaux a été mis en avant dans le point précédent, le côté plus "idéologique" des élections européennes paraît nettement plus marquant. A cet égard, le concept de "citoyenneté européenne", évoqué dans le point 1), doit être défini comme englobant l'ensemble des résidents sur le territoire de l'Union Européenne, quelle que soit leur nationalité, "européenne" ou non, et ouvrir les mêmes droits sociaux et politiques à ces mêmes résidents.
La possibilité de participation aux élections européennes dans le pays de résidence a été mise en oeuvre pour les résidents "européens" aux élections de 1994, avec un taux d'inscription sur les listes électorales ridiculement faible. En effet, les ressortissants de la plupart des états européens peuvent voter aux élections européennes pour les listes de leur pays d'origine dans des locaux mis à leur disposition par les consulats. Ce vote étant, pour la plupart d'entre eux, le seul lien politique qui les rattache encore au pays d'origine, il est compréhensible qu'ils ne souhaitent pas l'"échanger" contre un droit de vote pour des listes belges.
Pour les "non-Européens", par contre, le vote dans les consulats n'est généralement possible que dans des cas exceptionnels, comme les récents référendums constitutionnels algérien et marocain, le second n'ayant attiré, en septembre, qu'un nombre infime d'électeurs "résidents marocains de l'étranger". La plupart des Turcs ou des Marocains qui vivent en Europe occidentale n'ont donc jamais pu voter à une élection, que ce soit dans le pays d'origine ou dans le pays de résidence, à l'exception des élections sociales là où elles leur sont ouvertes, comme en Belgique. L'accès aux élections européennes leur donnerait donc l'occasion d'exprimer leurs préférences "philosophico-idéologiques" en toute liberté, ce qui n'est assurément le cas ni au Maroc, ni en Turquie, et encore moins en Algérie, puisque certains thèmes politiques ne peuvent y être abordés publiquement et que plusieurs partis y sont interdits
L'Union Européenne et son Parlement ont un rôle de promotion de la démocratie et du respect des droits de la personne qui ne doit pas être négligé sous prétexte de côtés négatifs comme la dérégulation ou la politique budgétaire: les parlementaires kurdes qui croupissent dans les geôles turques, les journalistes de Turquie, d'Algérie ou d'ailleurs qui ont été victimes de la terreur du pouvoir ou de l'"opposition armée", les étudiants et les manifestants du Maroc ou d'ailleurs qui ont "disparu" depuis parfois plus de vingt ans, tous ceux-là et beaucoup d'autres auraient bien aimé bénéficier des droits de la personne, de la liberté de la presse, de la liberté d'association et d'opinion que connaissent les résidents légaux, même non-Européens, dans l'Union Européenne, même si tout est loin d'être parfait sur ces plans-là non plus...
Contrairement à ce que certains démagogues avancent, il est fort improbable que les ressortissants de tel ou tel état non-européen votent massivement pour défendre les intérêts du régime en place dans cet état: avancer de tels arguments, c'est postuler l'unicité d'opinion, l'incapacité de développement d'une pensée individuelle ou autonome parmi des personnes qui sont soit nées en Europe, soit y vivent depuis plus de vingt ans. C'est également insulter les sociétés européennes, qui n'auraient pas été capables d'assurer même partiellement la transmission de leur patrimoine humaniste et démocrate à ces personnes qu'elles ont "invitées"...
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