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La participation politique des allochtones en
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Candidats et élus d'origine
non-européenne en Belgique
Murat Denizli
2003 (6 juin): devient membre du Comité de l'Association Culturelle Turque, vitrine associative des Loups Gris à Schaerbeek
2006: candidat (élu) sur la liste PS à Schaerbeek
[© Reproduction autorisée avec mention obligatoire de la source: article publié par la liste www.suffrage-universel.be et www.minorites.org]
Suffrage Universel 6 juin 2006
Un loup gris d’extrême droite turque sur la liste Onkelinx à Schaerbeek
Murat Denizli, 34e candidat socialiste sur la liste PS à Schaerbeek, patron de snack, ex-Président et administrateur délégué de l’Association culturelle turque à Schaerbeek qui regroupe les sympathisants du Parti d’action nationaliste (MHP, parti d’extrême droite turque) est un camarade quelque peu atypique.
Séduit un moment par le discours en faveur de l’adhésion de la Turquie au sein de l’Union européenne de l’ex-président des libéraux Louis Michel, Murat Denizli décide de prendre provisoirement sa carte de membre au PRL en même temps que Sevket Temiz, l’ex-conseiller communal MR à Schaerbeek récemment transféré, lui-aussi, sur la liste PS à Bruxelles-Ville. Patron de snack et ex-dirigeant d’une association réputée proche des loups gris turcs, les militants néo-fascistes turcs, Murat Denizli cultive le choc des idéologies, avec une certaine dose de naïveté, en voulant marier son combat culturel et social à sa passion nationaliste turque. L’homme n’a pourtant rien du prototype d’un néofasciste à la moustache crochue et la langue fourchue. Son domaine, c’est plutôt le niveau local associatif à Schaerbeek avec deux projets qui lui tiennent à cœur : la création d’une association des parents d’élèves et la mise sur pied d’une association des jeunes turcophones pour y inclure les Bulgares turcophones de plus en plus présent sur le territoire de la Cité des ânes.
Avant de pouvoir s’y consacrer, Murat Denizli doit d’abord affronter les pressions de plusieurs courants. Denizli prétend par exemple recevoir des menaces téléphoniques du DHKP-C, un groupe terroriste d’extrême gauche, pour se retirer de la liste PS, alors que certaines sources estiment au contraire que ce sont bien les loups gris qui lui adressent ces menaces pour le dissuader de rejoindre une liste socialiste, mais n'osent pas le faire ouvertement. C’est que le « Président socialiste », comme l’appelaient ironiquement ses amis nationalistes, n’a pas vraiment quitté l’association nationaliste en y laissant que des amis. Après une tête de mouton égorgé sous la voiture en guise d’avertissement, l’affaire des menaces téléphoniques du DHKP-C a été prise au sérieux par Abbès Guenned, l’ex-mari et actuel conseiller de la ministre de la Justice, qui aurait même demandé une écoute téléphonique pour identifier les appels…
« Depuis mes 15 ans, je suis la politique en général, c'est à ce moment que j’ai décidé de m’investir dans le secteur social, explique Murat Denizli. En 1989, j’avais organisé un tournoi de minifoot interquartier à Schaerbeek. Les éliminatoires ont eu lieu au parc Josaphat et la finale a été jouée à la salle Guy Cudell à Saint-Josse. Déjà en 1996 ou 1997, j’avais créé l’événement sur Show TV (chaîne de télévision commerciale turque) en déclarant que je votais socialiste. C’était déjà un choc à l’époque pour mon entourage. Ils avaient fait un reportage sur moi en titrant ‘Loup gris en Turquie, socialiste en Europe’. Mesut Yilmaz, l’ex-Premier ministre turque, était en visite en Belgique, on avait été l’accueillir à Melsbroek, l’aéroport militaire. Cette année en question, durant la saison 1996-1997, j’étais le Président de l’association culturelle turque.
L’association proche des loups gris ?
Loup gris, c’est quoi exactement ? En turc, on ne se qualifie pas de « bozkurt » (loup gris). Je ne sais pas à quoi vous faites référence.
Vous étiez Président de cette association. D’ailleurs, quand on rentre dans votre local situé à la rue Josaphat, on peut encore apercevoir un grand poster d’Alparslan Türkes, le leader historique de l’extrême droite turque.
Oui, le colonel Türkes. Vous savez… Chaque pays a son contexte pour moi. Si j’étais Africain, je voterais pour un gouvernement qui promet d’apporter du pain, pas une situation sociale ou quoi. Si j’étais aujourd’hui un Iranien, je voterais pour un gouvernement révolutionnaire dans le sens occidental du terme, c’est-à-dire un gouvernement qui me donnera plus de libertés individuelles. Quandt à la Turquie, elle est en voie de démocratisation, j’espère qu’elle va continuer dans cette direction.
Comment avez-vous fait pour être sur la liste PS à Schaerbeek ?
J’ai un ami Abobakre Bouhjar, qui était le président du Racing club de Schaerbeek. Il travaillait pour le cabinet du Secrétaire d’Etat Emir Kir. Je crois qu’il a récemment démissionné pour changer de cabinet afin de mieux défendre ses dossiers. C’est lui qui m’a séduit en réalité pour rejoindre la liste PS à Schaerbeek. Je ne voulais pas faire de la politique active pour préserver ma vie privée. Je suis marié et j’ai trois filles. J’ai d’abord connu Abobakre professionnellement. J’ai un snack et il était associé dans une boucherie où j’allais m’approvisionner en viande. On a sympathisé par la suite. C’est surtout le projet socialiste pour les écoles schaerbeekoises qui m’a séduit. Le programme PS m’a aussi séduit mais plus particulièrement le chapitre sur les écoles. Pouvoir davantage investir dans les écoles, dans les activités parascolaires pour finalement rendre l’école à son quartier. J’ai trouvé ce projet magnifique et j’ai décidé de m’y investir.
Pourquoi au PS alors que vous êtes plus proche de la droite ou de l'extrême droite ?
Officiellement, je ne suis plus d’extrême droite. Cela fait déjà quelque temps que j’ai démissionné. Pourquoi ? Parce qu’il fallait que je démissionne à cause du conflit intergénérationnel au sein de l’association. Vous avez une différence entre d’un côté ceux qui viennent de Turquie et de l’autre côté les jeunes qui sont fiers tout simplement d’une culture turque. C’est purement culturel, il ne faut pas chercher autre chose que cela. Il y a deux ans, on avait repris les choses en main, moi et mes camarades jeunes. On a créé une équipe de football ‘FC Bosphore’ qui a très bien évoluée. Aujourd’hui, l’association compte un orchestre de saz pour enfants de moins de 12 ans, une équipe de danse folklorique,…
Mais cela reste une association nationaliste…
Le nationalisme n’est pas vécu de la même manière ici et en Turquie. En Turquie, vous ne pouvez pas être racistes. Un Turc ne peut pas être raciste. On est tous musulmans, pratiquant ou pas. En Turquie, il n’y a pas d’extrémisme. Pour moi, le MHP est un parti de droite classique comme le MR ou l’ancien PSC. Il n’y a pas de mouvement raciste en Turquie parce que les Turcs ne tolèrent pas le racisme. L’islam interdit formellement le racisme. Je lis la presse turque depuis très longtemps (Hürriyet et Zaman) et je n’ai encore jamais lu ou entendu un leader politique turc tenir des discours racistes.
Mais on sait aussi que tout le monde est raciste. Qui accepte, par exemple, de marier aujourd’hui sa fille avec un Belge, fut-il musulman ?
Mais tout le monde l’accepte. Bien sûr ! Mon point de vue politique dépend en réalité des sujets. Par exemple, quand la Turquie est intervenue à Chypre dans les années 70 quand les Turcs là-bas se faisaient massacrer, tout le monde parlait de Bülent Ecevit en bien. C’était notre « Karaoglan » [le garçon noir], notre Premier ministre, le héros… pourtant un dirigeant de gauche mais que j’ai soutenu dans sa démarche. Lors des dernières élections par exemple, j’aurais voté pour le CHP [Parti républicain de gauche] parce qu’il fallait soutenir une opposition forte au sein de l’Assemblée. Cela dépend donc du sujet et du contexte. En Belgique, j’ai toujours voté socialiste sauf une seule fois où j’ai voté pour la liste d’Union francophone quand j’habitais à Diegem. Dans le contexte de Diegem, vous réfléchissez différemment. C’est aussi comme cela que j’ai adhéré à l’association culturelle turque. A l’époque, je voulais fonder une équipe de football en mettant l’accent sur l’esprit d’équipe et le fair-play. J’ai cherché des soutiens en analysant qui peut m’aider à fonder cette équipe en m’apportant une aide structurelle à long terme. C’était l’association culturelle turque. Je n’ai jamais participé à des propagandes, je n’ai jamais connu des agitateurs. Je n’ai jamais entendu non plus de propos racistes depuis que je fréquente cette association, c’est-à-dire depuis 1989.
Et le rôle des loups gris dans l’incendie de l’Institut kurde à Bruxelles en 1998 ?
C’est à travers la presse que j’ai suivi cette histoire. J’étais en train de travailler dans mon snack. Ülkücü en turc se traduit par idéaliste, donc il faut comprendre comme une personne ayant des idéaux. Je suis un idéaliste, c’est-à-dire que j’ai des idéaux pour moi, ma famille et mon pays.
Quels sont vos idéaux ?
Pour moi, ce serait de pouvoir mourir en paix et heureux.
Pour votre famille ?
Une bonne éducation pour mes trois filles, une bonne philosophie pour supporter le monde et une bonne santé.
Pour votre pays ?
J’espère qu’elle sera membre de l’Union européenne avec aussi un peu plus de droits démocratiques.
Mais la Belgique est membre fondateur de l’UE, non ?
Je parlais de la Turquie.
Toutes mes excuses. Plus de droits démocratiques en Turquie donc, pour les Kurdes et les autres minorités aussi ?
Attention, quand vous dites les Kurdes, vous faites référence à quoi ? L’indépendance ? Je suis contre un Kurdistan en Turquie. Mais je suis pour qu’on accorde plus de droits aux Kurdes, aux Alévis,… Je pense que tout le monde doit pouvoir s’approprier le pays. Plus de droits aussi pour les musulmans sunnites afin que les femmes puissent librement porter le foulard.
Vous êtes donc pour le port du foulard ?
Si elle le désire, oui ! Elle a le droit d’exister, d’être un humain. Pour moi, une femme qui porte ou non le foulard, c’est la même chose.
Que dire alors au Parti Socialiste qui s’oppose viscéralement à ce choix ?
Au PS, c’est vrai qu’il y a une Anne-Marie Lizin ou une Marie Arena sur cette position mais ce sont des choix individuels qui n’engagent pas le parti.
Marie Arena est pourtant Ministre-Présidente de la Communauté française de Belgique et Anne-Marie Lizin est Présidente du Sénat. Ce n’est pas vraiment une décision individuelle…
Oui mais elle n’est pas seule dans le parti. Je peux aussi m’opposer à l’opinion de Marie Arena, pourquoi pas ? Si je trouve que je ne suis pas d’accord, je le dis sans problème. Je suis contre l’adoption des enfants par les couples homosexuels et pourtant j’ai adhéré au PS.
Mais le PS a voté pour cette loi.
Oui, mais pour moi c’est du passé. Le passé, c’est du passé. Il faut regarder devant. Cela a été voté, c’est bon, il faut l’accepter et passer à autre chose.
C’est comme la reconnaissance du génocide arménien par le Sénat belge. C’est aussi le PS qui a proposé cette résolution qui a été adoptée. C’est bon, il faut l’accepter et passer à autre chose ?
Non, je vous rappelle que c’est le PS qui a aussi bloqué grâce au CDH récemment le sujet au Sénat. J’étais content que le PS bloque le débat sur la pénalisation. Je trouve que l’histoire doit être laissé aux mains des historiens. La politique est une chose, l’histoire est une autre chose. Personnellement, je trouve que l’attitude du PS dans ce dossier était excellente.
Vous connaissez qui sur la liste PS de Schaerbeek ?
Un peu tout le monde et aussi les autres candidats d’origine turque. Par exemple, Leyla Ertorun, c’est une femme extraordinaire. Elle vraiment de gauche, c’est une cliente dans mon magasin, on discute souvent. C’est une crème cette femme. Elle est très connue mais seulement par un public élitiste. Elle est de gauche mais la population ne la connaît pas. On ne la connaît pas à la mosquée blanche ou la mosquée Fatih, par exemple. Les associations et les journalistes la connaissent, tout le monde la connaît sauf les électeurs. Malgré tout, je suis convaincue qu’elle sera élue… une bonne gauche, j’ai toujours aimé cela.
Cela ne vous gêne pas qu’elle soit de gauche ?
Non, pourquoi ? Ce n’est pas grave. C’est vraiment une femme que j’apprécie beaucoup.
Parce que vous n’êtes pas vraiment de gauche…
Pourquoi ?
Parce que le fait d’avoir été Président d’une association d’extrême droite turque ou d’être opposé à l’adoption pour les couples homosexuels ne fait pas ressortir vos opinions de gauche.
Moi, je suis contre l’idée de gauche et de droite. Pour moi, le PS est juste un tout petit peu à gauche du centre.
A gauche du CDH donc ?
Où est vraiment le CDH ? Je ne sais pas où ils se situent exactement ceux-là (rires). Le PS est un parti de gauche mais il n’est pas à l’extrême, ok ? Ce sont des réalistes. Ils défendent le caractère social du pays.
Que conseillerez-vous aux électeurs schaerbeekois qui veulent voter pour vous ?
Qu’ils votent d’abord pour le PS. S’ils votent en plus pour moi, j’en serai très content mais qu’ils votent d’abord pour le PS. Je préfère qu’il fasse d’abord le choix du PS puis moi et pas l’inverse. Cela me gêne de dire ‘votez pour moi juste parce que je suis Turc’, c’est un peu petit comme raisonnement. En tout cas, si les électeurs votent pour moi, je ferai tout pour qu’ils ne le regrettent pas. J’essayerai d’abord de répondre à leurs attentes individuelles et privées. J’essayerai d’apporter une solution au grand problème des Schaerbeekois comme le chômage.
Le niveau communal n’est pas vraiment le meilleur niveau pour apporter une solution au chômage, non ?
Oui, c’est vrai mais avec 38 % de chômeurs, la situation est très grave. Je veux par exemple créer une permanence pour aider les futurs indépendants. Si un jeune est au chômage et qu’il veut devenir indépendant, je suis prêt à l’aider pour sortir des tâches administratives. L’accompagner du début jusqu’à la fin de la trajectoire administrative. Par ailleurs, je trouve qu’il y a un manque de structures entre l’école et les parents. Mon idée est de structurer cette relation écoles-parents comme instaurer une fois par moi une réunion générale des parents d’élèves.
Pour qui allez-vous voter lors des prochaines élections ?
Pour moi-même évidemment, pour Laurette Onkelinx,...
… en bon nationaliste turc, vous devriez pourtant être furieux de sa gestion dans la fuite organisée de Fehriye Erdal, la militante du DHKP-C condamnée par un tribunal belge, non ?
Permettez-moi de vous poser une seule question. Si Laurette n’était pas ministre de la Justice mais femme de ménage et que c’était Joëlle Milquet qui était ministre de la Justice. Pensez-vous que Fehriye Erdal se serait enfuie de la même manière ? Evidemment que oui. Alors ?
Avec ce raisonnement, on peut dire que vous êtes prêt à voter pour Joëlle Milquet.
Non, j’essaye juste démontrer que Fehriye Erdal a abusé de la confiance que la Belgique lui a accordée. La Belgique a condamné le DHKP-C comme une organisation terroriste. Mais tout n’est pas aussi blanc et noir. Vous savez, je connais un gars qui est extraordinaire et qui est membre du DHKP-C. Un gars vraiment très sympathique qui venait régulièrement dans mon snack. Je trouve simplement dommage qu’il soit à l’extrême gauche, terrorisme. C’était pourtant un type très sympa qui venait distribuer un journal turc Vatan ou Özvatan, je ne sais plus. On parlait souvent de politique car je suis quelqu’un qui aime discuter. C’était un client comme tout le monde dans mon snack, il mangeait et payait son sandwich.
Mais vous lui avez offert quelque chose quand même ?
Oui, bien sûr… un café.
Vous avez offert un café à un membre du DHKP-C ?
Oui mais je ne savais pas qu’il était du DHKP-C à l’époque.
D’après la loi Onkelinx sur les organisations terroristes, vous avez donc contribué à financer un réseau terroriste....
Mais il a juste bu un café et vous dites que je finance un réseau terroriste. Il a bu un café comme n’importe quel client.
Non puisqu’il n’a pas payé le café. Vous lui avez offert ce café, ce qui s’apparente à un don. C’est comme si vous donniez de l’argent à un membre d’un groupe terroriste donc vous êtes également un terroriste.
Mais je n’ai pas donné de l’argent. J’ai juste servi un café…
Non, vous avez dit que vous lui aviez offert un café. Bahar Kimyongür, emprisonné actuellement aux Pays-Bas et qui risque d’être extradé vers la Turquie, a été condamné par le tribunal pour avoir traduit et diffuser un communiqué de presse.
Je ne connais pas personnellement Bahar Kimyongür mais a-t-il commis un crime en Turquie ?
Pas à ma connaissance…
Alors, je ne vois pas pourquoi il devrait être extradé vers la Turquie. Je ne connais pas en profondeur le dossier mais c’est quand même triste que Bahar Kimyongür en soit arrivé à ce stade. Je n’apprécie pas du tout son idéologie mais je préfère un homme qui pense à celui qui ne pense pas du tout.
Etes-vous prêt à être extradé en Turquie pour avoir servi un café au DHKP-C?
Oui, sans problème mais je vous assure que je ne savais pas qu’il était membre de cette organisation quand je lui ai servi cette tasse de café. C’est par la suite que j’ai vu ce garçon à la télévision lors du procès de Fehriye Erdal.
Propos recueillis par Mehmet Koksal