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Elections 2003
Anissa Temsamani
L’affaire Temsamani révèle les carences des partis (Suffrage Universel, 26/09/2003)
La Belgique s’est distinguée comme un pays pionnier à l’échelle européenne dans la gestion de ses immigrations à plusieurs reprises. Elle le fut tout d’abord à la fin des années ’60 et au début des années ’70 avec la mise en place des conseils communaux consultatifs des immigrés. Elle le fut à nouveau en procédant à la reconnaissance de l’islam dès 1974. Elle s’est ensuite illustrée en mai 2000 par l’adoption d’une loi sur la naturalisation parmi les plus libérales du monde. Et elle l’a été également en permettant l’émergence d’élus d’origine étrangère à tous les niveau de pouvoir dans le courant des années 1990 et 2000. En l’espace d’une génération, les nouveaux Belges, principalement ceux issus des immigrations de travail des années ’60 et ’70, ont en effet gravi pas à pas tous les échelons de la représentation politique pour se hisser jusqu’aux plus hautes fonction exécutives fédérales, comme on l’a vu avec la nomination d’Anissa Temsamani au poste de Secrétaire d’Etat à l'organisation du travail et au bien être au travail.
La récente démission de Mme Temsamani constitue un nouvel accrochage sérieux dans la dynamique d’ouverture du monde politique belge aux réalités de la société multiculturelle. Cette démission arrive en effet après une longue série d’épisodes troublés. On avait connu le transfuge de Mostafa Ouezekhti en 1998 du parti Ecolo vers le MR (alors PRL), ensuite celle de deux élus socialistes, Mostafa Bentaha et Hassane Mokthari, qui avait apporté le mayorat de la commune de Forest au MR sur un plateau d’argent. Lors des législatives de 2003, c’est le candidat socialiste bruxellois Moustapha Akouz qui sera prié de céder sa place sur les listes pour présomption d’irrégularités dans le cadre de la gestion d’une asbl. Et plus récemment, c’est la députée régionale bruxelloise, Fatiha Saïdi, qui a annoncé son départ du parti Ecolo après avoir subi, selon ses propres dires, des pressions insupportables lors de la campagne pour l’élection du nouveau secrétariat fédéral du parti.
Sur le fond, toutes ces affaires ont bien peu de choses en commun. Mais, quelles que soient les responsabilités présumées ou avérées des uns et des autres, rien n’y fait: aux yeux de l’opinion publique, tout cela fait désordre! Le caractère répétitif de ces faux-pas ne contribue plus seulement à porter le discrédit sur les personnes qui en sont responsables mais bien sur des groupes déterminés. Et pourtant cette dynamique d’ouverture a créé d’énormes espoirs au sein des communautés d’origine étrangère, même s’il faut bien reconnaître qu’ils sont parfois démesurés. Avec cette affaire des diplômes d’A.Temsamani, les élus d’origine étrangère doivent savoir qu’ils sont attendus au tournant. Et si les attentes que font peser sur eux les catégories sociales dont ils sont issus sont exorbitantes, les exigences de bonne conduite et de moralité qu’ont attend d’eux dans les cercles du pouvoir ne le sont pas moins.
Il sera bien entendu toujours plus facile pour les esprits simples de chercher dans le registre de l’explication culturelle les raisons de ces défaillances. Et on n’ose à peine imaginer le type de réflexion que la succession de ces affaires ne manquera pas d’alimenter dans les cercles des militants politiques et des élus qui, dans des contextes comme celui de Bruxelles, s’inquiètent déjà parfois ouvertement de l’émergence extrêmement rapide de cette nouvelle catégorie d’élus. Dans ce marché de concurrence qu’est devenu la course aux places sur les listes électorales, il sera toujours plus facile d’alimenter la suspicion et la généralisation abusive que de pointer du doigt la responsabilité écrasante des partis politiques
Car c’est bien là que le bât blesse. Dans leur désir de conquête de l’électorat ethnique et antiraciste, les partis ont eu tendance à abandonner leur rôle dans la formation politique de leurs cadres pour, en lieu et place, co-opter à tour de bras. Le recours inconsidéré à la co-optation, qui n’est malheureusement le privilège d’aucun parti, conduit à une gestion superficielle des enjeux de la société multiculturelle. En s’intéressant plus à leurs voix dans l’urne qu’à leur voix à la tribune, les partis n’ont pas permis aux populations issues de l’immigration de transformer leurs victoires électorales en victoires politiques sur leurs dossiers prioritaires. La diversification des origines du élus n’a pas eu (encore?) d’effet déterminant sur des dossiers comme celui du droit de vote des étrangers, de la lutte contre les discriminations sur le marché de l’emploi, à l’école, dans le logement et les loisirs.
Dans le règne de la co-optation, la virginité politique des candidats potentiels d’origine étrangère devient une ressource très prisée qui ouvre grand les portes des assemblées jusqu’aux plus illustres des inconnus. Tout ceci institue un univers politique propre aux communautés d’origine étrangère où la militance sincère des démocrates de la première heure, tout comme l’activisme revendicateur des jeunes dans les quartiers, sont relégués au rang de nuisance. La logique du contrôle écrase la logique du combatet celle de la communication étouffe celle de l’argumentation. Il y a véritablement là quelque chose qui relève de la vieille tradition coloniale dans cette approche des choses.
Ces populations sont restées pendant trop longtemps en dehors des préoccupations politiques et idéologiques des partis politiques belges. On ne s’est pas suffisamment soucié du fait que ces nouveaux citoyens ont été abandonnés à l’encadrement politique et policier des états d’origine ainsi qu’aux groupements et groupuscules d’inspiration religieuse. Et cette négligence perdure d’une autre manière dans la totale indifférence que les partis affichent par rapport aux positionnements ambigus de certains de leurs membres vis-à-vis des gouvernements des pays d’origine.En ne dénonçant pas la confusion qui se pratique régulièrement entre la légitime solidarité que des élus peuvent exprimer avec les combats démocratiques des sociétés civiles des pays dont ils sont issus avec la double allégeance, les partis montrent qu’ils n’entendent et n’accompagnent que trop peu les voix qui s’élèvent au sein de ces populations pour plus de droit, de justice et de démocratie, ici et là-bas.
Hassan Boussetta
Président du Centre d’action pour le développement des relations euro-méditerranéennes (CADRE)
hassan.bousetta@skynet.be
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