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BENIN. "PARISTROIKA" : BEGAIEMENTS OU BALBUTIEMENTS ?

Pierre-Yves Lambert (paru dans Libertés, 9/3/1991)

Dimanche, 13 candidats s'affronteront au Bénin pour le premier tour des présidentielles.

Pour la cinquième fois en trois mois, les Béninois prennent le chemin des urnes. Enjeu: l'élection du successeur de Mathieu Kerekou à la magistrature suprême. Pas moins de treize candidats sont en lice.

Déjà, lors des législatives du 17 février dernier, les électeurs avaient marqué leur lassitude devant ces scrutins à répétition, et 52% d'entre eux seulement s'étaient déplacés pour une consultation qui, elle aussi, offrait le spectacle d'une extrême division de l'échiquier politique : 24 partis étaient en lice (il y en a 34 en tout), dont 16 obtinrent des sièges dans la nouvelle Assemblée nationale.

"Papi-candidats"

Fait assez exceptionnel en Afrique noire, 3 anciens présidents sont encore en vie (ZINSOU, MAGA et AHOMAGDEBE). Mais le gouvernement intérimaire a pris la précaution d'inclure, dans la Constitution adoptée par référendum le 2 décembre dernier, un article qui barre la route à ceux que le mensuel ivoirien Voix d'Afrique a surnommé les "papi-candidats" de plus de septante ans. Leur ombre pèse néanmoins d'un poids certain sur le prochain scrutin. Chaque candidat-président a tenté de se concilier leur appui pour récupérer leurs clientèles régionales.

Face à Nicéphore SOGLO, premier ministre actuellement sans parti (mais soutenu par une alliance de trois partis, grande gagnante des législatives), deux des 13 candidats semblent pouvoir faire le poids : A.HOUNGBEDJI et A.TEVOEJRE. Tous deux entourés par une équipe d'experts en communication, américaine pour l'un, française pour l'autre.

Ancien opposant en exil - doré - au Gabon, Maître Adrien HOUNGBEDJI, du Parti pour le Renouveau Démocratique, dispose d'un soutien financier non négligeable, celui du président gabonais Omar BONGO. Celui-ci a une longue expérience en matière de contributions électorales : pendant la campagne présidentielle de 1981, en France, il avait offert un...super-tanker à Jacques CHIRAC !

Certains lui reprochent toutefois sa trop longue absence du pays et son manque de perspectives politiques. Reproches dont ne sont pas exempts la plupart des autres candidats, brusquement frappés eux aussi du mal du pays. Comme le note un hebdomadaire africain de Paris, "on a beau retourner leurs programmes politiques et économiques dans tous les sens, on perçoit mal ce qui les distingue".

Gouvernement populaire

Longtemps directeur-adjoint du Bureau International du Travail, Albert TEVOEJRE a fondé son propre parti, "Notre Cause Commune" (arrivé en deuxième position le 17 février), après avoir, en décembre dernier, devancé un peu prématurément l'investiture du Rassemblement National Démocratique pour les présidentielles. Il y a un mois, beaucoup d'observateurs voyaient en lui l'adversaire le plus probable, pour le deuxième tour, du premier ministre SOGLO.

Ce dernier, ancien fonctionnaire de la Banque Mondiale, a dirigé, depuis un an, un gouvernement particulièrement efficace, d'autant plus populaire que les 47.000 fonctionnaires sont maintenant régulièrement payés - on commence même à payer les arriérés de salaire ! Autre satisfaction des Béninois: plusieurs hauts dignitaires de l'ère précédente, compromis dans des scandales politico-financiers, croupissent maintenant au fond des geôles béninoises. En décembre, le marabout de KEREKOU, Mohamed CISSE, à qui la rumeur publique impute une partie non négligeable du gouffre financier de l'Etat béninois, les a rejoints en prison.

Dernière minute

SOGLO peut donc capitaliser ce succès gouvernemental sur son nom, mais certains de ses conseillers et de ses ministres sont eux aussi sur la ligne de départ... Sans oublier un candidat de dernière minute: le président KEREKOU lui-même, artisan forcé de la démocratisation, qui, dit-on, pourrait bénéficier du retrait de certaines candidatures au nom de l'"unité nationale" ! Certains observateurs trouvent en effet éminemment suspect le foisonnement des vocations présidentielles ces derniers mois.

De toute façon, depuis les législatives, les Béninois semblent avoir résolument tourné le dos à dix-sept années de "pays sans industrie mais gouverné au nom de la classe ouvrière", de "Roumanie sans exportations, de Bohême sans usines, de Pologne sans charbon, de Prusse sans discipline" (Emile ZINSOU, dans une lettre au Monde du 6 mars 1990).

 

Une démocratie en incubation

Pendant les seize années qui ont suivi son indépendance, le "Quartier latin de l'Afrique" (surnommé ainsi en raison de son taux très élevé de diplômés) a connu six coups d'Etat. Battus lors des présidentielles de 1960 par le "Nordiste" Hubert MAGA, Sourou M.APITHY, du Sud, et Justin AHOMADEGBE, du Centre-Sud", se voient confier brièvement le pouvoir en 1964, entre deux coups d'état militaires. Les représentants des trois régions se retrouvent finalement , en décembre 1969, au sein d'un Conseil Présidentiel triumviral... lui-même mis en place à la suite d'un putsch qui avait écarté le président élu en 68, Emile ZINSOU !

Mais le 26 octobre 72, le lieutenant-colonel Mathieu KEREKOU les écarte tous du pouvoir. Trois ans plus tard, il impose le changement de nom du pays qui, de "Dahomey", se transforme en "République populaire du Bénin", dirigée par un parti unique marxiste-léniniste. Comme ses modèles d'Europe de l'Est, le régime de KEREKOU a conduit le Bénin à la catastrophe économique. Il figure aujourd'hui sur la liste peu enviée des "pays les moins avancés". L'explosion populaire de la fin 89 (entre l'écroulement du Mur de Berlin et la destitution de CEAUCESCU) le força à abjurer le marxisme-léninisme et à convoquer, sur une "suggestion" de Paris, une Conférence nationale représentant tous les courants politiques.

Ce revirement politique exceptionnel dans une Afrique noire qu'on disait résignée à subir les méfaits du système de parti unique fit tache d'huile dans toute l'Afrique francophone... avec la bénédiction de Paris, qui entendait se défaire à cette occasion d'une réputation de protecteur attitré des dictateurs africains de tout poil.


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