Suffrage Universel
Processus de démocratisation

CAMEROUN. LES REVENANTS AU POUVOIR ?

Pierre-Yves Lambert (paru dans Libertés, 25/4/1991)

Le fantôme de Ruben Um Nyobé et ses acolytes vont-ils bientôt remplacer le gouvernement de Paul Biya, qui vient d'être forcé à entamer un processus de démocratisation ?

Lors de son accession à l'indépendance, en 1960, le Cameroun se dota d'une Constitution à vocation pluraliste qui prévoyait le multipartisme. Malgré la popularité de l'U.P.C. dans le pays, sa branche légale n'obtint que 8 sièges dans la nouvelle Assemblée nationale et resta soumise aux tracasseries policières du gouvernement d'Ahidjo, le nouveau président. Celui-ci finit, six ans plus tard, par instaurer un régime de parti unique dans l'ex-Cameroun français, le multipartisme restant en vigueur dans le Cameroun occidental jusqu'en 1972.

En novembre 1982, Ahidjo est démissionné "volontairement" de la présidence de la République Unie du Cameroun et remplacé par son premier ministre Paul Biya. Cette révolution de palais mettait ainsi fin à un régime auquel un haut magistrat reprocha par la suite l'"hypertrophie du pouvoir exécutif, renforcé par le monopartisme envahissant, et [l']atrophie de tous les contrepoids, pour ne pas dire tout court [l']absence de contrepoids".

Le Président Biya tente alors de remédier progressivement aux maux légués par son prédécesseur en renouvelant totalement les cadres et les structures du parti unique, rebaptisé en 1985 Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais. Il réussira même à y rallier quelques opposants "de l'intérieur". L'ouverture se marquera également lors des élections municipales d'octobre 1987, pluralistes dans le cadre du parti unique. Quelques mois plus tard, Biya est réélu président, tandis que la quasi totalité des députés sont battus par des nouveaux venus lors des législatives.

Néanmoins, des affrontements violents à Yaoundé avaient mis aux prises étudiants et policiers dès décembre 87 et, la situation économique empirant, de nouveaux troubles sociaux éclatèrent à partir de 1989. Le 3 décembre 1990, l'Assemblée nationale adopte une série de lois destinées à contrôler la création de nouveaux partis, alors que la Constitution prévoyait explicitement le multipartisme intégral. Plusieurs partis "proches du pouvoir" se font ainsi reconnaître sans problèmes, mais la plupart des partis d'opposition, dans le pays ou en exil, refusent de cautionner ce "multipartisme sous contrôle".

Parmi ces derniers, le plus actif semble être le Social Democratic Front de John Fru Ndi et Yondo Black. Fondé en avril 1990 dans une ville anglophone de l'Ouest, le S.D.F. avait suscité, dès sa création, des réactions meurtrières de la part de l'armée gouvernementale. Les dirigeants de ce mouvement sont proches d'un autre anglophone, Ndeh Ntumazah, président en exil du Front Démocratique Camerounais qui regroupe les "upécistes" non-marxistes et quelques petits partis sociaux-démocrates. Tant le S.D.F. que le F.D.C. revendiquent la tenue sans délais d'une conférence nationale d'où ne seraient exclus "que" les acteurs de la répression des... trente dernières années ! Parmi leurs exigences figurent également l'amnistie générale pour les prisonniers politiques et les exilés, l'abrogation de l'état d'exception et la désignation d'un "gouvernement transitoire d'union patriotique".

De nombreuses autres personnalités, toutes issues de l'U.P.C., pourraient jouer un rôle important dans un Cameroun réellement démocratisé. Parmi elles, Ngouo Woungly-Massaga, ancien dirigeant de l'aile marxiste, est récemment revenu à Yaoundé au terme d'un exil d'une trentaine d'années, dont les dernières en Angola. Il a aussitôt mis sur pied le "Parti de la Solidarité du Peuple" qui s'affirme proche de la... majorité présidentielle. Mongo Beti, écrivain africain de renom et polémiste de talent, s'est rendu au Cameroun en février dernier à l'invitation d'un groupe d'opposants. Il n'avait plus remis les pieds dans son pays natal depuis 1959.

Autre figure importante de l'opposition camerounaise, Maître Yondo Black est considéré par certains comme un leader potentiel de celle-ci au cas où les rivalités personnelles qui la minent sont surmontées. Ancien bâtonnier, il a passé quelques mois en prison après son arrestation en février 90. Son arrestation avait provoqué le déclenchement d'une vaste campagne en faveur de la démocratie menée par des avocats et es journalistes indépendants. Le point culminant de celle-ci avait été la tournée aux Etats-Unis et en France de son successeur, Maître Mouna, pour mobiliser les forces d'opposition et convaincre les bailleurs de fonds du régime Biya de revoir leur politique à l'égard du Cameroun.

Il y a encore beaucoup d'autres grandes figures politiques ans cette opposition camerounaise peuplée de "revenants" d'avant 1960 et d'opposants "internes" qui ont pris peu à peu leurs distances avec le régime ces dernières années. Malgré quelques tentatives de musellement, la presse indépendante est en pleine expansion, ne ménageant personne dans ses analyses critico-satiriques de la situation politique.

Mais la situation économique devient de plus en plus grave, et on distingue mal jusqu'ici ce qui différencie le pouvoir et l'opposition dans les solutions que les uns et les autres pourraient proposer dans ce domaine. Le peuple réclame le départ de tous les dirigeants actuels, accusés d'être les responsables de tous les maux du pays, mais beaucoup d'observateurs craignent de voir se reproduire, en cas d'élections trop hâtives, la situation de 1959, où pas moins de... 84 partis étaient en lice pour accéder au pouvoir.

Dans ce pays de 11 millions d'habitants, la diversité ethnique et le foisonnements des vocations présidentielles ou ministérielles font en effet peser une lourde hypothèque sur les perspectives de démocratisation.

La situation actuelle au Cameroun, comme dans beaucoup d'autres pays africains, rappelle à maints égards celle de plusieurs pays d'Europe de l'Est depuis un an, tant sur le plan politique que par l'étendue des problèmes économiques : partout, la seule promesse de l'opposition, c'est de "ne pas faire comme" ceux qu'elle prétend remplacer... en se gardant bien de dire comment. Heureusement, le F.M.I. et la Banque Mondiale seront toujours là pour leur proposer des programmes de réformes économiques "clés en main", et la population pourra à nouveau manifester dans quelques mois, quand le prix du pain aura décuplé et que des milliers de fonctionnaires auront été "remerciés"... par les nouveaux dirigeants.

L'UPC et ses héritiers

Depuis l'année dernière, on assiste à la création de nombreux nouveaux partis au Cameroun. Plusieurs se revendiquent de l'Union des Populations du Cameroun, dont le prestige reste très grand, trente-six ans après sa dissolution par l'administration française au Cameroun.

Fondée dès 1948 par un syndicalisme formé par la C.G.T. française, Ruben Um Nyobé, l'U.P.C. fut le premier parti à revendiquer tant l'indépendance immédiate que l'unification des Cameroun français et britannique. Ce mouvement de libération nationale comptait, sept ans plus tard, 460 comités de village ou de quartier et 80.000 adhérents, surtout dans le Sud-Ouest, parmi les Bamileke et les Bassa. Après avoir tenté la voie parlementaire en 51-52 avec insuccès, l'U.P.C. se tourna vers l'O.N.U., qui avait la tutelle sur le Cameroun, pour demander l'indépendance et la réunification.

A partir de 1953, sous l'impulsion du docteur Félix Moumié, l'U.P.C. prend une orientation marxiste inspirée de l'expérience chinoise et radicalise ses modes d'action politique. Après la première révolte armée, en mai 55, le parti est dissout et ses dirigeants doivent s'exiler à Koumba (Cameroun britannique), puis au Caire, à Conakry et à Pékin. Ruben Um Nyobé sera tué, les armes à la main, en décembre 1958 ; Félix Moumié sera empoisonné à Genève en 1960. La lutte armée se poursuivit jusqu'à l'arrestation, en août 1970, du dirigeant Ernest Ouandié, fusillé six mois plus tard.


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