Suffrage Universel
Processus de démocratisation

La sève de la démocratie

Pierre-Yves Lambert
(paru dans le quotidien  belge Libertés 12/4/1991)

Trente ans d'indépendances africaines: "Nous attendaient le long de notre dur chemin les indépendances politiques, le parti unique, l'homme charismatique, le père de la nation... Puis les autres mythes: la lutte pour l'unité nationale, pour le développement, le socialisme, la paix, l'autosuffisance alimentaire. Salmigondis de slogans qui, à force d'être galvaudés, nous ont rendu sceptiques, pelés, demi-sourds, demi-aveugles, aphones, brefs plus nègres que nous ne l'étions avant et avec eux".

Ce constat de l'écrivain ivoirien KOUROUMA, particulièrement cruel pour les classes dirigeantes et les intellectuels africains, ne doit néanmoins pas faire oublier l'écrasante responsabilité des démocraties du "monde libre" et du "monde socialiste" qui ont contribué à maintenir au pouvoir des tyrans plus sanguinaires et plus corrompus les uns que les autres, les uns pour préserver leurs intérêts économiques, les autres pour s'assurer un ancrage stratégique sur le continent africain, et tous pour propager leur modèle de développement, libéralisme intégral ou étatisme total(itaire).

Mais que les tyrans soient de "gauche" ou de "droite", ils partageaient - et pour certains, maintiennent encore - nombre de points communs avec le défunt régime de CEAUCESCU: "même personnalisation du pouvoir, même association de la famille (de la tribu) du patron au partage du gâteau politique, même contrôle des médias, même dégradation des institutions et du pouvoir d'achat des populations..." (Siradiou DIALLO, dans l'hebdomadaire Jeune Afrique). D'autres faits, ainsi qu'une analyse fouillée et mise à jour de la situation politique en Afrique noire à la fin de 1990, constituent l'objet de l'ouvrage d'Albert BOURGI et Christian CASTERAN, "Le printemps de l'Afrique" (Hachette, 1991).

Nouveau départ ?

Quant à René DUMONT, le célèbre agronome écolo-socialiste qui avait prédit il y a trente ans déjà "L'Afrique noire est mal partie", il n'a pas hésité à accepter, l'an dernier, une invitation de l'Association Démocratique des Français de l'Etranger - regroupant les émigrés français dans le monde entier - à donner des conférences dans plusieurs villes de l'Afrique noire francophone, alors en pleine effervescence. Il a ainsi pu prendre le pouls de l'intelligentsia africaine, qui a assisté en grand nombre à ces réunions, et a couché sur le papier ses réflexions sur le devenir politique, mais aussi social et économique, des peuples africains qu'il connaît bien et de longue date.

Une constante, dans cette réflexion, l'attention toute particulière - et très salutaire - portée à l'exploitation de la femme africaine, véritable "bête de somme" de société tout entières dominées par les mâles. L'éducation pourrait, selon René DUMONT, faire prendre conscience aux femmes de leur aliénation et amener les hommes à les respecter en retardant l'âge de leur mariage.

Mais beaucoup d'autres thèmes sont abordés dans "Démocratie pour l'Afrique" (Seuil, 1991), notamment les responsabilités écrasantes des différents gouvernements français - socialistes y compris - dans l'état de sous-développement actuel de leurs ex-colonies. Il plaide notamment pour une réciprocité du droit d'ingérence, limité aujourd'hui au contrôle du Fonds Monétaire International et des gouvernements bailleurs de fonds, qui pourrait également être exercé par les Africains sur les pollueurs des pays développés qui dégradent ainsi la situation climatique dans les pays du Sud.

Une citation de la contribution du PS français d'Abidjan pour le Congrès raté de Rennes semble prouver un changement important des mentalités, concrétisé par le sommet franco-africain de La Baule en 1990: "Comme nous posons des conditions à l'aide à l'Europe de l'Est, nous mépriserions les populations africaines si nous ne leur reconnaissions pas les mêmes droits politiques et économiques, y inclus le droit des hommes et des femmes au travail, donc à la dignité et aux ressources acquises par ledit travail".


Suffrage Universel
Processus de démocratisation