Suffrage Universel
Processus de démocratisation

SAMOA OCCIDENTALES. UN ARCHIPEL EN LIBERTES

Pierre-Yves Lambert (paru dans Libertés, 27/4/1991)

Ce "paradis simple et ensoleillé" où est enterré l'auteur de L'Ile au trésor vient de se doter d'un parlement élu au suffrage universel.

Le 5 avril dernier, le monde s'est enrichi d'une nouvelle démocratie. Pas en Europe de l'Est, pas en Afrique, ni en Amérique latine. Non, tout simplement au beau milieu du Pacifique, dans un petit archipel pratiquement inconnu de tous, mis à part quelques anthropologues et poètes séduits par le cadre naturel paradisiaque et un peuple qui "se déplace et danse comme des dieux et des déesses"... Tout un programme !

Ce petit pays de moins de 3000 km2 n'avait pas attendu d'être colonisé pour se doter d'une constitution en 1873, sous l'impulsion d'un aventurier américain qui devint même brièvement le premier Premier ministre des Samoa. Pendant la tutelle néo-zélandaise, un conseil consultatif fut mis en place, mais un mouvement nationaliste samoan, les Mau, se développa à partir de 1925 sous l'impulsion des chefs de village. La répression fut dure, plusieurs leaders du parti Mau furent exilés, et il y eut même quelques morts. Ce n'est qu'en 1936, avec l'avènement au pouvoir des travaillistes en Nouvelle-Zélande, que ce parti fut officiellement reconnu, et le calme revint peu à peu, le mouvement Mau cessant même d'exister en 1948, faute de cause à défendre !

Les Samoa Occidentales sont dotées d'une Assemblée législative, le Fono, depuis 1947. Le mode d'élection des membres du Fono était régi par un système traditionnel où seuls votaient les mataï, chefs de familles élargies qui constituent les cellules de base de la société samoane. Ces mataï étaient désigné de commun accord par les familles concernées, certaines d'entre elles se séparant parfois pour élire un nouveau mataï susceptible de mieux les conseiller. Il ne s'agit en effet pas d'une simple charge honorifique héréditairement transmise : le rôle du mataï est, bien sûr, de faire respecter dans son village les règles coutumières, mais il est également le conseiller économique, social et politique de ses concitoyens. En 1985, il y en avait 13.000, soit un mataï pour une dizaine d'habitants. Les femmes ne représentaient qu'un pourcent de ceux-ci, l'une d'entre elle siégeant au Fono.

Pendant longtemps, les mataï ne ressentirent pas la nécessité de s'organiser en partis politiques, mais le tout nouveau Parti pour la Protection des Droits de l'Homme, créé en 1979, a réussi à gagner toutes les élections depuis 1982, les autres partis semblant surtout représenter les intérêts de quelques mataïs inquiets des réformes économiques et politiques voulues par ce nouveau rival.

Dès 1984, un débat s'engagea entre le gouvernement et l'opposition sur le passage au suffrage universel. Les arguments développés par les partisans de cette réforme reposaient notamment sur l'instabilité du système en vigueur qui était souvent agité par des querelles personnelles nécessitant des élections générales à répétition. L'opposition, quant à elle, estimait qu'un tel changement risquait d'altérer le fa'a samoa, le mode de vie traditionnel.

La députée qui avait proposé l'extension du droit de vote à l'époque n'avait pas été réélue aux élections suivantes. Un référendum organisé fin 1990 lui a quand même donné raison, et les premières élections au suffrage universel qui se sont déroulées le 5 avril dernier lui ont rendu son siège, ainsi qu'à une nouvelle collègue. Le chef de l'opposition a, quant à lui, été désavoué par ses électeurs et ne siégera plus au Fono où la majorité détient maintenant 26 sièges sur 47 pour les trois prochaines années.

Pour l'ambassadeur des Samoa Occidentales à Bruxelles, Monsieur Afamasaga Toleafoa, le mode de vie des Samoans ne souffrira pas du tout de cette réforme qui était indispensable. Le rôle des mataïs se limitera désormais à aider les communautés locales qui les ont choisis, ce qui diminuera probablement le nombre des "faux mataïs", créés uniquement pour les besoins des élections dans le système précédent. Le pays a surtout besoin de poursuivre à son rythme propre le mode de développement qu'il s'est choisi, en continuant à insister sur l'autonomie de production des communautés villageoises tout en intégrant certaines données économiques imposées par l'évolution du monde extérieur. Parmi les préoccupations grandissantes de la population samoane ces dernières années, outre la question de la démocratie, c'est la crainte de la détérioration de l'environnement qui semble dominer, mais les risques semblent heureusement assez faibles sur ce plan. Un poète n'a-t-il pas écrit que la beauté des Samoa, et de leurs habitants, est "si pure qu'il est difficile de reprendre son souffle"...


'Samoan way of life"

En 1899, un arbitrage international entre les puissances impérialistes de l'époque attribua aux Etats-Unis la partie orientale des Samoa, et le reste aux Allemands. Ces derniers furent remplacés en 1914 par les Néo-Zélandais à qui la Société des Nations, puis l'O.N.U. confièrent la "tutelle" des Samoans occidentaux jusqu'à leur indépendance, en 1962. Si le niveau de vie de ses habitants est assez enviable par rapport à la plupart des autres pays du Tiers-Monde, la situation économique de l'Etat des Samoa Occidentales a tellement empiré depuis la crise pétrolière de 1980 que le gouvernement a dû appliquer un plan de "réajustement" sous l'égide du F.M.I.

L'agriculture représente la moitié du Produit Intérieur Brut et 90% des exportations, avec tout ce que cela implique de vulnérabilité aux fluctuations des cours mondiaux. Quant au tourisme, son développement est très contrôlé par le gouvernement qui ne souhaite pas la destruction de la "Samoan way of life", le fa'a samoa. Les cousins "américains" des Samoans occidentaux ont d'ailleurs déjà payé le prix de cette exploitation à outrance du tourisme et de la dépendance totale à l'égard de l'aide U.S. Le Courrier ACP, un magazine édité par les Communautés Européennes, n'hésitait pas à écrire dans un numéro spécial sur les Samoa que les nouveaux symboles des Samoans américains sont ainsi devenus "le coca-cola, le base-ball, la musique disco dans les transports publics...".


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