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Citoyenneté, démocratie, ethnicité et vote au Royaume-Uni

Le système de partis politique dans une societe multiculturelle: l'Irlande du Nord

Suffrage Universel n°3, juillet 1998

Les observateurs des récentes élections à l'Assemblée régionale (Stormont) d'Irlande du Nord auront pu constater que cette région ne connaît pas le même système de partis que le reste du Royaume-Uni. Pas de Parti Conservateur, pas de Parti Travailliste, pas de Parti Libéral Démocrate, mais une myriade de partis régionaux n'existant qu'en Irlande du Nord, à l'exception du Sinn Fein qui a également des élus en République d'Irlande, et de deux partis socialistes qui ont (eu) des députés dans le Sud, Democratic Left et le Workers Party.

Nicholas Whyte (Explorers@Whyte.com ), un politologue né à Belfast en 1967 et résidant actuellement à Zagreb (Croatie) (entretemps, depuis 1999, il travaille à Bruxelles), a bien voulu éclairer notre lanterne quant à cette curieuse situation. Curieuse dans la mesure où il paraîtrait logique que les pro-britanniques se retrouvent dans des partis britanniques et les pro-irlandais dans des partis irlandais. Mais laissons la parole à Nicholas (qui a par ailleurs créé une homepage à l'occasion de ces élections: http://explorers.whyte.com/ ). Le texte original est en anglais (disponible dans les archives de google). Les encadrés en italiques  [ ] sont de P.Y. Lambert, à qui les éventuelles erreurs de traduction peuvent être reprochées.

Nicholas Whyte:

"Au dix-neuvième siècle, le système britannique de partis s'étendait à toute l'Irlande, avec des exceptions. La montée du Parti des Nationalistes Irlandais d'Isaac Butt et Charles Stuart Parnell dans les années 1870 a polarisé la vie politique entre les Conservateurs/Unionistes, pour la plupart protestants, qui s'opposaient à toute autonomie pour l'Irlande, et les Nationalistes Irlandais, pour la plupart catholiques, qui prônaient l'autonomie au sein de l'Empire britannique.

Les Conservateurs irlandais de cette période étaient membres à part entière du Parti Conservateur britannique. Le Parti Libéral britannique fut fortement affaibli en Irlande du fait de la montée des Nationalistes irlandais en tant que force politique, et en 1886 il subit une importante scission quand ses membres unionistes, conduits par Joseph Chamberlain, formèrent un petit parti de leur cru qui s'allia systématiquement avec les Conservateurs avant de finir par fusionner avec eux en 1906. Ceci affaiblit les Libéraux en Angleterre, en Ecosse et au Pays de Galles et acheva pratiquement l'existence du parti en Irlande, à part de temps en temps comme étiquette de convenance pour des candidats nationalistes irlandais.

Jusqu'en 1920, la politique dans l'ensemble de l'Irlande peut être considérée commeun cas spécial, régional, de la politique britannique. De 1921 à 1972, la situation a changé. La plus grande partie de l'Irlande devint indépendante et développa rapidement son propre système de partis. L'Irlande du Nord devint autonome, demeurant au sein du Royaume-Uni. Comme on aurait pu s'y attendre, le système de partis d'Irlande du Nord était un faible reflet de ses deux voisins. Le Parti Unioniste au pouvoir maintint ses liens avec les Conservateurs d'Angleterre, d'Ecosse et du Pays de Galles jusqu'en 1973. Il y eut un certain nombre de renaissances libérales ou travaillistes avec le soutien moral des partis travailliste et libéral britanniques. Les libéraux en Irlande du Nord eurent toujours un statut à part entière au sein du Parti Libéral britannique, mais le Northern Ireland Labour Party (NILP) demeura séparé et les résidents d'Irlande du Nord ne furent pas autorisés à devenir membres du Parti travailliste britannique.

Certains partis basés dans ce qui est maintenant la République d'Irlande ont essayé d'obtenir des soutiens en Irlande du Nord. Le Sinn Fein, le mouvement indépendantiste, gagna quelques sièges aux élections de 1918 dans ce qui constitue maintenant l'Irlande du Nord, et lors des premières élections au parlement autonome d'Irlande du Nord (Stormont) en 1921, Sinn Fein et ce qui restait du vieux Parti Nationaliste Irlandais gagnèrent en tout six sièges sur cinquante-deux. Mais le Sinn Fein se concentra sur ses scissions en diverses factions qui gouvernèrent par la suite le nouvel Etat indépendant et se désintéressèrent de l'Irlande du Nord. Eamon de Valera fut élu au Stormont pour son parti le Fianna Fail en 1932 mais ne siégea jamais. Le Parti travailliste irlandais s'étendit temporairement en Irlande du Nord du Nord à quelques occasions dans les années quarante et cinquante, essentiellement quand des groupes de Nationalistes décidèrent de le rejoindre. Pendant ce temps, le Parti nationaliste irlandais, qui avait été éliminé dans le reste de l'Irlande, demeura le groupe politique le plus important représentant les catholiques du Nord.

Il y eut un réalignement politique général au début des années 70. Le lien entre le Parti Unioniste et les conservateurs britanniques fut rompu. Tant le Parti Libéral d'Ulster que le Parti Travailliste d'Irlande du Nord (NILP) virent la plupart de leurs partisans apporter leur soutien au parti Alliance d'Irlande du Nord, qui est un membre de l'ELDR et de l'Internationale Libérale. Le Parti Nationaliste Irlandais finit par disparaître et la plupart de ses partisans se tournèrent vers le Social Democratic and Labour Party, qui est fondamentalement un parti nationaliste irlandais uniquement basé en Irlande du Nord qui se prétend social-démocrate (et est membre des Socialistes Européens et de l'Internationale Socialiste). Dans la majeure partie des années 70, la politique nord-irlandaise resta donc très régionale.

Deux évolutions importantes eurent lieu dans les années 80. Tout d'abord, le Sinn Fein décida de se présenter à nouveau aux élections en Irlande du Nord à partir de 1982; il est maintenant le parti le plus important à avoir des membres élus des deux côtés de la frontière. C'est à ce moment que, en partie en réaction au succès du Sinn Fein, un certain nombre d'unionistes d'Irlande du Nord exigèrent que les partis britanniques s'implantent à nouveau en Irlande du Nord. Ils prétendirent que le refus des travaillistes et des conservateurs d'autoriser des personnes résidant en Irlande du Nord de s'affilier à leurs partis était une violation des droits de l'homme. Le Parti Conservateur changea son règlement, et commença à s'organiser en Irlande du Nord. Ils ne réussirent pas à faire de percée au début des années 1990 et sont maintenant un parti très marginal. Le Parti Travailliste n'autorise toujours pas d'affiliations en Irlande du Nord. Il y a un certain nombre de petits groupes travaillistes en Irlande du Nord, dont la plupart souhaiteraient s'affilier au Parti Travailliste britannique. Les Libéraux démocrates n'acceptent pas de membres d'Irlande du Nord, mais ils soutiennent les candidats du parti Alliance aux élections - en fait, il s'agit d'un exemple de "double affiliation". J'ai moi-même été un membre des deux partis quand je vivais en Irlande du Nord. (...)

La question tout entière des partis politiques auxquels s'affilier soulève toutes sortes d'autres questions au sujet de la destinée ultime de l'Irlande du Nord. Le mouvement soutenant l'organisation des conservateurs ici avait pour objectif que l'Irlande du Nord soit traitée comme tout autre partie du Royaume-Uni. La tête de proue de ce mouvement est Robert Mac Cartney, député [à Westminster] de la circonscription de North Down qui a maintenant son propre parti, le UK Unionist Party. Bien que je ne sois plus autant impliqué que par le passé, je crois savoir que la question de liens plus étroits entre le parti Alliance [Irlande du Nord] et les Libéraux Démocrates [britanniques] est envisagée en ce moment. Le dirigeant du parti Alliance siège déjà en tant que libéral démocrate à la Chambre des Lords [entretemps, Lord Alderdice, par ailleurs maire de Belfast, a été élu président de la nouvelle Assemblée régionale d'Irlande du Nord, et a quitté son parti] Cependant, il ne semble pas y avoir beaucoup de chances que le Parti Travailliste britannique recrute des membres en Irlande du Nord. De la même façon, il est peu probable que la plupart des partis de la république d'Irlande étendent leur organisation au Nord, bien que le Fine Gael, deuxième parti en importance dans le Sud, ait recruté un ancien dirigeant du parti Alliance comme Eurodéputé, et un ancien dirigeant du SDLP ["catholique modéré"] comme membre du Parlement irlandais.

On devrait étudier sérieusement ce problème sous un angle tant théorique que pratique. Les partis autrichiens s'organisent-ils au Süd-Tirol ? Les partis finlandais et suédois s'organisent-ils dans les îles Aland [région autonome suédophone en Finlande] ? Quelle est la relation entre la politique andorranne et catalane [pour info, la Gauche Républicaine Catalane existe aussi en Catalogne française, et a des élus au niveau municipal] ? La grande actualité de cette semaine en Croatie et en Bosnie, c'est la scission de l'aile bosniaque du parti HDZ du président [croate] Tudjman. De même, le Parti Radical Serbe de Seselj [ultra-nationaliste] est présent tant en Bosnie qu'en Serbie.",

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historique et résultats (Nicholas Whyte)

Northern Ireland - CAIN (Conflict Archive on the Internet)

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