Le Soir du mercredi 17 octobre 2001
Carte blanche
Ni tout blanc ni tout noir
Julien Rybski,
coprésident AI du comité de coordination des organisations
juives de Belgique (CCOJB)
Récemment, un journaliste d'une radio française relatait un
attentat perpétré par un kamikaze palestinien contre des civils
israéliens. Il annonçait deux morts palestiniens, et, à
la fin de ses commentaires, ajoutait qu'il y avait eu aussi un mort
israélien. Pour lui, l'attentat n'avait pas fait trois morts mais
bien deux... et un troisième aussi. Cet exemple de la façon
de traiter un sujet aussi complexe que le conflit israélo-palestinien
est tiré parmi d'innombrables de la presse écrite et audiovisuelle.
Depuis la première Intifada s'est développé un
manichéisme qui s'accorde peu à la réalité du
terrain : il y aurait, d'un côté un Goliath (Israël
surarmé), et de l'autre un David (le peuple palestinien pauvre et
opprimé) que sa situation pousserait jusqu'au terrorisme suicidaire.
Y aurait-il un terrorisme réprouvé de tous, celui du criminel
Ben Laden, un autre acceptable et justifiable parce que dirigé contre
des Juifs israéliens - et qu'il s'agisse de civils hommes, femmes
ou enfants importe peu. Y aurait-il deux poids, deux mesures ?
La communauté juive de Belgique est convaincue qu'une information
partiale ne peut concourir au but à atteindre impérativement
: la paix entre Israéliens et Palestiniens par la reconnaissance du
droit de chaque peuple à vivre librement dans son Etat, dans des
frontières sûres parce que mutuellement et internationalement
reconnues.
Or, nous constatons qu'en Belgique, au lieu de progresser dans l'opinion
publique, l'idée de cette seule alternative à la guerre qu'est
la paix recule. Elle recule d'autant plus dangereusement que certains pratiquent
un amalgame entre Israéliens et Juifs, entre musulmans et
intégristes islamistes avec des conséquences néfastes.
Les médias, avec raison, ont mis en garde l'opinion publique contre
le racisme qui assimile toutes les communautés immigrées
arabo-musulmanes aux adeptes de Ben Laden. Il conviendrait qu'ils fassent
de même contre la nouvelle forme d'antisémitisme qui se répand
et fait de tout Juif un ennemi de la paix. Et s'il est vrai que tout Juif,
en Belgique, est particulièrement sensible à ce qui se passe
en Israël, c'est bien parce qu'Israël est né de son mouvement
de libération nationale, le sionisme, qui a concrétisé
son droit à l'existence, à la liberté, au bonheur, au
même titre que tous les autres peuples.
Dans la construction d'une société multiculturelle et
démocratique, où toute communauté trouve son espace
de développement économique, culturel et spirituel dans le
respect des autres, les médias ont un rôle certain à
jouer. Ce rôle peut être à la fois porteur de progrès
et préventif. Porteur de progrès parce que ce qui permet à
l'individu de s'épanouir dans une société harmonieuse,
de s'ouvrir à l'autre, de le reconnaître dans sa différence
est un enrichissement pour lui-même et pour le pays. Préventif,
parce qu'il peut contribuer à empêcher que ne s'exporte, dans
notre pays, la violence et la haine qui opposent deux peuples appelés
à vivre côte à côte au Moyen-Orient. Cette violence,
cette haine commencent à faire leurs ravages dans nos rues, dans nos
écoles. Presque chaque jour nous sont rapportés des incidents
antisémites liés au conflit du Moyen-Orient. C'est
intolérable. Il n'est pas trop tard pour endiguer ce fléau.
Les médias - ce quatrième pouvoir - ont une responsabilité
à assumer. La liberté a ses limites : elle s'arrête là
où commence celle de l'autre. La liberté de la presse
n'échappe pas à la maxime. Il appartient aux médias
- comme à nos représentants politiques qui y puisent eux aussi
de quoi forger leur opinion - de contribuer à ce que, au moment où
elle assume la présidence européenne, la Belgique, par une
attitude d'équilibre et de modération, apporte son grain au
terreau fertile de la conciliation et de la réconciliation.·
Le Soir du mercredi 17 octobre 2001
Carte blanche
La presse belge ne tend plus à l'objectivité
Arié Renous
Président du Cercle Ben Gourion, Radio Judaïca, Contact J
Sur le conflit du Proche-Orient on constate deux types de déviance
journalistique.
1. Les médias ne favorisent qu'une face des événements,
sans la compléter par les explications de l'autre. Exemple : Les
médias rappellent que les Israéliens ne respectent pas les
résolutions de l'ONU. Fort bien, mais ils omettent de dire que les
Palestiniens non plus. Ils n'ont pas respecté la résolution
181 qui partageait la Palestine sous mandat en 2 entités, la juive
et l'arabe. Les Juifs l'ont acceptée et les Arabes l'ont refusée.
Ce n'était pas une petite résolution. Si Les Arabes l'avaient
acceptée, ils auraient eu leur Etat depuis 1948 et l'on se serait
épargné de nombreuses guerres. Pourquoi les médias ne
rappellent-ils pas qu'outre Israël, les Arabes ne respectent pas le
droit non plus.
2. Les médias adoptent sans les vérifier, les thèses
palestiniennes et toutes les conséquences qui s'ensuivent. Exemple
: Les médias belges affirment comme une évidence que la Palestine
est occupée par Israël, que les Palestiniens en sont les
opprimés et qu'ils ont donc pour eux le droit de se défendre
contre l'occupant.
Or, lorsque en 1967 les Israéliens sont entrés sur ces terres
de Cisjordanie, elles n'étaient pas palestiniennes que je sache. Comment
auraient-elles pu l'être puisque la Palestine n'existait pas. Ces terres
n'ont aucun statut, elles font problème. Pourquoi le taire.
C'est autour d'une table de négociation que les frontières
du futur Etat palestinien devront être définies, moyennant des
concessions, et non au prix d'intifada et d'attentats-suicide. Les médias
devraient s'y tenir, le rappeler, mais voilà, ils ne le font pas,
ou si peu.
Ce qui est dérangeant, c'est que depuis la seconde Intifada, la presse
ne traite les événements que partiellement et très souvent
partialement. Les Israéliens ont des torts et personne n'en disconvient,
mais les Palestiniens aussi. Or, ceux-ci, la plupart du temps, sont
occultés et c'est cela qui est insupportable.
Même la presse pour enfants n'échappe pas à cette vague
de partialité qui confine à la désinformation pure et
simple. Dans Le Soir Junior du 11/09/01, on peut lire que la seule leçon
de Durban à retenir est qu'Israël y a été
qualifié d'Etat raciste, en ajoutant que certains pays comme Israël
et les Etats-Unis ne supportent pas d'être montrés du doigt.
Edifiant non ?
Les médias, dont le vôtre, offrent davantage leurs colonnes
à ceux qui critiquent Israël qu'à ceux qui le soutiennent.
Que n'a-t-on vu des cartes blanches avec des pétitions (50 signatures
au maximum) de groupes minoritaires juifs dénoncer les pratiques
israéliennes, alors qu'en même temps des cartes blanches
émanant d'organisations juives autrement plus importantes, avec des
pétitions (2.000 signatures pour l'unité de Jérusalem,
en janvier 2001) étaient refusées. Et si déjà
elle publie une carte blanche pro-israélienne, la direction du journal
se sent obligée de lui opposer en regard, un point de vue contradictoire.
Autre constat : aucun des journalistes qui rendent compte de l'actualité
ne donne des gages d'impartialité, soit qu'ils épousent les
positions de l'opposition et se cantonnent donc dans la critique gouvernementale,
soit qu'ils sont fondamentalement pro-palestiniens. Les thèses
israéliennes seraient-elles à ce point insensées ? N'est-ce
pas faire injure à 60 % de l'opinion israélienne, qui fait
confiance à son gouvernement, que de ne jamais les considérer
avec sérieux ? Si le quotidien imposait comme première
qualité au journaliste de renoncer à imprégner ses
écrits de ses convictions personnelles, alors il pourra prétendre
à l'objectivité.
Qu'on ne se méprenne pas : chacun a le droit d'avoir des positions
politiques, y compris un quotidien. Mais quand on en a, il faut le dire et
non affirmer son contraire. Les journaux, même si ce ne sont pas des
journaux d'opinion, peuvent avoir des opinions, c'est vrai, mais qu'ils aient
le courage de le dire et cessent de nous répéter qu'ils tendent
à l'objectivité. On ne peut, et avoir une opinion donnée
sur le conflit, et revendiquer l'objectivité. Continuer à nous
faire croire à nous, Juifs vivant en Belgique, que les médias
belges, y compris le vôtre, expriment le plus impartialement du monde
les informations sur le Moyen-Orient, tient de l'exercice
désespéré. Une année de désinformation
nous l'a appris. On pourrait essayer de savoir pourquoi on n'assiste pas
à cette même désinformation aux Etats-Unis par exemple,
où la position israélienne est mieux comprise, mais ceci est
un autre débat.
Ne soyons donc pas étonnés du tout qu'un nombre croissant de
lecteurs juifs se désabonnent; c'est leur façon à eux
de dire : Assez, vous n'êtes pas objectifs.