Le Soir Actualité politique et sociale Lundi 25 août 1997 page 3
Une Belgique par-delà ses communautés
La citoyenneté, comme le cours de l'oued (VII et fin).
« Les Flamands et les francophones montrent l'exemple du repli ethnique »
Dirigeant de longue date du Comité national pour le suffrage universel, Pierre-Yves Lambert ne transige pas sur la cause du peuple immigré. Pas de concessions. Ce membre de la commission «intégration-citoyenneté» d'Ecolo est un incorruptible de la lutte pour les droits politiques de tous. Ses idées fusent, retournent les questions insidieuses et poussent le Belge à d'abord s'interroger sur lui, avant d'exclure qui que ce soit du droit de vote.
Air matois, Pierre-Yves Lambert donne le coup d'envoi. Jour après jour, les Flamands et les francophones montrent l'exemple du repli ethnique aux autres communautés du pays. Quand les partis francophones présentent des listes d'union à Louvain, quand les Flamands s'organisent en cartel dans le Brabant wallon... Des mots qui font mouche : l'exacerbation de l'ethnicité serait le fait des Belges eux-mêmes.
Est-ce qu'il y a aujourd'hui une nation belge ? Dans les écoles de Wallonie, les élèves refusent d'étudier le néerlandais qu'ils voient, du promontoire de la francophonie, comme une culture inférieure. En Flandre, le mépris envers le sud du pays est toujours plus grand. La peur de l'autre, « l'allophobie », qui est bien plus générale que la xénophobie, gagne du terrain en Belgique.
Maître du sujet, Pierre-Yves Lambert rappelle qu'une étude de la KUL a montré que deux tiers des étrangers en périphérie bruxelloise se déclaraient prêts à voter pour des listes effectivement bilingues. Une voie s'ouvre. Saperlipopette ! La Belgique aurait-elle des leçons à recevoir de ses étrangers ?
Ce pays a décidément du mal à comprendre la question de la citoyenneté. A cran, Pierre-Yves Lambert ne s'arrête pas en si bon chemin. La Belgique a un problème avec ses propres migrants, avec les Belges du bout du monde. L'Etat a toujours considéré que, si c'était provisoire, les Belges, partis à l'étranger, voteraient à leur retour, ou que, si c'était définitif, il n'y avait pas de raison de laisser des droits politiques à des gens qui ne rentreraient plus jamais. Dès lors, on comprend pourquoi la Belgique se montre aussi frileuse pour octroyer le droit de vote aux résidents sur son territoire. Le fantasme du retour des immigrés dans leurs pays d'origine est, aujourd'hui encore, bien astiqué.
Histoire d'étayer le propos, Pierre-Yves Lambert remonte dans le passé. L'Etat belge n'a jamais considéré les Congolais, par exemple, comme des citoyens. A la différence de la France - relativement plus ouverte -, la Belgique est toujours restée sur ses positions extrêmement fermées. A la limite, on peut comparer les procédures de naturalisation avec ce qu'on appelait les « évolués » au Congo belge.
A cran sur le passé colonial, Pierre-Yves Lambert enfonce les portes fermées aux étrangers. Aux « évolués », on ne donnait pas de droits politiques. Aujourd'hui, c'est vrai, ça a changé. Les naturalisés ont les mêmes droits que les Belges de souche, mais un Mohamed, dans le regard des gens, ça reste un Mohamed, avec ou sans carte d'identité belge. L'homme tape sur le clou. Son marteau écrase des doigts ? Qu'importe ! le combat en vaut la chandelle.
T. L. (St.)
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La Wallonie-Le Peuple, 13/11/1997 et Le Soir 19/11/1997
1991, 1997 : mêmes causes, mêmes effets
LAMBERT,PIERRE-YVES
Voici près de quinze jours, les autorités politiques bruxelloises ont été confrontées à la manifestation violente du ras-le-bol de jeunes, principalement d'origine marocaine, dans le quartier anderlechtois de Cureghem. Il ne suffit plus de condamner le recours à la violence, à la " rébellion collective " comme le dit M. Picqué, comme mode d'expression politique dans notre ville-région : les voies traditionnelles de cette expression politique sont depuis trop longtemps restées fermées pour ces jeunes qui, bien souvent, connaissent des problèmes sociaux très graves dus à la carence des autorités locales. Un rapport sur la pauvreté réalisé il y a quelques mois l'avait d'ailleurs souligné : dans des communes comme Anderlecht, les quartiers les plus délabrés sont aussi, comme par hasard, ceux où il y a le moins d'électeurs...
Certains politiciens, comme en 1991, profiteront de l'occasion pour stigmatiser les " intégristes ", les " délinquants " ou un " bloc inintégrable ". Dans une région où plus du tiers de la population et la majorité des jeunes sont issus d'une immigration plus ou moins ancienne, de tels propos ne peuvent qu'envenimer les relations entre Bruxellois, et conforter les plus aigris dans leur refus du dialogue entre les différentes composantes sociales, culturelles ou d'âge de la population.
L'" intégration ", dans des communes à la population d'origines différentes, ne doit pas être une exigence unilatérale de la " majorité " à l'égard de la " minorité ", celle-ci se définissant d'ailleurs autant par des critères socio-économiques que par des critères culturels ou d'origine ethnique.
Quand les pauvres se révoltent, ceux qui croient ne pas l'être ont peur et appellent à la répression : c'est un principe qui ne date pas d'hier, et il n'y a pas de raison qu'il en aille autrement aujourd'hui. La seule différence c'est que les organisations qui encadraient à l'époque les " masses ouvrières ", le " prolétariat ", ont failli dans leur fonction d'intégration socio-politique des exclus. Sur une dizaine de milliers d'adhérents en région bruxelloise, combien le Parti socialiste compte-t-il de Bruxellois d'origine marocaine ou turque, même dans des communes ou leurs communautés représentent un pourcentage non négligeable de la population ? L'échec est patent. Pourquoi, lors des communales de 1994, ce parti ne présenta-t-il aucun candidat issu de ces communautés à... Anderlecht, Saint-Gilles ou Molenbeek ?
Et ne parlons pas du PRL, qui a refusé partout de présenter sur ses listes communales des candidats qualifiés de " nouveaux Belges "; ni du PSC, qui en a placés quelques-uns comme alibis, en s'assurant bien qu'ils n'avaient aucune chance d'être élus.
D'un autre côté, comme en 1991, le Parti du travail de Belgique a consciemment poussé des jeunes de toutes origines à chercher la confrontation avec les forces de l'ordre. Les prises de position et les actions de ce parti ne visent qu'à aggraver la situation en manipulant les sentiments de révolte des jeunes. Le PTB se fait ainsi l'allié objectif du Vlaams Blok et des partisans du " tout répressif " parmi les responsables des services de police et de renseignement. Allié objectif ou complice ? Il serait temps d'enquêter sérieusement à ce sujet.
Depuis maintenant sept ans, le Commissariat royal à la politique des immigrés puis le Centre pour l'égalité des chances ont soumis aux responsables politiques de nombreuses propositions visant à définir une politique effective à l'égard des populations issues de l'immigration, surtout dans les grandes agglomérations. On peut s'interroger sur les suites qui ont été données à ces propositions par les responsables en question : en ne se donnant pas les moyens, notamment budgétaires, de faire face aux problèmes qui se posent, le gouvernement fédéral mais aussi le gouvernement de la Communauté Wallonie-Bruxelles portent une lourde responsabilité dans la situation actuelle.
A l'occasion d'un colloque international sur " L'intégration des minorités immigrées en Europe " en 1990, Charles Picqué définissait ainsi les principes suivis par son exécutif régional dans ses relations avec lesdites " minorités immigrées " : Pas de ghettos spatiaux, pas de développement séparé des communautés et pas d'interlocuteurs privilégiés, pas de spécificités immigrées dans la recherche d'interlocuteurs.
Résultat de cette politique de négation des réalités ethno-politiques bruxelloises : l'absence de toute organisation un tant soit peu représentative de la communauté marocaine, dont les leaders potentiels ont été " intégrés " comme sous-flics dans le cadre des " contrats de sécurité ". Ce qui conforte un monopole des autorités et de la Sûreté marocaines, encore renforcé par l'infiltration de leurs agents dans les milieux associatifs ou politiques parfois les plus inattendus.
L'intégration politique individuelle et collective des minorités issues de l'immigration au sein de la société multiculturelle bruxelloise s'impose comme le préalable indispensable, bien qu'encore insuffisant, à la prévention et à la résolution des conflits socio-ethniques.
Il revient maintenant aux parlementaires des partis démocratiques, notamment des partis flamands et du PRL-FDF, de donner rapidement un signal fort, en votant une révision ouverte de la Constitution et en instituant un véritable suffrage universel sans distinction de nationalité, au moins au niveau communal.
Il y a quarante ans déjà, la négation paternaliste des droits politiques aux Congolais avait fini par entraîner de sanglantes et meurtrières émeutes à Léopoldville, capitale de ce qui était alors le Congo belge. Les politiciens belges n'ont-ils rien appris depuis lors ?
PIERRE-YVES LAMBERT
Membre du Comité national pour le suffrage universel;
affilié CGSP, police communale de Saint-Josse
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