QUESTIONNAIRE SUR LE DROIT DE VOTE DES ETRANGERS EN BELGIQUE

1. Quelle est votre position sur le sujet du droit de vote des étrangers ?
Etes-vous pour ou contre son octroi ?

J'y suis favorable sans conditions autres que pour les ressortissants belges, et à toutes les assemblées élues. Et je préfère parler de "reconnaissance" plutôt que d'"octroi": c'est un droit, pas un cadeau.

2. Faut-il faire la distinction entre les ressortissants de l’Union Européenne et le reste des étrangers en ce qui concerne les lois sur le droit de vote des étrangers ?

Non, ce d'autant plus qu'il pourrait y avoir d'autres critères de distinction, pourquoi celui-là en particulier ? Je pense par exemple au principe de réciprocité, qui existe dans un certain nombre de pays sur ce plan.

D'un côté c'est injuste car ce ne sont pas les émigrés d'un Etat donné qui doivent être tenus pour responsables des décisions de leur pays d'origine en matière de droits politiques ou sociaux pour les étrangers. Mais ne pas tenir compte de toute les réciprocités, dès lors qu'on distingue entre deux catégories, ça revient à dire qu'il y en a de "bonnes" (l'Union Européenne) et de "mauvaises" (la Guinée), sans parler des pays qui ont accordé le droit de vote à tous les étrangers. Les Belges ont ainsi pu voter aux récentes municipales en Norvège, mais les Norvégiens ne pourront pas participer au scrutin communal belge de 2000... Même si ça ne concerne pas des masses de gens en Belgique (Norvégiens, Estoniens, Lettons, Maltais, Jurassiens, Neuchâtelois, Vénézuéliens, Burkinabés, Néo-Zélandais...).

Il y a quelque chose d'injuste dans cette situation et il aurait mieux valu aller directement à l'étape "tous les étrangers sans distinction", au lieu d'attendre 2001, ou alors d'inclure au §3 de l'article 8 de la Constitution le principe de réciprocité applicable dès les élections de 2000.

3. Est-ce qu’il est nécessaire d’avoir des conditions spéciales pour l’éligibilité des étrangers, c’est-à-dire des conditions différentes pour les candidats belges et les candidats non-belges aux élections ?

Non, je trouve même que l'éligibilité des étrangers sans condition de résidence devrait être étendue à toutes les assemblées. L'Italie le fait déjà depuis 1984 pour les élections au Parlement européen, ce qui a permis à l'époque au politologue français Maurice Duverger d'y siéger. Ca permettrait peut-être d'améliorer le niveau des politiciens belges en important des politiciens d'autres pays, et de toute façon les responsables de leur embauche seraient les électeurs, ce qui me semble assez raisonnable, à moins qu'on ne considère de prime abord les électeurs comme trop immatures pour décider eux-mêmes qui doit les représenter.

4. Est-ce qu’il est nécessaire d’avoir des conditions de maîtrise de la langue française ou néerlandaise pour les électeurs étrangers ?

Pour les électeurs, non: on peut légitimement présumer que les partis et les candidats feront en sorte que leurs messages électoraux parviennent aux électeurs dans la langue la plus appropriée, ce qui est après tout leur intérêt bien compris les partis flamands ont d'ailleurs commencé depuis deux ou trois ans dans la périphérie bruxelloise. Dans certaines villes californiennes, il y a des bulletins de vote en chinois et en espagnol, cela reflète la diversité ethnoculturelle de ces villes, mais je ne suis pas favorable à de tels développements en Belgique, du moins tant que d'autres langues que le néerlandais et le français (et accessoirement l'allemand) n'ont pas de statut officiel, ne serait-ce qu'au niveau local. Ecolo avait proposé des avancées dans ce sens dans son programme de 1985, mais ce point a disparu ultérieurement. Il faudrait se poser la question pour des groupes ethnoculturels plus fermés que d'autres, comme les turcophones, ou pour des catégories spécifiques comme les personnes qui travaillent dans le cadre des organisations internationales et aux alentours, et dont l'anglais est la principale langue de communication.

Le problème se pose par contre dès lors qu'il s'agit d'élus, et plus seulement d'électeurs: dans le conseil de district de Bijlmer, à Amsterdam, un candidat ghanéen ne parlant pas le néerlandais a été élu en 1998.

Il ne faut pas prendre les électeurs pour des imbéciles, mais il ne faut pas non plus idéaliser la rationalité de leurs choix: c'est le principe même de la démocratie que de rendre possible l'élection d'une personne incompétente, qu'elle ne soit pas à même de comprendre la nature des débats ou qu'elle ne soit pas capable de prendre la parole dans l'assemblée, pour des raisons linguistiques ou autres. Tous ceux qui ont déjà assisté dans leur vie à une séance de conseil communal (ou d'une autre assemblée) ont pu constater de visu qu'il n'y a pas besoin d'être étranger pour faire preuve d'incompétence, de difficulté d'expression ou d'absentéisme en tant qu'élu, sans parler de la sénilité...

Il est à cet égard très intéressant de voir les conditions de diplôme et d'"acceptabilité" (par la Sûreté de l'Etat principalement) pour les membres de l'Exécutif des Musulmans de Belgique, pourtant issus d'une assemblée élue. Au sein des partis politiques, le problème se pose aussi quand il s'agit de prendre des décisions dans des domaines techniques, qu'il s'agisse d'économie, de droit ou d'innovations scientifiques: les décisionnaires, membres des bureaux politiques par exemple, sont-ils toujours à même de comprendre les enjeux des débats et des votes ?

Ceci dit, dans le cadre spécifique à la Belgique, la question de la connaissance de la langue de la région pour les élus n'est une exigence que du côté flamand, elle a d'ailleurs déjà été le thème de disputes véhémentes tant dans la périphérie bruxelloise qu'aux Fourons, notamment pour les fonctions de bourgmestre ou de président de CPAS. Il ne s'agit donc pas d'un problème spécifique aux élus étrangers.

5. A votre avis, les étrangers qui résident en Belgique depuis 5 ans sont-ils capables de faire un choix responsable de manière éclairée en ce qui concerne l’avenir du pays ? Bref, croyez-vous que les étrangers seront des ‘bons électeurs’ en Belgique ?

Les Belges résidant en Belgique depuis leur naissance sont-ils capables de faire un choix responsable de manière éclairée en ce qui concerne l’avenir du pays, sont-ils de "bons électeurs" ? Cette question a longuement été débattue au XIXème siècle et dans la première moitié du XXème, à l'époque c'était sous l'angle suffrage censitaire, suffrage capacitaire, vote plural, vote masculin contre suffrage universel sans distinction de sexe. Rien de nouveau sous le soleil, donc, c'est une question de principe. Il y a d'ailleurs encore actuellement des gens qui défendent - en privé - l'idée que seuls les personnes ayant un certain niveau d'études devraient avoir la capacité électorale.

C'est d'ailleurs le moyen qui fut utilisé jusque dans les années 1960 dans certains Etats du Sud des Etats-Unis pour écarter la plupart des Afro-Américains/Noirs de urnes. Il y a également des pays, notamment en Amérique latine, qui ne reconnaissent pas le droit de vote aux analphabètes. Par ailleurs, au Etats-Unis et en Australie, il y a des débats très animés sur la question de savoir s'il faut continuer à exclure du vote les personnes condamnées sur le plan pénal pour une variété d'infractions beaucoup plus étendue qu'en Belgique. Il y a aussi des mouvements qui revendiquent le droit de vote à 16 ans plutôt qu'à 18.

Il n'y a pas de "bons électeurs", les conditions d'électorat sont fixées d'une manière arbitraire et non sur des bases rationnelles.

Par ailleurs, pour les résidents UE, la durée de résidence exigée est la même que pour les Belges, soit six mois et non cinq ans, si je ne m'abuse.

6. A votre avis, le débat sur l’octroi du droit de vote aux étrangers non-européens (non-UE) est-il un débat politique, social, judiciaire, communautaire ou fédéral ? Pourquoi ?

Politique: oui, indubitablement, la définition des membres d'une communauté politique est un débat éminemment politique.

Social: oui, car pour une partie de la population autochtone tant la modification de la composition ethnoculturelle de la population belge (par acquisition de nationalité) que le droit de vote des étrangers constituent une perte de repères, un peu comme quand les "bons Noirs" du Congo ont commencé à revendiquer d'être traités comme des égaux par rapport aux Blancs.

Judiciaire: non, je ne vois pas vraiment en quoi c'est un débat judiciaire (juridique, par contre, je suis d'accord).

7. Pourquoi certains partis politiques sont-ils vivement contre et d’autres vivement pour l’octroi du droit de vote aux étrangers non-européens ? Quels sont les intérêts politiques liés à ce sujet ?

Dans certains cas c'est de l'électoralisme, et les motifs donnés rencontrent surtout les sentiments de cette partie de la population autochtone que j'évoquais plus haut. Le changement d'attitude de Louis Michel et du PRL a probablement remis, à cet égard, les convictions personnelles de certains hommes politiques en concordance avec leur discours politique, ce qui est tout à leur honneur.

Dans d'autres cas, c'est de la xénophobie et/ou de l'islamophobie manifestes, soit pour des raisons sociales soit pour des raisons plus idéologiques, voire confessionnelles ou "laïques" (au sens belge).

Il y a également une autre catégorie à laquelle appartenait jusqu'il y a peu Jean-Pierre Chevènement en France, qui sacralise le concept de citoyenneté et le lient indissolublement à la nationalité, au patriotisme, à la souveraineté nationale.

Et, bien sûr, dans le contexte belgo-belge, il y a la question de Bruxelles, où la représentation de la minorité flamande risquerait de faire les frais d'un élargissement du droit de vote aux non-UE, mais cet argument est un peu faussé par les acquisitions de nationalité qui aboutiront de toute façon au même résultat, peut-être d'ailleurs déjà en octobre 2000 si le projet gouvernemental passe, sans parler de ceux des "sans-papiers" régularisés qui pourront directement demander et obtenir la nationalité belge en vertu de la durée de leur résidence. C'est un thème abondamment développé par le Vlaams Blok pour le moment, qui parle de "VLD-invasie" et de "snel Belg wet" (loi pour devenir belge à grande vitesse), ce dernier terme étant d'ailleurs utilisé par une partie de la presse flamande, notamment le Standaard.

8. a) Quels seront les résultats du droit de vote des étrangers européens et non-européens à la vie politique et sociale du pays ?

Ce sera surtout important pour les communes où ils sont relativement nombreux, les politiciens locaux seront obligés d'en tenir compte dans la politique de rénovation, d'aménagement urbain, dans la gestion des écoles communales, des crèches, des cimetières (carrés musulmans)...

8. b)Qu’est-ce qu’il va changer en Belgique lorsque tous les étrangers pourront voter aux élections communales ? - Un pays plus démocratique ? - Un paradis d’immigration ? Une société multiculturelle où les allochtones sont vraiment intégrés, la cohabitation est harmonieuse et la xénophobie n’existe pas ?

Il ne faut pas non plus trop rêver, mais la politisation des étrangers et des Belges d'origine étrangère en fonction de la politique belge aura des conséquences tant au sein des minorités ethnoculturelles que dans la société globale.

On commence déjà à constater que des Belges d'origine marocaine, du côté flamand (Fatima Bali à Anvers ou Tarik Fraihi à Bruxelles p.ex.), tiennent publiquement (dans la presse e.a.) des discours nettement distincts des antiracistes manichéens et demandent aux personnes et associations de leur communauté d'agir plus clairement contre la délinquance juvénile, contre les dérives réactionnaires de certains groupuscules, contre le conservatisme de nombreuses familles, pour l'émancipation des jeunes filles et des femmes, pour la tolérance envers les homosexuels... Il y a quelques années, ce genre de discours n'était pas tenu par des jeunes de deuxième génération, mais, du côté francophone, par des anciens étudiants étrangers qui n'avaient aucun ancrage dans les communautés issues de l'immigration ouvrière.

Par ailleurs, il est probable qu'on va progressivement assister à une diversification ethnoculturelle des administrations et du corps enseignant, ce dont on est actuellement fort loin: à Saint-Josse, sur plusieurs centaines de personnes employées par la commune, toutes catégories confondues, il y en a moins de cinq d'origine turque, alors que plus du quart de la population de la commune est originaire de Turquie... Pour s'assurer des suffrages de ces nouveaux électeurs, il faudra bien leur donner un peu de concret, pas seulement des promesses.

Quant à la xénophobie, elle est souvent - mais pas toujours - le reflet de problèmes sociaux, c'est la résolution de ces problèmes, et la bonne volonté des politiciens, qui la feront reculer. Déjà, il sera plus difficile pour un politicien local de tenir des discours flattant les sentiments xénophobes d'une partie de son électorat, à partir du moment où une autre partie de cet électorat sera elle-même étrangère ou d'origine étrangère: les politiciens s'adapteront, sauf une minorité de "durs" bien sûr. Mais le droit de vote, avec ou sans acquisition de la nationalité, ne sera pas le seul levier à actionner pour arriver à résoudre les problèmes de cohabitation interethnique.

9. « Doit-on laisser des citoyens comme les fonctionnaires européens participer à la vie politique alors qu’ils n’y participent pas financièrement ? […] La question est réversible : peut-on refuser le droit de vote à des gens qui paient leurs impôts ? » Le Soir,11-12-98 Quelle est votre avis sur ce sujet de fiscalité par rapport au droit de vote des étrangers ?

C'est surtout un problème dans les communes frontalières des Pays-Bas et de l'Allemagne (Raeren e.a.), où une part importante de la population, y compris belge, travaille et paie ses impôts hors de Belgique. Il n'est pas exact de dire que les fonctionnaires européens ne contribuent pas financièrement au budget belge, il y a un système complexe par lequel la Commission européenne reverse une contribution à l'Etat belge. Et, de toute façon, les personnes qui bénéficient d'un statut diplomatique sont exclues du bénéfice du droit de vote des étrangers partout où il existe. C'est un problème marginal, et à chaque fois qu'il a été abordé au parlement, il a été rappelé que les étrangers non-UE, eux, paient tous des impôts en Belgique (sauf les diplomates et assimilés, ou les frontaliers), et que les défenseurs de la formule liant le paiement d'impôts au droit de vote étaient souvent les mêmes qui s'opposaient au droit de vote des étrangers non-UE...

10. Commentaires / Réflexions

Il est plus que temps que tant les étrangers et belges d'origine étrangère que les Belges "de souche" se rendent compte que les uns et les autres, et leurs enfants, vont cohabiter dans la société belge d'une manière durable, et qu'il est de l'intérêt de tous de ne pas sans cesse utiliser l'origine des uns et des autres comme prétexte dans des conflits de toutes sortes, personnels, familiaux, de voisinage ou autres. La participation politique, avec ou sans acquisition de la nationalité belge, favorisera les communautés d'intérêt, que ce soit sur des questions pratiques ou sur des enjeux plus idéologiques, comme les débats éthiques.

Il sera intéressant de voir comment évoluera la "participation politique corporative", c'est-à-dire par le biais d'organisations, de groupes de pression divers, notamment les associations religieuses ou ethnopolitiques que courtisent des candidats tant "immigrés" que "belges". Ce phénomène a pu être constaté pour la communauté turque lors des élections de juin 1999 (Loups Gris, Milli Görüsh, Fédération de Associations Progressistes Turques et Association des originaires d'Emirdag - EYAD), et il est en train de se développer en prévision des communales d'octobre 2000. Par contre, il semble quasiment absent, malgré des tentatives parfois très avancées (le "Groupe Arabe du PSC" e.a.) dans la communauté marocaine, probablement parce que l'implantation et l'influence des associations politisées y est traditionnellement quasi nulle, sauf pour une faible minorité d'activistes.

Ce qui est tout de même relativement surprenant, c'est que personne ne parle de la principale minorité issue de l'immigration, les Italiens: quand le débat faisait rage en Flandre à propos du vote des résidents UE, les photos illustrant les articles, y compris dans le quotidien progressiste De Morgen, montraient exclusivement des vues du bâtiment de la Commission européenne, comme si les "Européens de Belgique" n'étaient que les fonctionnaires de ladite commission ! Etant donné le niveau de participation active (candidats, élus) actuellement très faible des Italiens, mais aussi des Espagnols, dans la vie politique belge, il serait plus que souhaitable de se pencher sans tarder sur ce problème, en ce compris sur celui de la double nationalité, actuellement impossible pour les Italiens et les Espagnols justement, sans parler des Français et des Néerlandais, les deux autres principales communautés issues de l'immigration. Sinon, à terme, on va se retrouver avec d'un côté un électorat général composé de Belges "de souche" et d'origine maghrébine, turque ou congolaise, et de l'autre un électorat limité aux communales et provinciales (et aux européennes) composé d'étrangers UE parfois installés en Belgique depuis plus de cinquante ans, voir nés ou même issus de parents nés en Belgique, mais qui restent très attaché à la conservation de sa nationalité d'origine.

Pierre-Yves LAMBERT, 9 janvier 2000 (questions de Katherina Strani, étudiante à l'Institut Marie-Haps, Bruxelles)


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