Un ouvrage litigieux sur les Français de l'étranger
Pierre-Yves LAMBERT
Le "Que sais-je ?" intitulé "Les
Français de l'étranger" (Alain Vivien et Mireille Raunet, juillet
1997), s'il contient quelques infos intéressantes, omet néanmoins
des pans entiers de l'histoire des "Français de l'étranger":
pas un mot par exemple sur l'exode des Français protestants, ni sur
l'émigration dans les Amériques au XIXème et dans la
première moitié du XXème.
Une certaine insistance également de la part
des auteurs à distinguer entre Blancs, Noirs et mulâtres libres
et esclaves dans les colonies à la fin du XVIIIème et au
début du XIXème s. (tableau 1 p. 24), alors que les deux
premières catégories au moins étaient sujets du Roi,
les trois citoyennes de la République pendant la brève
période de la première abolition de l'esclavage.
Dans le chapitre sur l'Afrique subsaharienne et
l'Algérie, une certaine confusion terminologique règne
également entre "Français", "Européens" et
"expatriés". Aucune mention n'est faite non plus de la loi Diagne
de 1946 et de certaines de ses conséquences (Houphouët-Boigny
ministre d'Etat de la République française dans les années
50 par exemple, ou la présence non négligeable de
députés et de sénateurs "indigènes" d'Algérie
et d'"Afrique noire" pendant la même période).
Bref, la définition du "Français de
l'étranger" (et donc du "Français tout court" ?) qui se
dégage de cet ouvrage est celle d'un individu de couleur "blanche"
et de confession catholique romaine. Deux passages sur les ressortissants
français des anciens "comptoirs" d'Inde (Pondichéry etc.)
mentionnent que "certains d'entre eux ne parlent plus guère le
français mais conservent avec leur nationalité les avantages
hérités de l'ancienne dépendance française, notamment
en matière sociale" (p.51), et qu'environ 5.000 d'entre eux furent
radiés des listes par le poste consulaire de Pondichéry en
1991 (note 1. P.39). Bref, les auteurs sous-entendent plus ou moins que ce
ne sont pas de "vrais Français"... Etranges réminiscences d'un
passé colonial non encore digéré, si on compare ces
propos à la très éclairante étude de Damien
Deschamps [« Une citoyenneté différée : cens civique
et assimilation des indigènes dans les établissements
français de lInde », in Revue française de science
politique, vol. 47, n°1, février 1997, p. 49-69] où
il décrit les manoeuvres de l'administration coloniale à la
fin du XIXème siècle pour que le pouvoir au sein des
assemblées locales élues reste bien aux mains des "vrais
Français", et non des indigènes, même chrétiens
ou christianisés d'ailleurs.