Les élus d'origine non-européenne en France
Les élus d'origine non-européenne en Nord-Pas-de-Calais
Elections municipales à Tourcoing en mars 2001
A l'avant-veille du premier tour des municipales, j'ai rencontré pour les lecteurs de Suffrage Universel Magazine et de
Maghreb Observateur deux candidats de l'opposition de droite à Tourcoing, une commune française qui touche la frontière belge à côté de Mouscron. Tourcoing, c'est une des principales (93.534 habitants) municipalités de l'agglomération lilloise, avec Lille et Roubaix, et la liste de gauche ne l'avait emporté en 1995 qu'à la faveur d'une "triangulaire", c'est-à-dire que trois listes s'étaient maintenues au second tour, celle de gauche, celle de droite et celle du Front National, qui avait recueilli plus de 32,46% au premier tour, et près de 30% au second.A l'issue du premier tour qui s'est déroulé le 11 mars 2001, le FN a recueilli 20,53% (-10%), la liste de droite 29,57% (-3%, qui correspondent au score d'une liste RPF dissidente), la gauche non verte 38% (+4%), et les Verts (non présents en 1995) 7,87%, soit nettement moins que dans les villes voisines (Lille 15,52%, Roubaix 10,49%). Le tout avec un taux d'abstention de près de 50%.
Pendant la campagne, la gauche avait souligné la présence sur la liste Vanneste (droite RPR-DL-UDF-GE) d'un élu qui figurait sur la liste FN en 1995. Celui-ci, Bernard Dujardin, ne figurait toutefois qu'en 26ème position sur la liste Vanneste, et avait déclaré à diverses reprises qu'il avait définitivement rompu avec ces "sectes ignobles" que sont le FN et le MNR.
Le treizième candidat sur cette liste, Salim Achiba, 47 ans, enseigne l'expertise comptable et la gestion dans l'enseignement supérieur ("IUT") et occupe un poste de directeur financier dans un important groupe d'art graphique. Si sa liste l'emporte au second tour, ce qui était très probable d'après lui quand je l'ai interviewé [après le second tour, il s'avère qu'il ne siègera pas au conseil municipal, sa liste n'ayant obtenu que dix sièges], ce père de cinq enfants né à Biskra en Algérie et arrivé en France en 1960 avec son père, ouvrier dans le textile, deviendra adjoint au maire chargé des affaires économiques. Il y a deux autres candidates d'origine maghrébine sur cette liste, dont une issue de la communauté des Français Musulmans rapatriés ("Harkis"). Un de ses cousins avait été élu sur la liste de gauche en 1995.
Moins de deux mois avant les élections, la tête de liste de la droite, un conseiller régional en congé du RPR, cherchait un candidat qui aurait été à la fois issu de l'immigration, compétent dans des domaines autres que ceux réservés aux "Beurs de service" par les socialistes (délégué aux sports ou aux plaines de jeux), et "qui n'aurait pas peur d'affirmer son identité". Dans une municipalité dirigée par les socialistes, ceux-ci ont la mainmise sur l'ensemble du réseau de travailleurs sociaux et d'associations subventionnées, ce qui a rendu la tâche difficile à la droite. En fin de compte, c'est un groupe d'amis d'origine maghrébine, pas une association, qui a proposé à Salim Achiba de rencontrer Christian Vanneste, et le courant est passé entre les deux hommes.
Ce qui les a rapprochés, c'est une admiration partagée pour le général de Gaulle, dont l'image a toujours été très positive dans les communautés arabes, d'après Monsieur Achiba. Mais il souligne aussi les proximités idéologiques entre les Musulmans et la droite: la gauche se dit "laïque", ce qui en réalité se traduit par des slogans et des actes contre la liberté de culte (l'affaire du foulard par exemple), la droite par contre est plus respectueuse de cette liberté, défend la famille et des valeurs plus traditionnelles, moins progressistes.
Pour appuyer son propos, Monsieur Achiba nous exhibe un tract du Mouvement des Jeunes Socialistes (reproduuit ci-dessous) où sont alignés côte-à-côte comme "combats de demain", "intégration des immigrés, droits des homosexuels, légalisation des drogues douces", une juxtaposition qui le scandalise. Le tract que des amis de sa communauté ont rédigé et diffusé pour son compte (voir ici) marque bien la différence: "la protection de la famille en la soutenant dans l'éductaion morale, culturelle, et la liberté culturelle"; "lutter contre des idéologies politiques néfastes qui favorisent une reconnaissance des drogues et autres délires."...
Pierre-Yves Lambert, Lille 9 mars 2001
extrait du tract de la liste Vanneste:
tract diffusé par les amis du candidat Achiba
tract du MJS
Entretien avec Salim Achiba
P.-Y. Lambert: Concrètement, Monsieur Achiba, que pourriez-vous faire pour votre communauté en tant qu'adjoint au maire chargé des affaires économiques ?
Salim Achiba: Tout d'abord, je tiens à ce que les choses soient claires: je serai l'adjoint au maire de TOUS les Tourquennois, même si parmi eux ceux qui souffrent un peu plus du chômage et de l'exclusion sont plus souvent issus de l'immigration. De par ma formation et mon expérience, je suis favorable aux solutions pragmatiques. Il faut impliquer plus les chefs d'entreprise pour qu'ils embauchent des jeunes de notre commune plutôt que d'autres villes, et mettre en place un réseau de partenariat pour aider les jeunes à passer le premier cap de la rédaction d'un c.v. Mieux, il faut carrément gommer cette étape, multiplier les entretiens directs avec des employeurs potentiels. De par ma profession actuelle, je dispose des contacts qui
faciliteront une telle démarche.
Il n'est par contre pas question pour moi d'aller dans le sens de quotas d'embauche sur base de l'origine immigrée comme certains le prônent, voire l'ont déjà pratiqué, comme dans une commune voisine [ndpyl: une municipalité de gauche].
Par contre, pour prendre un exemple concret, nous avons ici à Tourcoing une entreprise implantée dans un quartier défavorisé où la plupart des habitants sont issus de l'immigration. Hé bien, imaginons que c'est une coïncidence (sourire navré), sur 250 employés aucun n'est issu de l'immigration, c'est tout de même un paradoxe...
Et parmi le peronnel municipal, après douze ans de pouvoir socialiste, il y a toujours très peu d'employés d'origine maghrébine alors qu'un quart de la population est de cette origine ! Le PS fait de la "défense des immigrés" son fonds de commerce électoral, mais dans la pratique on ne voit rien, les actes ne correspondent pas aux slogans.
PYL Actuellement, il y a des quartiers entiers, surtout des immeubles de logement sociaux, où on a l'impression que les familles issues de l'immigration ont été parquées, souvent loin du centre-ville. Quels moyens proposez-vous de mettre en oeuvre pour assurer une plus grande mixité ethnique dans l'habitat, y compris donc dans le quartiers actuellement peuplés de "Français de souche" ?
S.A. C'est clair, il faut rééquilibrer certaines zones, il y a des possibilités qui existent légalement, notamment le droit de préemption: la municipalité a le droit d'acheter ou de construire des biens immobiliers pour que son parc de logement social atteigne un certain pourcentage du parc total. Il faut faire usage de cette possibilité pour modifier les implantations actuelles, il faut aussi se rappprocher des organismes de logements sociaux pour comprendre le pourquoi du paysage actuel, et faire appel à leur bonne volonté.
PYL Récemment a été mise sur pied une association des candidats et élus d'origine portugaise en France, pensez-vous qu'une telle initiative devrait également être lancée par des élus d'origine maghrébine, ou par des élus musulmans ?
SA D'un côté, c'est bien, une telle initiative. Mais c'est à double tranchant parce que dans le même temps c'est reconnaître les différences. Pour les Portugais c'est différent, ce sont des Européens, pas des Musulmans. Mais je trouve qu'une prise de conscience doit se faire: si les politiques s'intéressent à nos communautés, c'est qu'elles représentent bien à présent une réalité, un poids politique.
D'une manière générale, je dirai que nous devons bouleverser les clichés politiques: il faut sortir des sempiternels "qu'est-ce qu'on peut leur apporter" quand on parle des communautés issues de l'immigration, c'est nous qui devons dire "qu'est-ce que nous pouvons apporter à ce pays qui est le nôtre ?".
Entretien avec Christian Vanneste,
Monsieur Vanneste est conseiller régional (en congé du RPR), tête de liste de la droite (Rassemblement Pour la République - Démocratie Libérale - Union pour la Démocratie Française) à Tourcoing
PYL Monsieur Achiba est, avec vous-même, le seul des treize premiers candidats de la liste à ne pas être membre d'un parti politique. Le fait d'avoir dû aller chercher une "personnalité civile" hors des partis pour assurer une présence forte et significative des communautés maghrébines sur cette liste n'est-il pas aussi un constat d'échec de l'intégration politique au sein des partis, qui constituent tout de même le vivier naturel où se recrutent habituellement les candidats ?
Christian Vanneste La politique française est malade, les appareils des partis de droite sont à l'agonie. Au RPR, que j'ai quitté en m'engageant pour ces élections, afin de devenir le maire de tous, et non d'un parti, il y a tout au plus trente mille militants sur l'ensemble de la France.
[ndpyl: le seul parti libéral belge francophone PRL compte au moins 60.000 membres, pour une population belge francophone onze fois moindre que celle de la France... ]
C'est donc ailleurs qu'on trouve des gens intéressants. Si on avait une grande formation unique de la droite, que j'appelle de mes voeux, ça irait déjà mieux sur ce plan.
Les socialistes ont plus facile: nous, à droite, on doit recruter dans le privé, notre vivier naturel, alors que la gauche se contente de puiser parmi tous les animateurs sociaux et cadres d'associations dépendant plus ou moins financièrement de la municipalité.
Pour moi, ce qui compte, c'est la capacité d'assumer un fonction pour laquelle son origine ne joue pas. Au contraire de ce que les socialistes prétendent, il n'existe pas de lien entre les choix idéologiques et les origines. La gauche règne sur la ségrégation...
PYL Un des sujets de polémique entre droite et gauche dans certaines villes françaises, comme à Strasbourg, est la construction d'une grande mosquée urbaine. A Tourcoing, où un quart de la population serait musulmane, une telle mosquée est-elle envisageable ?
CV A priori, je ne suis pas opposé à la construction d'une grande mosquée, les seuls critères qui doivent jouer sont d'ordre urbanistique et architectural. La communauté musulmane à Tourcoing a les mêmes droits que d'autres, et en discutant on résout beaucoup de problèmes.
Pendant cette campagne électorale j'ai rendu visite à deux des trois mosquées tourquennoises, j'ai même été invité à prendre la parole dans la salle de prières, ce qui était une expérience à la fois nouvelle et un peu intimidante pour moi: je suis croyant, et je m'imaginerais difficilement en train de tenir un discours politique dans une église ! (rires)
Pour moi, il faut considérer la dimension religieuse comme un MOYEN, et non comme un obstacle à l'intégration. Concrètement, dans un de nos quartiers, il y avait un problème de petite délinquance et à l'initiative d'un commerçant une mosquée a été construite. Hé bien, depuis, le quartier a été pacifié, c'est une réussite totale malgré certaines réticences au départ !
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