débats sur le négationnisme du génocide arménien
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N° 2135
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DOUZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 3 mars 2005.
PROPOSITION DE LOI
visant à sanctionner la contestation de tous les crimes contre l'humanité,
(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
PRÉSENTÉE
par MM. Thierry MARIANI, Jean-Claude ABRIOUX, Manuel AESCHLIMANN, Pierre AMOUROUX, Jean AUCLAIR, Patrick BALKANY, Jean-Claude BEAULIEU, Jacques-Alain BÉNISTI, Jean-Louis BERNARD, Roland BLUM, Michel BOUVARD, Victor BRIAL, Bernard BROCHAND, Mme Chantal BRUNEL, MM. Bernard CARAYON, Richard CAZENAVE, Roland CHASSAIN, Jean-François CHOSSY, Georges COLOMBIER, Alain CORTADE, Edouard COURTIAL, Jean-Michel COUVE, Olivier DASSAULT, Christian DECOCQ, Jean-Pierre DECOOL, Bernard DEFLESSELLES, Stéphane DEMILLY, Bernard DEPIERRE, Eric DIARD, Michel DIEFENBACHER, Dominique DORD, Philippe DUBOURG, Christian ESTROSI, Yannick FAVENNEC, Philippe FENEUIL, André FLAJOLET, Jean-Michel FOURGOUS, Marc FRANCINA, Mme Arlette FRANCO, MM. Alain GEST, Bruno GILLES, Jean-Pierre GIRAN, Maurice GIRO, Jean-Pierre GRAND, François GROSDIDIER, Christophe GUILLOTEAU, Michel HEINRICH, Henri HOUDOUIN, Denis JACQUAT, Patrick LABAUNE, Yvan LACHAUD, Mme Marguerite LAMOUR, MM. Edouard LANDRAIN, Pierre LASBORDES, Michel LEJEUNE, Jean LEMIÈRE, Gérard LORGEOUX, Daniel MACH, Mme Corinne MARCHAL-TARNUS, MM. Franck MARLIN, Philippe-Armand MARTIN,
Mme Henriette MARTINEZ, MM. Pascal MÉNAGE, Christian MÉNARD, Damien MESLOT, Gilbert MEYER, Pierre MICAUX, Mme Nadine MORANO, MM. Georges MOTHRON, Dominique PAILLÉ, Mme Bernadette PAÏX, MM. Christian PHILIP, Etienne PINTE,
Mmes Bérengère POLETTI, Josette PONS, MM. Bernard POUSSET, Daniel PRÉVOST, Christophe PRIOU, Didier QUENTIN, Eric RAOULT, Jean-François RÉGÈRE, Jean-Luc REITZER, Jacques REMILLER, Mme Juliana RIMANE, MM. François ROCHEBLOINE, Jean-Marc ROUBAUD, Rudy SALLES, André SANTINI, André SCHNEIDER, Yves SIMON, Michel SORDI, Daniel SPAGNOU, Mme Michèle TABAROT, MM. Jean-Claude THOMAS, Jean TIBERI, Léon VACHET, Jean-Sébastien VIALATTE, Philippe VITEL, Michel VOISIN et Gérard WEBER
Députés.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Le 29 mai 1998, l'Assemblée nationale adoptait à l'unanimité une proposition de loi, ne comprenant qu'un seul article, rendant enfin sa dignité au peuple arménien.
Il s'agit de la loi n° 2001-70 du 29 janvier 2001 relative à la reconnaissance du génocide arménien de 1915 qui, dans un article unique, dispose que " [alinéa 1] La France reconnaît publiquement le génocide arménien de 1915. [alinéa 2] La présente loi sera exécutée comme loi de l'Etat. "
Pour beaucoup, cette reconnaissance a été considérée comme un accomplissement. Mais, malheureusement, cette loi n'est pas effective. En effet, le génocide arménien de 1915 est reconnu par l'Etat français mais sa contestation n'est pas punissable !
Certes, depuis la loi n° 92-1336 du 16 décembre 1992, dite Gayssot, la contestation des crimes contre l'humanité est punie de cinq ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende (article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse).
Mais cette disposition est d'application stricte puisqu'il s'agit de la contestation " seulement " de l'existence d'un ou plusieurs crimes contre l'humanité tels qu'ils sont définis par l'article 6 du statut du tribunal militaire international annexé à l'accord de Londres du 8 août 1945 et qui ont été commis soit par les membres d'une organisation déclarée criminelle en application de l'article 9 dudit statut, soit par une personne reconnue coupable de tels crimes par une juridiction française ou internationale.
Ainsi, la contestation d'un crime contre l'humanité n'est punissable que si le crime contre l'humanité a été défini par l'accord de Londres du 8 août 1945 et lorsque le crime contre l'humanité a été commis soit par les membres d'une organisation déclarée criminelle en application du statut du tribunal militaire international soit par une personne reconnue coupable de ce crime contre l'humanité par une juridiction française soit par une personne reconnue coupable de ce crime contre l'humanité par une juridiction internationale.
Donc, par définition, la loi de 1992 ne pouvait pas intégrer le génocide arménien, qui n'avait pas, à l'époque, d'une part fait l'objet d'une reconnaissance officielle et, d'autre part, ne respecte pas les critères stricts posés par la loi puisqu'il n'a été " que " reconnu publiquement par une loi française et qu'il n'a pas été commis pendant la seconde guerre mondiale.
Lors de l'examen du projet de loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité le 26 novembre 2003, cette question a été abordée. Le Ministre de la Justice a rappelé que la législation existante permet de poursuivre les personnes qui se rendent coupables d'apologie de crimes contre l'humanité, en application de l'article 23 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse punissant l'apologie des crimes contre l'humanité de cinq ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende. Le droit actuel permettrait ainsi, selon le ministre, de poursuivre toute personne faisant l'apologie du génocide arménien.
Toutefois, il ne semble pas possible de se contenter de cette argumentation. En effet, la problématique du génocide arménien est singulière. La réalité de la Shoah, par exemple, a non seulement été niée par ceux que l'on appelle les révisionnistes, mais elle a également fait l'objet d'apologie. Il est donc indispensable de condamner les deux facettes d'une même attitude insupportable : l'apologie et la négation.
Le génocide arménien, jusqu'à présent du moins, n'a jamais fait l'objet d'une quelconque apologie. Au contraire, c'est son existence même qui est niée. Or comment faire l'apologie d'un fait dont on nie l'existence ?
Par ailleurs, depuis le 15 novembre 2004, la Justice a dû se saisir de ce problème. En effet, lundi 15 novembre 2004, la 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris a relaxé le consul général de Turquie à Paris, Aydin Sezgin, poursuivi par le Comité de défense de la cause arménienne (CDCA) pour des propos remettant en cause, sur le site Internet du consulat, l'existence d'un génocide arménien. Par ailleurs, la Justice a également relaxé la société France Telecom, dont la filiale Wanadoo est hébergeur du site Internet du consulat de Turquie.
Plusieurs raisons expliquent cette relaxe :
En effet, le tribunal a jugé que d'une part le génocide arménien ne fait pas partie des crimes dont la contestation est punissable et que d'autre part la loi du 29 janvier 2001, reconnaissant l'existence du génocide arménien de 1915, ne crée pas de délit de contestation de ce génocide. Il en a déduit que France Télécom n'a commis aucune faute en hébergeant le site.
C'est pourquoi, cette proposition de loi vise à ériger en délit spécifique la contestation des crimes contre l'humanité reconnus par une loi française.
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De plus, il appartient dès aujourd'hui au législateur d'ériger en infraction la contestation de tous les crimes contre l'humanité, y compris ceux commis en dehors de la Seconde Guerre Mondiale, seule période visée par l'accord de Londres.
C'est pourquoi, la présente proposition de loi propose la création du délit de contestation de l'existence d'un ou plusieurs crimes contre l'humanité dès lors qu'ils ont été :
- reconnus par une loi française ;
- ou commis par une personne reconnue coupable de tels crimes par une juridiction française ;
- ou commis par une personne reconnue coupable de tels crimes par une juridiction internationale.
Ainsi, l'adoption de cette proposition de loi permettra de sanctionner la contestation des crimes contre l'humanité reconnus par les lois françaises, comme le génocide arménien de 1915 mais aussi, la contestation, sur le territoire français, patrie des droits de l'Homme, des crimes contre l'humanité dont les auteurs auront été condamnés par une juridiction française ou le Tribunal Pénal International pour la Yougoslavie (TPIY), le Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR), la Cour Pénale Internationale (CPI) et les autres juridictions internationales qui pourraient être créées dans les prochaines années.
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Enfin, cette proposition de loi vous propose aussi de modifier les règles relatives à l'action civile des associations ayant pour objet de défendre les intérêts moraux et la mémoire des victimes des crimes contre l'humanité.
En effet, aujourd'hui, en application de l'article 48-2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, seules les associations qui se proposent, par leurs statuts, de défendre les intérêts moraux et l'honneur de la Résistance ou des déportés peuvent exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne l'apologie des crimes de guerre, des crimes contre l'humanité ou des crimes ou délits de collaboration avec l'ennemi et en ce qui concerne l'infraction prévue par l'article 24 bis.
C'est pourquoi le deuxième article de la présente proposition dispose que les associations qui se proposent, par leurs statuts, de défendre les intérêts moraux et la mémoire des victimes de crimes contre l'humanité puissent elles aussi exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne l'apologie et la contestation de ces crimes.
Ainsi, le Comité de défense de la cause arménienne aujourd'hui, mais les autres associations défendant les victimes d'autres crimes contre l'humanité demain, pourront elles aussi poursuivre les auteurs de ces propos que nous ne pouvons tolérer : l'apologie et la contestation du génocide arménien aujourd'hui et de tous les crimes contre l'humanité demain.
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Il est désormais temps d'achever le travail des législateurs français : la contestation comme l'apologie de tous les crimes contre l'humanité doit être un délit dans la Patrie des Droits de l'Homme.
Tel est l'objet de la présente proposition de loi qu'il vous est proposé d'adopter.
PROPOSITION DE LOI
Article 1er
Après le premier alinéa de l'article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, est inséré un alinéa ainsi rédigé :
" Seront punis des mêmes peines ceux qui auront contesté, par un des moyens énoncés à l'article 23, l'existence d'un ou plusieurs crimes contre l'humanité reconnus par une loi française ou commis par une personne reconnue coupable de tels crimes par une juridiction française ou internationale. "
Article 2
L'article 48-2 de la loi du 29 juillet 1881 précitée est ainsi rédigé :
" Art. 48-2. - Toute association régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans à la date des faits, qui se propose, par ses statuts, de défendre les intérêts moraux et l'honneur de la Résistance ou des déportés, ou de défendre les intérêts moraux et la mémoire des victimes de crimes visés ci-après, peut exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne l'apologie des crimes de guerre, des crimes contre l'humanité ou des crimes ou délits de collaboration avec l'ennemi et en ce qui concerne l'infraction prévue par l'article 24 bis."