débats sur le négationnisme du génocide arménien
http://www.assemblee-nationale.fr/12/cri/2004-2005/20050194.asp
Première séance du mardi 5 avril 2005
194e séance de la session ordinaire 2004-2005
SANCTION PÉNALE DE LA NÉGATION DU GÉNOCIDE ARMÉNIEN
M. le président. La parole est à M. Christophe Masse, pour exposer la question, n° 1184, de M. René Rouquet, relative à la sanction pénale de la négation du génocide arménien.
M. Christophe Masse. Madame la secrétaire d'État aux droits des victimes, je souhaite, avec mon collègue René Rouquet, appeler l'attention de M. le garde des sceaux, sur la nécessité de sanctionner la négation du génocide arménien.
À l'occasion des commémorations liées au soixantième anniversaire de la libération des camps de concentration nazis, les chefs d'État et de gouvernement ont réaffirmé solennellement la nécessité absolue pour l'Europe de se construire sur le rejet absolu de la Shoah et d'entretenir, sans relâche, la mémoire des crimes contre l'Humanité.
Mais en cette année 2005 où sera célébré, dans quelques jours, le 24 avril prochain, le quatre-vingt-dixième anniversaire du génocide des Arméniens perpétré en 1915, la France s'honorerait à adapter sa législation pour condamner, pénalement, la négation ou la contestation du premier génocide du XXe siècle, que notre République a reconnu, grâce à sa représentation nationale, par la loi du 29 janvier 2001.
En dépit de cette loi née d'une initiative parlementaire, qui avait été adoptée à l'unanimité de notre assemblée, dans un sentiment mêlé d'émotion et de dignité que nul ne peut ici oublier, rien ne permet en effet, à ce jour, de poursuivre, sur le plan pénal, les auteurs de prises de position négationnistes contestant, niant ou falsifiant la réalité historique de ce génocide où périrent 1 500 000 victimes.
De nombreuses démarches ont pourtant été effectuées ces dernières années, pour réaffirmer ce souci de justice. Ce fut notamment le cas, en 1992, avec la loi Gayssot, qui établissait le délit de contestation des crimes contre l'Humanité mais qui ne concernait que ceux commis durant la seconde guerre mondiale et définis en annexe de l'accord de Londres du 8 août 1945. Aussi notre droit n'est-il pas apte à tirer, sur le plan pénal, les conséquences de la loi reconnaissant le génocide arménien, et de poursuivre ou de sanctionner quiconque en nierait l'existence.
Afin de faire évoluer la législation particulière en la matière, nous avons déposé avec nos collègues du groupe socialiste, le 8 juin 2004, la proposition de loi n° 1643. Mais, à ce jour, ce texte n'a pas été inscrit à l'ordre du jour prioritaire, et cela malgré les demandes de notre collègue Jean-Marc Ayrault auprès du président Jean-Louis Debré, qui a pourtant abordé avec courage la question du génocide arménien auprès des dirigeants d'Ankara, lors de son récent voyage en Turquie.
Aussi, madame la secrétaire d'État, dans un souci légitime de rendre enfin justice au peuple arménien, dont la mémoire continue, aujourd'hui encore, d'être injustement meurtrie par la négation du génocide perpétré voilà tout juste quatre-vingt-dix ans, nous sommes nombreux, au sein de la représentation nationale, et au-delà des traditionnels clivages, à refuser de céder au sentiment du devoir accompli. Le travail législatif n'est pas achevé.
Quelles mesures le Gouvernement entend-il prendre afin d'inscrire dans notre droit la sanction pénale de toutes les tentatives de réécriture de l'histoire et, particulièrement, tout acte de contestation ou de négation de l'existence du génocide arménien de 1915, dont la réalité historique est reconnue par la loi du 29 janvier 2001 ?
M. le président. La parole est à la secrétaire d'État aux droits des victimes
Mme Nicole Guedj, secrétaire d'État aux droits des victimes. Monsieur le député, je vous demande de bien vouloir excuser à votre tour l'absence de Dominique Perben.
Par l'adoption de l'article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881, le législateur, outre la volonté de protéger la vérité historique de l'Holocauste, a entendu réprimer toute contestation qui aurait pour objet de remettre en cause la vérité judiciaire telle qu'énoncée par la juridiction de Nuremberg ou une juridiction nationale ayant eu à statuer sur un crime contre l'Humanité commis durant la Seconde Guerre mondiale.
Cette infraction, applicable uniquement aux crimes contre l'Humanité définis par l'article 6 du statut militaire international annexé à l'accord de Londres du 8 août 1945, est punie de la peine d'un an d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende, outre la peine complémentaire d'affichage ou de diffusion de la décision prononcée.
L'absence de dispositions législatives particulières concernant le crime du génocide arménien ou tout autre crime contre l'Humanité reconnu comme tel, ne constitue pas, toutefois, un obstacle à l'engagement de poursuites pénales ou d'actions civiles à l'encontre de toute personne qui insulterait, par ses propos, le peuple arménien victime.
Par l'adoption de la loi n° 2001-70 du 29 janvier 2001, la France, vous l'avez rappelé, a reconnu publiquement le génocide arménien de 1915.
Le génocide, tel que défini par l'article 211-1 du code pénal, est qualifié par notre droit de crime contre l'Humanité, ce qui permet l'engagement de poursuites pénales à rencontre de quiconque en aura publiquement fait l'apologie.
Cette infraction d'apologie de crime contre l'Humanité, prévue par l'article 24, alinéa 3, de la loi du 29 juillet 1881, est punie d'une peine de cinq ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende.
Ainsi, toute personne qui inciterait publiquement à porter un jugement de valeur morale favorable sur le génocide arménien, ou sur ses auteurs, ou qui tenterait de justifier son existence, pourrait être poursuivie en application de l'article 24, alinéa 3, de la loi de 1881.
Par ailleurs, par une décision du 21 juin 1995 fondée sur l'article 1382 du code civil, le tribunal de grande instance de Paris a admis la recevabilité d'une action civile engagée à rencontre d'un chercheur qui, par ses propos sans nuance sur le génocide arménien, avait ravivé injustement la douleur de la communauté arménienne.
M. le président. La parole est à M. Christophe Masse.
M. Christophe Masse. Madame la secrétaire d'État, j'ai bien entendu vos explications. Je continue néanmoins de considérer qu'un vide juridique subsiste. Certes, la loi Gayssot de 1992 avait permis de punir tous ceux qui contestaient les crimes contre l'Humanité mais la loi ne concernait que ceux commis durant la Seconde Guerre mondiale. Nous souhaitons, dans un souci de clarté et pour aller au bout de la démarche cuménique qui nous avait réunis ici lorsque nous avons légiféré sur l'existence du génocide arménien, que soient punies pénalement toutes les personnes qui en contestent l'existence.