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débats sur le négationnisme du génocide arménien

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Génocide des Arméniens (050505)

Entretien publié dans l'hebdomadaire belge "Ciné-Télé Revue", le 5 mai 2005.

Silences coupables en Belgique

A l'occasion du 60ème anniversaire de la libération des camps de concentration nazis et du 10ème anniversaire du génocide rwandais, les leaders politiques belges ont réaffirmé fort opportunément la nécessité pour l'Europe de se construire sur le rejet absolu de ces crimes contre l’humanité et d'entretenir leur mémoire pour les générations présentes et à venir. En cette année 2005, est commémoré également le 90ème anniversaire du génocide des Arméniens, le premier du siècle, perpétré entre par l'Empire ottoman. Entre 1915 et 1922, plus d’un million d’Arméniens qui vivaient en Anatolie furent froidement et méthodiquement exécutés… Mais ce génocide-là mobilise peu les partis politiques belges. Pire : certains de ses mandataires d’origine turque flirtent avec le négationnisme! Journaliste, militant des droits de l’homme depuis des nombreuses années et président de la fondation Info-Turk, Dogan Özgüden dénonce l’«attitude bassement électoraliste du monde politique belge qui craint de déplaire à la communauté turque de Belgique à l’aube du prochain scrutin communal»

- Le 13 avril dernier, lors d’un voyage officiel en Norvège, le premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan déclarait ceci : "Il appartient aux Arméniens de faire des excuses à la Turquie suite à leurs allégations erronées de génocide durant la première guerre mondiale (…) Nous ouvrons toutes nos archives d'Etat. Tout le monde peut venir en Turquie pour les étudier, nous sommes prêts à régler nos comptes avec l'histoire". Vous-même vous êtes Turc, partagez-vous cette vision de l’histoire?

- Certainement pas ! Ces propos du premier ministre turc s’inscrivent dans une longue tradition négationniste. Pendant des décennies, les gouvernements turcs successifs ont tenté de faire oublier la tragédie des Arméniens. D’ailleurs, cela a failli marcher mais après la seconde guerre mondiale, les descendants de la diaspora arménienne se sont mobilisés et, en 1987, ils ont obtenu du parlement européen qu’il reconnaisse le génocide dont leurs aïeux ont été victimes. Depuis lors, l’Etat turc nie obstinément alors que les faits sont historiquement établis.

- Dès lors, quand M.Erdogan demande aux Arméniens de «faire des excuses à la Turquie», c’est…

- C’est parfaitement indécent! C’est comme si l’Allemagne demandait aujourd’hui aux Juifs de s’excuser du génocide dont leur peuple a été victime. Si quelque chose de tel devait un jour se passer, cela provoquerait bien évidemment un tollé général. En ce qui concerne la Turquie, ce négationnisme du génocide des Arméniens n’a malheureusement pas été une cause de rupture dans le cadre des négociations pour l’accession de ce pays à l’Union Européenne. Mais les choses bougent. A l’occasion du 90ème anniversaire, le 24 avril dernier, le président Chirac a déclaré que la France bloquerait le dossier turc si ce pays ne faisait pas face à son passé.

- Quel est-il ce passé ?

- Depuis des siècles, l'Arménie se trouvait sous l'occupation de l'Empire ottoman. Au 19e siècle, à l'instar des autres minorités de l'empire, les Arméniens ont réclamé l'instauration d'un régime reconnaissant les droits de tous les peuples. En riposte, entre 1894 et 1896, le sultan turc Abdulhamit II a organisé de premières tueries. Plus tard, le gouvernement nationaliste des Jeunes-Turcs a mené une véritable politique d’extermination. Elle durera de 1915 à 1918 mais précédemment ce régime – qui continue à être glorifié dans la Turquie d’aujourd’hui- avait déjà été responsable d’un immense massacre à Adana (1909). L'extermination s'est poursuivie même après la chute de ce régime jusqu’en 1922. Les Arméniens estiment que 1, 500.000 personnes ont été assassinées par les Turcs. Ces derniers contestent les chiffres et reconnaissent 300.000 à 400.000 victimes tout en prétendant qu’autant de turcs auraient été tués… par des Arméniens. L’idée sous-jacente des Turcs est d’ainsi nier le génocide en prétendant que si des massacres ont bien eu lieu, ils ont été pratiqués par les deux camps dans un contexte de guerre. Cette vision de choses est clairement erronée. Au début du siècle, le peuple arménien a bel et bien été exterminé sur base de critères ethniques dictés par une politique ultranationaliste et islamiste. Pour s’en convaincre, il suffit de constater qu’au début du génocide, près de 2 millions d'Arméniens vivaient en Anatolie. Aujourd’hui, ils sont peut-être encore 40.000…

- Quel a été le mode opératoire de ce crime contre l’humanité ?

- Dans un premier temps, le 24 avril 1915, à Istanbul, les intellectuels, cadres et notables arméniens ont été arrêtés. Rapidement, ils ont exécutés lors de pendaisons publiques par groupes de 50 à 100. Privés de leurs chefs, les Arméniens ont ensuite été massacrés, beaucoup même, brûlés vifs. La règle était d’exécuter systématiquement les personnes de sexe masculin âgée de plus de douze ans et d’enlever les jeunes filles – il y eu d’innombrables viols- et d’assimiler les plus jeunes, notamment en les convertissant à la religion musulmane. Environ 500000 arméniens ont été égorgés, fusillés ou éventrés au cours des sept derniers mois de l'année 1915. La majorité des survivants fut déportée vers les régions désertiques de Syrie où ils sont morts de faim ou de maladie.

- Est-il vrai que le génocide arménien a inspiré les nazis ?

- Il est vrai qu’Hitler a évoqué ce génocide en relevant qu’il était possible d’exterminer un peuple sans que l’histoire ne le retienne…

- Quel est le point de vue de la communauté turque de Belgique sur la question arménienne ?

- Dans sa grande majorité, elle partage le point de vue d’Ankara. Cette population, après le lavage de cerveau qu’elle a connu dans sa terre natale, entretient son endoctrinement en lisant des journaux turcs et en regardant des programmes de télé turcs. On y honore régulièrement la mémoire des auteurs du génocide dans le cadre d’une lecture ultranationaliste de l’histoire. Et, malheureusement, cela n’est pas sans influence sur les partis politiques belges…

- Que voulez-vous dire par là ?

- Les partis démocratiques belges ne désirent pas se brouiller avec cet électorat en puissance à l’aube du prochain scrutin communal : le lobby turc orchestré par l'Ambassade de Turquie s'est déjà montrée capable d'orienter les votes des électeurs d'origine turque. Dès lors, ils se montrent très prudents, pour ne pas dire complices d’un assourdissant silence, sur la question du génocide arménien. Ainsi plusieurs associations qui avaient appelé le monde politique belge à se mobiliser le 90ème anniversaire du génocide, au même titre qu’il y avait une mobilisation sur la Shoa ou le génocide rwandais, n’ont pratiquement rencontré que de polies fins de non recevoir. Le 24 avril dernier, lors de la cérémonie du souvenir devant le mémorial à Ixelles, il n’y avait pas une présence significative des dirigeants de partis politiques. Jusque l’un ou l’autre mandataire du CDH et du MR… A titre de comparaison, on soulignera que lors d’une cérémonie comparable, le même jour en France, le président de l’Etat et tous les personnes importantes du monde politique français s’étaient déplacées… Ce qui se passe en Belgique est moralement indéfendable : on courtise un électorat potentiel en évitant soigneusement de mettre en cause son négationnisme. Et d’ailleurs, cela va même plus loin puisque des élus d’origines turque appartenant aux différents partis traditionnels belges n’hésitent pas à tenir eux-mêmes des propos révisionnistes, sans qu’ils soient le moins du monde, rappelés à l’ordre.

- Vous dites que des élus de partis démocratiques belges osent nier le génocide arménien, pourtant reconnu par le parlement européen ?

- Mais bien entendu! Bien sûr, il y a un double langage. Dans les médias belges, les élus d’origine turque sont très attentifs à ne pas choquer l’opinion par des propos ostensiblement négationnistes. Mais il en va différemment lorsqu’ils s’expriment en Turc à destination de leurs électeurs. Que ce soit lors de réunion de proximité ou dans les télévisions locales et les médias turcs. Ces derniers reviennent systématiquement avec cette question : «Que ferez-vous lorsque vous serez élu pour contrecarrer les arguments arméniens?». Et bien entendu, ils répondent en allant dans le sens du poil…

- En France, la loi condamne les propos révisionnistes sur le génocide arménien, au même titre qu’est réprimé le négationnisme relatif à la Shoa. Est-ce le cas aussi en Belgique ?

- Non. Bien qu’une évolution en ce sens soit à l’étude au Sénat. Mais pour concrétiser, il faudra suffisamment de voix au sein de la commission du Sénat qui planche sur la question… Dans le contexte actuel, j’ai peur qu’on n’y arrive pas.

- Au même titre que plusieurs autres pays européens, la Belgique a tout de même exprimé le souhait que la Turquie reconnaisse le génocide des Arméniens…

- Vous le dites : elle en a exprimé le «souhait». A ce jour, la diplomatie belge n’a pas fait de ce point une exigence ou une condition préalable à l’entrée de la Turquie dans l’Union Européenne. A mon sens, c’est pourtant une exigence minimale dans le cadre d’une Europe qui veut défendre la démocratie et qui cultive à juste titre le souvenir des atrocités commises par les régimes dictatoriaux. Je défends aussi ce point de vue : personne n’a le droit d’oublier ce qu’on a fait aux Juifs, les générations d’aujourd’hui et celle de demain doivent garder en mémoire les leçons de l’histoire. Et pour cette même raison, je ne vois pas pourquoi on ferait une exception turque!


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