débats sur le négationnisme du génocide arménien
http://fr.groups.yahoo.com/group/suffrage-universel/message/2702
De : Pierre-Yves Lambert
Date : Mercredi 11, Mai 2005 2:39
Objet : Belgique - "génocide arménien" ou "des grands massacres",
doit-on "faire monter tous les grands massacres de lhistoire au même
niveau" ?
Hiérarchisation des victimes: tu quoque Filippus Moureaux ?
Dimanche midi, sur la chaîne privée de télévision RTL-TVI, le sénateur socialiste francophone Philippe Moureaux, président de la Fédération bruxelloise du Parti Socialiste, professeur d'histoire à l'Université Libre de Bruxelles, ancien vice-premier ministre, répondait au feu roulant de questions du journaliste vedette Pascal Vrebos (réputé proche du MR, le parti libéral). L'actualité brûlante abordée pendant la majeure partie de l'entretien portait sur la scission éventuelle de l'arrondissement électoral et judiciaire bilingue de Bruxelles-Hal-Vilvorde, ce qui a permis à Monsieur Moureaux de décocher quelques bons mots à sa façon, cette fois-ci c'estle défunt parti nationaliste flamand Volksunie qui fut l'objet de son trait le plus acéré, " Elle agit comme un parasite qui est mort mais qui a déposé des oeufs partout", faisant allusion aux ex-Volksunistes éparpillés et influents dans tous les autres partis flamands depuis son éclatement. Ca, c'est ce que les médias ont retenu de cette séquence dominicale (voir plus bas).
Pourtant, en début de soirée, un fidèle lecteur de "Suffrage Universel", sensibilisé au débat sur la répression des négationnismes, m'a fait part d'une curieuse réponse du "Patron" (comme l'appellent avec déférence ses moqad... ses chaou... ses acolytes et autres porteurs de burettes de grands-messes socialistes) à la question " Peut-on douter du génocide arménien ?". D'après mon correspondant, le Professeur Moureaux avait refusé de qualifier ces "grands massacres" de "génocide", et s'était implicitement, dans la suite de sa réponse, prononcé contre l'extension de la loi antinégationnisme, soulignant la spécificité irréductible de la Shoah.
J'avais déjà évoqué en novembre dernier ( http://fr.groups.yahoo.com/group/suffrage-universel/message/2391 ) un curieux communiqué de presse dudit Moureaux réduisant la question de l'autodétermination du peuple sahraoui et l'occupation sion... pardon, marocaine, du territoire de la République Arabe Sahraouie Démocratique à un conflit "qui divise deux Etats du Maghreb", l'Algérie et le Maroc, ajoutant aussitôt, pour rassurer le fidèle électorat marocain du PS que "Les socialistes bruxellois ont établi depuis longtemps des rapports de confiance avec le Royaume du Maroc. Ils sont très attachés à ce que ces relations ne soient pas compromises par des prises de position irréfléchies et inopportunes sur ce problème délicat.". Il était aussitôt remercié, via la presse marocaine, par le conseiller communal PS Boukantar ( http://users.skynet.be/suffrage-universel/be/boukantar.htm ) qui observait à juste titre qu'"avec l'affaire du Sahara Marocain, nous avons pu tester le degré de notre influence et l'importance qu'accorde le PS à notre cause de premier plan".
A l'époque, j'avais pastiché le vrai communiqué de presse de Philippe Moureaux sur le Sahara en le transposant à la question de la négation du génocide arménien, ce qui donnait ceci:
(suite au soutien d'élus socialistes belges à une résolution demandant la reconnaissance du génocide arménien par la Belgique et son inclusion dans la loi contre le négationnisme)Philippe MOUREAUX, Président de la Fédération bruxelloise du parti Socialiste, a pris connaissance avec regret de l'amalgame fait par certains entre la condamnation du Vlaams Blok pour incitation au racisme et l'absence de condamnation de plusieurs élus PS, MR et CDH d'origine turque, dont l'actuel secrétaire d'Etat Emir KIR, à une manifestation négationniste en mai dernier à Bruxelles. Le P.S. a toujours estimé que cette question du prétendu génocide arménien doit être traité avec sérénité par les historiens. Les socialistes bruxellois ont établi depuis longtemps des rapports de confiance avec la République de Turquie. Ils sont très attachés à ce que ces relations ne soient pas compromises par des prises de position irréfléchies et inopportunes sur ce problème délicat.
Donc, dimanche soir, quand mon correspondant m'a contacté, je n'étais pas vraiment surpris, la réalité avait peut-être fini par rejoindre la fiction et l'électoralisme ethniciste et communautariste effréné du PS bruxellois avait peut-être atteint un nouveau palier, assez nauséabond certes mais guère surprenant a priori...
Il a fallu attendre une rediffusion nocturne de l'émission, demander à un copain de l'enregistrer puis de transcrire l'extrait en question, ce qui a pris deux jours: c'est ça aussi le prix de l'indépendance de "Suffrage Universel", on se débrouille avec les moyens du bord et on n'a pas toujours la possibilité de réagir au quart de tour.
En fin de compte, il appert de la transcription que le Machiavel de Molenbeek a bien corrigé, dans sa réponse, la qualification de "génocide arménien" contenue dans la question du journaliste pour la transformer en "grands massacres". Soulignant bien, pour être sûr que les destinataires de ce clin d'oeil n'aient aucun doute quant au sens de cette transformation sémantique, que " le problème de vocabulaire est devenu un problème épouvantable", "c'est qu'on veut absolument mettre des étiquettes sur tout". Hé oui, si c'est un produit mortel il faut mettre une étiquette avec une tête de mort, si c'est un génocide il faut bien lui coller l'étiquette "génocide", pas "grands massacres", Monsieur le Professeur de Critique Historique.
Par contre, dans la suite de sa réponse, le sénateur Moureaux n'a pas dit clairement qu'il refusait une extension de la loi antinégationniste à d'autres génocides que la Shoah, il a "seulement" exprimé sa crainte " qu'à vouloir faire monter tous les grands massacres de l'histoire au même niveau c'est une manière de descendre la gravité, l'immense gravité de la Shoah", "qui est un génocide fait vraiment à un niveau de civilisation très élevé par un gouvernement qui fait ça méthodiquement, scientifiquement".
En cela, on ne peut qu'approuver ses propos, il est en effet bien évident que l'Empire Ottoman de 1915 n'avait pas atteint le même degré de développement économique et industriel que l'Allemagne nazie et les pays occupés par elle dans les années 1930-1940, développement qui a permis l'organisation méthodique de la "solution finale", avec des expérimentations d'allure scientifique pour calculer la meilleure relation coût-efficacité de l'extermination des Juifs, Tziganes et autres, comme de nombreux documentaires l'ont encore montré récemment.
Ce qui ne doit pas faire oublier, comme l'ont montré ces mêmes documentaires, que les millions de victimes civiles des persécutions et génocides commis par les nazis sont loin d'avoir toutes été exterminées "méthodiquement, scientifiquement". A Kiev en 1941, les nazis ont exterminé 100.000 Juifs dans le ravin de Babi Yar avec des méthodes guère différentes de celles utilisées à l'encontre des Arméniens et autres Assyriens lors du génocide de 1915 ou de ses massacres (et crimes contre l'humanité) précurseurs en 1909 et en 1894.
Certes, les Ottomans n'ont pas développé les techniques de pointe nazies, "méthodiquement et scientifiquement", en matière d'élimination systématique de minorités, mais il ne faut pas oublier que les nazis n'avaient pas de déserts pour y emmener les convois de civils, femmes, enfants et vieillards inclus, sans eau et sans nourriture et procéder à des massacres complémentaires si ça ne suffisait pas, ils ont donc dû trouver d'autres idées.
Ceci dit, l'Empire Ottoman avait tout de même lui aussi atteint un certain degré de développement industriel, il y avait là-bas des chemins de fer depuis la fin du XIXème siècle grâce à l'ingénieur belge Georges Nagelmackers par exemple, concessionnaire en 1891 et exploitant dès 1892 de la "Société Ottomane de Chemins de Fer de Bursa et de Mudanya".
Et ces chemins de fer ont bel et bien servi à la déportation, en vue de leur extermination, d'une partie des populations civiles arméniennes d'Anatolie. Le Dr. Lepsius, Président de la Mission allemande d'Orient et de la Société germano-arménienne, écrit par exemple dans son rapport publié dès 1919 que "Le chemin de fer ne pouvait être utilisé que par ceux qui pouvaient se payer un billet avec le reste de leurs biens, pour s'assurer par là une place dans les wagons à bestiaux, Mais ces trains ne furent bientôt plus accessibles, car ils devenaient indispensables aux transports militaires." ( http://www.imprescriptible.fr/documents/lepsius/ch1p4.htm ). Ca fait penser à cette pratique de la Chine communiste où la famille du condamné doit payer les balles qui ont servi à exécuter son parent...
Pour en revenir à notre sujet, l'extension de la loi contre le négationnisme reviendrait-elle à "faire monter tous les grands massacres de l'histoire au même niveau", même ceux qui n'ont pas eu lieu " à un niveau de civilisation très élevé par un gouvernement qui fait ça méthodiquement, scientifiquement" ?
Le projet de loi mentionne clairement "le génocide ou les crimes contre l'humanité", il n'y a donc pas d'ambiguïté, il n'est pas là question de " tous les grands massacres de l'histoire". L'enjeu actuel est bien le négationnisme, et concrètement il n'y en a pas trente-six à connaître une certaine diffusion en Belgique: les négationnistes d'ici et de maintenant sont les nazis et autres crypto-nazis, les apologistes du Hutu Power et l'ambassade de Turquie et extensions associativo-politiques, même si l'on trouvera probablement quelque cercle tchetnik ou oustachi niant les crimes contre l'humanité commis pendant la guerre civile yougoslave.
La récupération "patriotique" du criminel Godefroid de Bouillon pour le 175ème anniversaire de la Belgique et la négation des crimes contre l'humanité commis par Léopold II et ses séides au Congo doivent-elles être inclues au tableau, les débats au Sénat nous le diront, et Monsieur Moureaux pourra y exercer sa verve et ses talents de critique et d'historien pour convaincre ses collègues dans un sens ou dans un autre.
Au fait, trois sénateurs belges ont pris position en faveur de la commission proposée par le premier ministre turc pour prouver scientifiquement et méthodiquement qu'il n'y a pas eu génocide mais "massacres réciproques", la résolution a pour titre "Etude commune des événements de la Première Guerre mondiale dans l'Empire ottoman", c'était le 27 avril dernier, parmi 97 membres effectifs et suppléants du Conseil de l'Europe (dont au moins deux Liechtensteinois et un socialiste andorran !) qui ont signé ce texte ( http://assembly.coe.int/Documents/WorkingDocs/Doc05/FDOC10532.htm ) on retrouve les sénatrices SP.A Mimount Bousakla et Fatma Pehlivan, et le CD&V Luc Van den Brande, ainsi que le député VLD Stef Goris. Nul doute que leurs collègues les interpelleront à ce sujet lors des prochains débats.
Car, et j'en finirai là, la Belgique a bien déjà reconnu le génocide arménien en 1998 par une résolution du Sénat, qui incluait cette phrase on ne peut plus claire: "Considérant que les preuves historiques de la réalité des massacres concertés et systématiques des Arméniens ne peuvent être mises en doute" et "Invite le gouvernement turc à reconnaître la réalité du génocide perpetré en 1915 par le dernier gouvernement de l'empire ottoman". En signant le texte pro-Erdogan à l'assemblée du Conseil de l'Europe, ces quatre parlementaires belges ont effectué un recul par rapport à la position belge, ce qui constitue une grave erreur même si cela partait peut-être d'une bonne intention. Rappelons au passage que la résolution belge de 1998 avait été proposée par des sénateurs de tous les partis, et pas les moindres: le VLD Guy Verhofstadt, le MR Alain Destexhe, la CDH Joëlle Milquet, le PS Philippe Mahoux, le SP.A Patrick Hostekint, les CD&V Paul Staes et Erika Thys, l'Ecolo Pierre Jonckheer et le Groen! Eddy Boutmans, ainsi que le Spirit Bert Anciaux.
Pierre-Yves LAMBERT, 11 mai 2005
L'Invité : Philippe Moureaux (vice-président du PS)
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Pascal Vrebos : Des questions par « oui » ou par « non ». Appréciez-vous François Pirette ?
Philippe Moureaux : [clique sur le oui]
Pascal Vrebos : Oui. Etes-vous plus à gauche que votre président Elio Di Rupo ?
Philippe Moureaux : [clique sur le oui]
Pascal Vrebos : C'est oui ? Oui, d'accord ok. Vous pouvez le dire. Peut-on rire de tout ? Vous pouvez le dire en même temps, hein
Philippe Moureaux : [clique sur le oui] Presque de tout.
Pascal Vrebos : Donc, c'est plutôt non.
Philippe Moureaux : C'est plutôt oui.
Pascal Vrebos : Est-ce que l'histoire empêche les hommes de refaire les mêmes erreurs ?
Philippe Moureaux : [clique sur le non] Non malheureusement.
Pascal Vrebos : Peut-on douter du génocide arménien ?
Philippe Moureaux : [clique sur le non] Douter des grands massacres, le problème est un Non, on ne peut pas douter mais le problème de vocabulaire est devenu un problème épouvantable. C'est qu'on veut absolument mettre des étiquettes sur tout. Je dirais volontiers qu'il y a tout de même UN génocide qui, à mon sens, doit nous interpeller plus que n'importe lequel, c'est la Shoah qui est un génocide fait vraiment à un niveau de civilisation très élevé par un gouvernement qui fait ça méthodiquement, scientifiquement. J'ai toujours un peu peur qu'à vouloir faire monter tous les grands massacres de l'histoire au même niveau, c'est une manière de descendre la gravité, l'immense gravité de la Shoah.
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http://www.rtl.be/Site/Index.aspx?LG=1&PageID=225&ArticleID=46952
RTL 8-5-2005 15:55
(...) l'un des négociateurs du "club des 12", Philippe Moureaux (PS) s'en est pris, sur RTL-TVi, à l'ex-Volksunie (dont la N-VA est l'une des héritières). "Elle a disparu mais elle n'a jamais été aussi présente. Elle agit comme un parasite qui est mort mais qui a déposé des oeufs partout", a-t-il dit, évoquant ainsi le cas des anciens de la VU qui ont intégré d'autres formations politiques ou des deux héritières de la VU (N-VA et Spirit) qui ont formé des cartels avec ces formations traditionnelles.