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débats sur le négationnisme du génocide arménien

 

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Suffrage Universel Dimanche 22, Mai 2005 16:46

Entretien avec François Roelants du Vivier (sénateur et député régional MR-FDF)

« Je suis partisan de l’entrée de la Turquie dans l’UE »

MK : Pourquoi élargir maintenant la loi sur le négationnisme au génocide arménien ?

F. Roelants du Vivier : Il ne s’agit pas ici d’élargir la loi au génocide arménien mais bien d’élargir aux génocides reconnus par une instance internationale habilitée ou, pour un certain nombre de génocides qui malheureusement ayant eu lieu avant l’installation d’une Cour pénale internationale, avant l’existence de l’Organisation des Nations Unies. Sachant qu’il est même difficile de faire un procès contre un Etat qui n’existe même plus, il convient d’adopter un autre critère. Le critère que nous avons donc choisi est celui de la représentativité la plus large, de légitimité la plus large : le Parlement européen qui représente 450 millions de citoyens…

MK : Cet amendement que vous comptez faire adopter au Sénat est-il une initiative de votre président de parti Olivier Maingain ? D’autres élus de différentes formations sont-ils associés ?

F. Roelants du Vivier : C’est l’ensemble du MR qui soutient un tel amendement avec moi. Je l’ai d’ailleurs déposé avec Christine Defraigne qui est le chef de groupe MR au Sénat et c’est sur cette proposition que nous allons bien entendu avancer. Mais d’un autre côté, j’ai décidé de déposer, pas plus tard que jeudi dernier, une proposition de loi qui vise à faire reconnaître par la Belgique le génocide arménien.

MK : Comme le parti Ecolo l’avait suggéré en commission des affaires juridiques du Sénat ?

F. Roelants du Vivier : En effet, Ecolo avait manifesté son intention mais je l’ai déjà fait. C’est déjà déposé. Il s’agit d’une proposition de loi avec un article unique identique à celui de la loi française de 2001: « La Belgique reconnaît le génocide arménien de 1915 ».

MK : N’avez-vous pas des arrière-pensées turcophobes dans ce dossier ? La communauté turcophone de Belgique peut se sentir particulièrement attaquée par la manière dont ce débat est traité.

F. Roelants du Vivier : J’aimerais vous dire deux choses à ce sujet. Tout d’abord, je suis moi-même partisan de l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne. Je ne suis donc vraiment pas un turcosceptique à ce sujet. Je pense que c’est un grand pays qui a sa place dans l’Europe contrairement d’ailleurs à l’avis de certains de mes amis. J’y crois fort et d’autant plus qu’il faut que la Turquie, par rapport à cet objectif, puisse rencontrer des conditions émises par le Sénat lorsque nous avions justement recommandé l’ouverture des négociations avec la Turquie. Nous avions demandé deux éléments comme condition : d’abord sur l’affaire de Chypre où nous espérons un règlement pacifique de ce dossier pour que Chypre soit reconnue par la Turquie étant donné qu’il s’agit d’un pays membre de l’Union européenne et puis qu’on résolve la division de l’île en optant pour un plan des Nations Unies…

MK : Dans ce dossier, on peut dire que les Chypriotes turcs ont de l’avance puisque ce sont les Chypriotes grecs qui viennent de refuser le plan des Nations Unies.

F. Roelants du Vivier : Je l’ai déjà dit à plusieurs reprises. Je pense que les Chypriotes turcs ont fait un travail tout à fait remarquable et que la balle est dans le camp des Chypriotes grecs, c’est vrai…

MK : C’est peut-être dans ce camp qu’il faut mettre à présent la pression, non ?

F. Roelants du Vivier : … et je vous assure que je suis de ceux qui mettent la pression sur les Chypriotes grecs. Ceci étant, il y a encore 30.000 militaires turcs qui se trouvent aujourd’hui sur le territoire d’un Etat membre de l’Union européenne. Donc, il y a là tout de même un problème qui nécessite une solution de la part de la Turquie. Et la deuxième condition que nous avions évoquée était la reconnaissance du génocide arménien. Vous savez, un pays se grandit lorsqu’il fait le travail sur son passé. Regardez ce qui s’est passé avec l’Allemagne qui est aujourd’hui un grand pays démocratique parce qu’à la différence d’autres pays, elle a su faire ce travail de mémoire. Maintenant, l’Allemagne est un pays irréprochable sur le plan démocratique.

MK : Pourquoi la Belgique doit-elle se pencher sur des crimes commis par un ex-régime étranger ? Ne devrait-elle pas plutôt s’intéresser sur ses propres crimes coloniaux, notamment au Congo ?

F. Roelants du Vivier : La Belgique doit aussi faire la paix avec son propre passé. La Belgique a fait déjà pas mal de choses sur elle-même. Je vous rappelle que, sous le gouvernement du M. Verhofstadt, la responsabilité de certaines autorités belges concernant la déportation des juifs a été reconnue, que nous avons effectué un travail parlementaire dans le cadre de la « commission Lumumba », que nous avons également achevé le travail que vous connaissez sur le Rwanda. Je pense qu’il faut continuer à explorer son passé afin de n’y laisser aucune zone d’ombre. On ne peut en tout cas pas dire que la Belgique n’a pas voulu entreprendre ce travail.

MK : A propos de l’adhésion européenne, le Premier ministre turc a répondu à la question en rappelant que la reconnaissance du génocide arménien n’est pas incluse dans les critères d’adhésion dits de Copenhague, êtes-vous d’accord sur ce point ?

F. Roelants du Vivier : Ce n’est pas en soi un critère mais je rappelle que les critères de Copenhague sont liés aux valeurs démocratiques de l’Union. Il suffirait de lire la Constitution ou les traités actuellement en vigueur pour se rendre compte que les critères d’Etat de droit et de démocratie que nous avons impliquent nécessairement cette démarche. Je crois que c’est inéluctable quelque part.

Il y a quelques jours, j’ai reçu à la commission des Affaires étrangères du Sénat mon homologue turc le président de la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale turque. Je lui ai parlé du sujet et il m’a répondu de la sorte : ‘Vous rendez-vous compte de ce que vous me demandez de faire ?’ Je lui réponds alors que je ne sais pas et il me dit : ‘Vous me demandez de dire que mon grand-père et mon arrière-grand-père ont été des assassins.’ Je lui dis alors : ‘Ecoutez, je ne connais pas l’histoire de votre famille mais je sais que nos voisins allemands ont fait ce travail. Ils ont assumé la responsabilité du passé et cela veut-il dire pour autant que l’Europe est anti-allemande aujourd’hui ?’

Au contraire, je pense que c’est un moyen de mieux se faire accepter. Si la Turquie reconnaissait les faits, cela va aider considérablement le pays. Par ailleurs, par rapport à tous ces turcosceptiques qui répètent sans cesse qu’il ne faut pas laisser entrer la Turquie dans l’UE sous prétexte que ce n’est pas un pays qui respecte nos valeurs en citant pour exemple le génocide arménien, le jour où cette question est réglée, on obtient évidemment un argument formidable en montrant en exemple un pays qui a évolué.

MK : Peut-être qu’Ankara a peur aussi des revendications territoriales qui pourraient découler de la reconnaissance du génocide arménien, est-ce plausible ?

F. Roelants du Vivier : Je pense que la communauté internationale jouera son rôle et veillera à la stabilité dans la région. La stabilité des frontières est un élément très important. De toute façon, la Turquie aura justement d’autant plus de crédibilité sur le dossier territorial si elle a réglé préalablement sa responsabilité historique.

MK : Sur le plan local, où en est la procédure disciplinaire à l’égard des deux élus d’origine turque de votre propre parti qui s’étaient prononcés sur le « prétendu génocide arménien » ?

F. Roelants du Vivier : J’ai justement vu hier le président du MR, Didier Reynders, pour lui demander des nouvelles sur ce sujet. Il m’a répondu que la procédure suivait son cours dans ce qui s’appelle le comité de conciliation et d’arbitrage et que l’affaire était instruite à ce niveau. Je ne pourrais pas vous dire quand une décision tombera mais j’ai rappelé au président qu’il fallait nécessairement faire le ménage chez nous, même si cela ne se fait visiblement pas ailleurs, pour garder une crédibilité dans ce dossier. Il m’a confirmé que le cas échéant des sanctions pourraient s’appliquer.

MK : N’êtes-vous pas dépassés par le PS qui vient d’envoyer un communiqué reconnaissant le génocide arménien même si ce parti refuse toujours de punir sa négation ?

F. Roelants du Vivier : Mais le MR reconnaît le génocide et d’ailleurs le président du parti a été interrogé à ce sujet dimanche dernier sur la chaîne de télévision RTL où il a été tout à fait clair. Il a non seulement dit qu’il le reconnaissait mais qu’il fallait sanctionner aussi son négationnisme.

MK : Donc, le MR va plus loin que le PS ?

F. Roelants du Vivier : Oui. Le communiqué du PS est très ambigu. Ce communiqué dit en somme : "je reconnais le génocide arménien. D’ailleurs, c’est quelqu’un de ma formation qui est à l’origine de la résolution de 1998", ce qui est tout à fait vrai. "Mais, poursuit le communiqué, il faut que ce génocide soit reconnu par une instance internationale reconnue sans pour autant être une assemblée législative", soulignant au passage que notre proposition n’est pas acceptable. Je pense que c’est une façon de dire oui et non en même temps. En bref, ils sont d’accord sur le principe mais pas sur le fait de sanctionner ceux qui sont négationnistes en prétextant qu’il faudra pour cela que le génocide soit reconnu par une Cour pénale internationale alors qu’on sait que matériellement c’est impossible. C’est cela que je dénonce mais maintenant il faut que le PS soit cohérent avec lui-même.

MK : Ne pensez-vous pas que c’est tout le poids de son secrétaire d’Etat Emir Kir qui pèse lourdement dans la balance ?

F. Roelants du Vivier : Oui et il représente une certaine force électorale bien entendu. Je pense que ça joue un rôle, c’est tout à fait évident. Maintenant, ce qui est important est de dire à tous les élus belges, mes compatriotes, d’origine turque qu’ils doivent se rappeler que le Sénat de leur pays a reconnu le génocide arménien en 1998. Ils ne sont pas ici comme compatriotes pour défendre les intérêts turcs proposés par l’ambassade de Turquie. Je crains que les élus d’origine turque fassent ressortir le communautarisme, contraire à l’intégration, où chacun ne défendrait que les intérêts de sa patrie d’origine.

MK : Juste par curiosité, votre patrie d’origine n’est quand même pas l’Arménie ?

F. Roelants du Vivier : Ma patrie d’origine n’est pas l’Arménie et je n’ai aucun ascendant dans ma famille qui est arménien. Pour faire un parallèle, on vient de discuter au Parlement bruxellois d’une résolution sur l’antisémitisme. Ce n’est ni une tare ni un bienfait mais je n’ai personne dans ma famille qui est d’origine juive. J’estime simplement que ce sont des combats qu’il faut mener pour la démocratie.

Propos recueillis par Mehmet Koksal


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