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débats sur le négationnisme du génocide arménien

 

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La négation du génocide arménien reste impunie

C’est désormais sold-out qu’affichent chaque semaine les réunions de la commission Justice du Sénat pour les débats sur le génocide arménien. Ce mardi 7 juin 2005, les sénateurs, journalistes, acteurs associatifs et lobbyistes occupent tous les sièges disponibles dans la salle. Tactiquement, aujourd’hui, c’est la victoire du camp opposé à la pénalisation de la négation du génocide arménien. Les sénateurs ont adopté l’amendement déposé par Philippe Mahoux (PS) et consorts (Willems, Pehlivan, Talhaoui, Germeaux, Bouarfa, Lalois) proposant de supprimer les articles 7 et 8 de la loi « vu les difficultés juridiques de droit interne et de droit international ». Philippe Mahoux a ouvertement critiqué les « dérives politiciennes ainsi que la possibilité d’utilisation de ce texte pour des motifs non conformes à l’esprit de la loi. » Le sénateur socialiste préfère un texte « qui ne ferme pas les portes de manière définitive » alors que le texte original ne concerne finalement qu’essentiellement « des problèmes informatiques ».

De son côté, François Roelants du Vivier (MR-FDF) ne tergiverse pas et préfère « appeler un chat, un chat ! Le problème est bien le génocide arménien. Mon groupe et moi-même, nous ne sommes pas attachés à une formulation particulière. Nous avons en réalité 3 conditions : 1. la sécurité de nos concitoyens est mise à mal et une association travaillant sur le terrain relève que certains de nos compatriotes sont agressés par ceux qui nient les 3 génocides en question : génocides juif, arménien et tutsi. 2. dans une société démocratique, il convient de sanctionner toutes les formes de négationnismes. 3. il faut éviter la concurrence entre les victimes ». Le sénateur tente ensuite l’émotion par la lecture d’un texte de Pierre Mertens publié récemment dans le quotidien Le Soir mais l'ambiance générale est plus hostile que romantique.

Pour Ecolo, Marcel Cheron se rallie à l’amendement qui prend le chemin de la loi de 1995 en suggérant une qualification très précise « envers les 3 génocides quasi unanimement reconnus. Il faut oser nommer les choses ». Le sénateur écologiste a raison d’utiliser le « quasi » dans son discours puisqu’il suffit de relire les déclarations des responsables socialistes à ce propos pour se rendre compte des nuances sémantiques.

Très énervée à l’égard des libéraux, Clotilde Nyssens (CDH) déclare que « le droit, M. Roelants du Vivier, ce n’est pas de la technique. On m’attaque en dehors pour dire que je joue un jeu de technique juridique. Mais ce n’est pas la position que je veux jouer dans ce dossier. Le droit, c’est sérieux et ce n’est pas de la technique ! Il n’y a pas de discussion pour savoir s’il a génocide arménien ou pas. Pour nous, c’est un génocide ! Mais quand je me rends sur le terrain, je crois rêver. On ne parle que des aspects partisans. La politisation de ce débat nuit à nos travaux. On parle de ceux qui sont pour les Arméniens, contre les Arméniens, pour le gouvernement ou contre le gouvernement. La presse présente aussi les choses comme cela. Alors, si c’est comme ça, je demanderai quasi la suppression des articles 7 et 8 et je ne discute plus sur ce sujet ! Si on veut laisser une porte pour l’avenir, il faut penser à élargir l’amendement à la juridiction ou à la commission ad hoc de niveau internationale pertinente. J’aimerais vous faire écho d’un texte du recteur de l’Université [ndlr : Bernard Coulie, recteur de l’UCL dans le Vif du 03/06/2005] qui nous dit quoi ? Il dit en somme que d’accord pour nous il y a bien génocide arménien mais on vit aussi dans notre pays avec des communautés turques et qu’il faut en tenir compte.»

Bernard Coulie aurait-il également une vision électoraliste sur la question arménienne ? Clotilde Nyssens caricature en réalité la position du recteur puisque ce dernier écrit très exactement : « (…) Il y a ici une communauté turque très importante et des Arméniens, et nous ne sommes ni de l’une ni des autres. Pourquoi la capitale de l’Europe ne jouerait-elle pas un rôle un peu plus ambitieux, non pas pour donner des leçons à la Turquie, mais pour créer les conditions d’un dialogue constructif entre les Turcs et les Arméniens de Belgique ? »

La parole est au sénateur socialiste flamand Ludwig Vandenhove qui s’exprime en néerlandais et la salle décroche alors les écouteurs pour la traduction simultanée. Privé de casque, Laurent Leylekian (directeur de la Fédération Euro-Arménienne) se tourne alors discrètement vers sa porte-parole Talline Tachdjian pour le signe des gladiateurs (pouce vers le haut ou vers le bas ?) afin de déterminer le camp de l’orateur. Sans pitié, Talline baissera le pouce pour qualifier la prestation du sénateur. Jetez-le aux lions ! Difficile en effet de l’applaudir puisque le sénateur critique les personnes « qui ne lisent pas les lois et les articles mais bien les emails et la presse ». C’est encore la faute à la presse, merci mais on connaissait la chanson…

C’est à ce moment que Christine Defraigne (MR) se sent « consternée » par les propos de « madame Nyssens ». « Effectivement, ce problème est politique au sens large. C’est la réponse qu’il faut apporter à un problème social. Dans le chef de certains, même nés dans notre pays, nier la vérité historique est devenue un argument électoral. On nous a critiqué quand on a voulu inclure l’amendement sur la légitimité des résolutions du Parlement européen alors que cette institution représente 450 millions de citoyens européens. Je trouve que c’est plutôt madame Nyssens qui flatte et excite le communautarisme aujourd’hui ! »

Le président donne la parole à la ministre de la Justice, Laurette Onkelinx (PS). « Ca m’arrive rarement mais je suis en colère », soupire la ministre au plus grand étonnement des observateurs politiques. En effet, que ce soit sur le dossier du culte musulman, le dossier de son ex-mari attaché à son cabinet, le dossier de son nouveau mari avocat abonné permanent des affaires judiciaires étatiques, Laurette Onkelinx n’a jamais été autre chose qu’en colère. Mais finalement, c’est toujours la même tactique : pour descendre l’adversaire politique, il convient d’être en colère… Une question sur l’ingérence dans la gestion d’un culte ? Attention, la ministre est en colère ! Une autre sur la position du secrétaire d’Etat socialiste à propos de ces déclarations négationnistes ? Attention, la ministre est en colère ! Un dernier sur l’élargissement de la loi de 1995 ? Vous n’avez pas compris, elle est en colère ! Heureusement, tout de même, que ça lui arrive rarement.

Sur le même ton prétentieux à l'égard des sénateurs, la ministre continue : « D’abord, je rappelle que ce projet fait suite à un accord au gouvernement entre les 4 partis politiques (PS, SP.A, VLD, MR), c’était un projet très ambitieux. Nous allions être à la pointe du combat contre le négationnisme. Mais pour des raisons pas nobles, certains ont voulu mettre le feu au débat. Sur le terrain, des partis politiques se font traiter de négationnistes, ce qui est évidemment inacceptable. Alors, je propose de dissocier les deux points afin que la commission puisse d’une part se positionner sur la criminalité informatique en mettant de côté la loi de 1995 et d’autre part, sur la loi de 1995, je verrai moi-même l’ensemble des associations pour avoir un débat serein en dehors des périodes électorales. »

Quelle période électorale ? A 16 mois des prochaines élections et 12 mois des précédentes, difficile de comprendre la logique de la vice-première ministre socialiste. En effet, avec des élections communales programmées pour 2006, fédérales pour 2007, régionales et européennes pour 2009, le pays est en période électorale constante. Et puis, pourquoi pas en période électorale ? Vient-elle d'avouer que sa position sur un tel sujet dépendra de l'ethnicité de son électorat schaerbeekois ?

En tout cas, Philippe Mahoux a compris la logique et il lance une attaque en direction du MR en parlant des « injures qui ont fusé de tous les côtés et particulièrement de la part d’un parti politique. C’est inadmissible. On ne joue pas impunément avec des problèmes de cette gravité ! » Il a raison mais dans ce dossier, contrairement aux apparences, c’est bien le PS et le CDH qui s’amusent honteusement à calculer les votes ethniques sur le terrain bruxellois en tentant de banaliser « la gravité, l’immense gravité » (copyright Moureaux à propos de la Shoa) du génocide arménien. En effet, après plusieurs dépôts d’amendements, le MR et Ecolo avaient même fait un pas en arrière en se ralliant à la position de l’association MRAX, pour se contenter de limiter la portée de la loi aux 3 génocides qui posent des problèmes de négationnisme en Belgique aujourd’hui.

Le président de la commission Hugo Vandenberghe (CD&V) ajoute entretemps une importante précision au débat : « Il convient de préciser les faits punissables car une simple énumération ne règle rien. » Mais, c’est la sénatrice socialiste flamande d’origine turque Fatma Pehlivan (SP.A) qui coupera les souffles en demandant la parole : « Je déplore ce qui se passe dans les rues de Bruxelles. C’est uniquement ici à Bruxelles et dans cette commission de justice - et non à Anvers, Gand ou ailleurs - que la discussion est politique. La semaine dernière, je pensais qu’on avait un consensus sur le sujet mais je me rends compte que certains continuent à politiser les débats. Chacun a peut-être raison pour lui-même dans ce débat mais où va-t-on ? Je pourrais moi aussi parler d’autres événements comme le Congo, les événements du 16e et 17e siècle, la population indienne en Amérique,… », menace Fatma Pehlivan en s’interrogeant sur la notion de vérité. Après la séance, elle partira en compagnie des journalistes turcs vers son bureau au Sénat.

Comme c’est visiblement la mode, François Roelants du Vivier (MR-FDF) s’énerve à son tour : « Monsieur le président, madame la ministre a dit qu’elle était en colère. Je voudrais préciser que nous le sommes également. Si nous votons les amendements qui enterrent la pénalisation de la négation du génocide, nous allons continuer à voir des personnalités politiques, tout parti confondu y compris le mien, nier le génocide arménien.»

Marcel Cheron (Ecolo) tentera une ultime tentative d’influencer les débats en parlant des « des faits historiques et des débats d’aujourd’hui entre les différentes communautés qui vivent sur notre territoire » mais aucune chance la décision semble bien concertée. Il est 15h16, l’huissier distribue aux sénateurs l’amendement n°17 de Mahoux et consorts qui sonne en réalité la fin des débats. Dégoûtée, la sénatrice Nathalie de T' Serclaes (MR-MCC) parle à ce moment « d’hypocrisie rare. Le débat est uniquement politique ! L’amendement déposé par Philippe Mahoux ? C’est un enterrement de première classe. Terminé, au revoir, circulez il n’y a plus rien à voir… »

L’amendement est adopté par 12 voix pour et 4 abstentions. Le texte retourne donc à la Chambre pour un nouveau round de lobbying.

Sortie de séance et un débat absolument surréaliste prend place au pas de la porte entre la sénatrice socialiste flamande Fauzaya Talhaoui (SP.A-Spirit) et le président du MRAX Radouane Bouhlal...

Fauzaya Talhaoui : Mais vous êtes qui vous ?!

Radouane Bouhlal : Je suis le président du MRAX et vous me parlez sur un autre ton, s’il vous plaît !

Fauzaya Talhaoui : Ah ! Mais c’est incroyable comment vous avez osé envoyer cette lettre à tous les sénateurs. Vous voulez qu’on pénalise un génocide qui n’est pas reconnu par une juridiction internationale. Le négationnisme, c’est du racisme pour vous ?!

Radouane Bouhlal : C’est même le paroxysme du racisme, madame la sénatrice. Mais, je ne suis pas dans un débat international, je m’intéresse au débat national sur la question. En l’occurrence, tous les partis démocratiques ont une position claire à ce sujet qui est de reconnaître le génocide arménien.

Fauzaya Talhaoui : De quels partis démocratiques vous parlez ?

Radouane Bouhlal : Tous et notamment du vôtre.

Fauzaya Talhaoui : Ah non, le SP.A n’a rien dit sur ce sujet. Quoi vous n’allez tout de même pas m’attaquer en justice en me qualifiant de négationniste ?

Radouane Bouhlal : Précisément non puisque vous venez d’empêcher la loi qui permettrait de punir le négationnisme du génocide arménien. Mais vous m’apprenez que le SP.A ne reconnaît pas le génocide arménien. Par ailleurs, je signale que le Sénat, l’instance où vous siégez vous-même, a voté une résolution reconnaissant ce génocide en 1998.

Fauzaya Talhaoui : Ecoutez, je suis juriste spécialisé en droit international…

Radouane Bouhlal : …et alors ?! Moi je suis juriste spécialisé en droit de l’Homme. Qu’est-ce qu’on fait alors ?

Fauzaya Talhaoui : Ah mais moi je n’étais pas là quand le Sénat a voté cette résolution. Je n’ai pas voté ce texte. J’ai pris la peine de lire ce texte et en tant que juriste en droit international, je ne l’aurais pas voté. Comprenez-moi bien, ce n’est pas à nos juges nationaux de dire : « oui, c’est un génocide » au sujet des Arméniens.

Radouane Bouhlal : Mais toutes les lois adoptées avant votre élection au Sénat sont valables, non ?! Au moins, on sait maintenant que les résolutions pertinentes du Sénat à prendre en considération commencent avec votre mandat. Merci madame la sénatrice. Vous n’avez qu’à déposer une proposition de résolution qui nie le génocide arménien si vous ne reconnaissez celle votée par vos collègues en 1998.

Fin des débats et débuts des controverses… en attendant la suite de ces travaux passionnants.

Mehmet Koksal


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