débats sur le négationnisme du génocide arménien
Pour qu'il puisse faire son deuil, rendons sa mémoire au peuple arménien
Jacques Ravedovitz
Editorial du Mensuel de l'Union des Progressistes Juifs (UPJB) daté de juin 2005
Plusieurs commémorations, ces derniers mois, ont ressorti des ténèbres les quatre génocides sinistrement inscrits dans notre histoire récente pour les remettre dans la lumière de l'actualité.
Je veux parler des génocides des Arméniens, des Juifs, des Tsiganes et des Tutsi.
Ainsi le deuxième "procès Rwanda" s'ouvrait début mai avec deux accusés, Etienne Nzabonimana et Samuel Ndashyikirwa, poursuivis pour assassinats et tentatives d'assassinats dans la région de Kibungo.
Rappelons qu'entre avril et juillet 2004, à l'initiative et sous le couvert des autorités rwandaises de l'époque, il y eut plus d'un million de morts, des milliers de mutilés et, parmi les 300.000 rescapés, un nombre énorme d'orphelins et de veuves.
Ce génocide visait principalement la population Tutsi. Les Hutu, refusant de participer au sinistre plan des génocidaires, étaient eux aussi sauvagement assassinés.
Heureusement, ce génocide est aujourd'hui universellement et judiciairement reconnu comme tel.
Il n'en est pas de même pour le génocide des Arméniens.
Et pourtant
Le 24 avril 1915, à Istanbul, capitale de l'empire ottoman, 600 notables arméniens furent assassinés sur ordre du gouvernement. Ce fut le début du génocide, le premier du vingtième siècle.
Les nationalistes du gouvernement ottoman saisirent ce prétexte pour accomplir leur dessein d'éliminer la totalité des Arméniens. Le ministre de l'Intérieur, Talaat Pacha, ordonna l'assassinat des Arméniens d'Istanbul puis des Arméniens de l'armée. Ce fut ensuite le tour des nombreuses populations arméniennes de l'est du pays.
Voici le texte d'un télégramme du ministre : "Le gouvernement a décidé de détruire tous les Arméniens résidant en Turquie. Il faut mettre fin à leur existence, aussi criminelles que soient les mesures à prendre. Il ne faut tenir compte ni de l'âge, ni du sexe. Les scrupules de conscience n'ont pas leur place ici". S'il ne s'agit pas là d'une preuve de la planification d'un génocide
Les Arméniens furent massacrés sur le champ par l'armée ou réunis en longs convois et déportés vers le sud. Au total périrent pendant l'été 1915 les deux tiers des Arméniens de Turquie, soit environ 1,2 millions de personnes.
L'Arménie, Etat indépendant depuis 1991, attend et exige que l'on reconnaisse ce génocide.
Plusieurs pays et instances internationales ont répondu à cet appel : En France, par exemple, la loi reconnaissant le génocide arménien a été ratifiée par la présidence de la République le 29 janvier 2001.
Au niveau politique international, des résolutions importantes et explicites ont été prises : le 29 août 1985 par la sous-commission des Droits de l'Homme de l'ONU, le 18 juin 1987 et le 28 février 2002 par le Parlement européen et le 24 avril 2001 par le Conseil de l'Europe. Plus récemment, le 15 décembre 2004, le Parlement européen a voté un appel "à exiger des autorités turques la reconnaissance formelle de la réalité historique du génocide des Arméniens en 1915".
Les autorités turques, face à ces pressions de toutes parts, et avec, en perspective, le souci d'entrer dans l'Union Européenne, a abandonné la thèse, indéfendable, selon laquelle il n'y aurait eu aucun Arménien en Anatolie.
Leur discours est désormais axé sur deux thèmes : minimiser le nombre de victimes en le comparant aux pertes turques de l'époque, et surtout insister sur les "activités anti-turques" auxquelles se seraient livrés les Arméniens.
Les autorités turques s'empressent ensuite de comparer le nombre d'Arméniens qui ont péri au cours de la déportation avec celui des pertes turques, dues, elles, à l'état de guerre.
En Belgique, au moment d'écrire ces lignes, des débats sont en cours pour élargir la loi qui réprime la négation du génocide nazi à "l'ensemble des génocides et des crimes contre l'humanité reconnus par le droit international".
Un projet de loi en ce sens a été adopté par la Chambre le 21 avril dernier. Il doit être à présent voté par le Sénat.
Cette initiative parlementaire a provoqué de nombreuses réactions d'hostilité de la part de ceux qui, au sein de la communauté turque de Belgique, participent manifestement du même déni de réalité que les autorités d'Ankara.
Mais plus étonnant, c'est au PS qu'on trouve surtout des gênes ou réticences face à ce projet de loi, et où certains préfèrent parler de massacres que de génocide.
Ainsi, Philippe Moureaux qui, interpellé sur RTL-TVI, disait avoir "toujours un peu peur qu'à vouloir monter tous les grands massacres de l'histoire au même niveau, c'est une manière de descendre la gravité, l'immense gravité de la Shoah".
Elio Di Rupo a voulu rappeler, il est vrai, que le PS "reconnaissait l'existence du génocide arménien".
Mais, même si le Sénat a voté en 1998 une résolution reconnaissant le génocide arménien, sa négation n'est pas punie en Belgique puisque ne pouvant s'appuyer à ce jour sur aucune juridiction internationale habilitée à statuer sur ce génocide.
Les articles du Soir des 17 et 18 mai derniers parlaient de "pressions sur le PS" ou de "bras de fer" évoquant notamment les amendements du MR et d'ECOLO visant à modifier le Code pénal avec l'objectif annoncé de sanctionner en Belgique la négation du génocide arménien.
Plusieurs associations, comme la Ligue des Droits de l'Homme, le MRAX ou encore le collectif VAN (Vigilance Arménienne contre le Négationnisme) vont dans le même sens.
Il va sans dire que nous joignons notre voix à la leur.
Impossible de terminer cet éditorial sans dire un mot au sujet de la machinerie nazie qui avait comme objectif avoué et pleinement assumé d'éliminer les peuples juif et tsigane de la terre.
Philippe Moureaux, dans le petit extrait repris ci-dessus, y parle de la Shoah, évoquant ainsi le génocide des Juifs.
Il est commun, aujourd'hui, pour évoquer ce génocide, d'utiliser les termes Shoah ou Holocauste.
Mais que recouvrent ces deux mots ?.
Shoah est un mot hébreu qui signifie cataclysme ou anéantissement.
"Shoah" est aussi le titre d'un film documentaire de neuf heures trente réalisé en 1985 par Claude Lanzmann. Et c'est d'ailleurs après la diffusion de ce film que le nom Shoah fut de plus en plus utilisé et généralisé, en cohérence ou non avec le choix plus délibéré du réalisateur pour ce terme hébreu.
D'autant plus que certains le préféraient et le préfèrent encore aujourd'hui à Holocauste considéré comme impropre, bien que répandu, car connoté religieusement.
Le terme Holocauste (du grec : "brûlé tout entier") est aussi une traduction du mot hébreu olah qui désigne "ce qui est offert en sacrifice". Conformément à la tradition du judaïsme, c'est donc un terme religieux désignant plus précisément "le sacrifice par le feu d'un animal mâle à la robe unie après immolation". On l'utilisa ensuite, par extension de sens, pour signifier "la forme la plus contraignante d'adoration religieuse". On retrouve dans le dictionnaire Larousse cette idée de sacrifice avec l'exemple repris : "s'offrir en holocauste, c'est-à-dire se sacrifier pour une cause".
C'est à la fin du vingtième siècle que des réalisateurs américains utilisèrent ce terme dans une acception impropre pour faire référence à la tentative d'extermination de groupes de personnes jugées indésirables par le parti nazi, comme les Juifs et les Tziganes.
Alors, Shoah ou Holocauste ?
Et pourquoi pas plutôt Judéocide ?
Voilà en effet un vocable qui évite les écueils de termes repris de l'hébreu ou du religieux sacrificiel et qui a le mérite d'être clair et précis tout en gardant au génocide perpétré par les nazis sa spécificité juive.
Une spécificité qu'il s'agit de préserver des généralisations ou banalisations abusives.
Il en est de même pour la notion de génocide qu'il ne s'agit en aucun cas de galvauder mais qui doit être par contre clairement stigmatisé lorsqu'il s'avère bien réel aux yeux de l'histoire et de la mémoire.