débats sur le négationnisme du génocide arménien
Vers l'Avenir (Namur) lundi 23 mai 2005
Polémique autour du génocide des Arméniens
Les Juifs, les Tutsis et les Arméniens
Pour Maxime Steinberg il y a trois génocides au xxe siècle. Et le massacre en 1915 des Arméniens en est un. Il l'a enseigné en son temps à Emir Kir.
o Qu'est-ce qu'un génocide ? Comment le définir ?
La définition dépend du point de vue juridique ou historique.
L'exemple du cas arménien montre bien qu'on est face à un double
discours. Nonante ans après les faits, aucun tribunal n'a encore
prononcé un jugement de génocide.
Le procès de Nuremberg non plus dans le cas du génocide des
Juifs. Il avait pourtant rassemblé des archives nazies qui auraient
pu aider les juristes à construire une définition du
génocide. Ainsi, le discours du chef des SS, Himmler. Dans ce discours
du 6 octobre 1943, le chef des tueurs parle « d'évacuation,
d'extermination ». Et d'expliquer qu'« il a fallu pren: dre la
grave décision de faire disparaître ce peuple de la terre ».
Une décision qui s'imposait, selon ses dires, dès que s'est
posée la question du sort des femmes et des enfants.
o Quand la notion de génocide a-t-el1e alors été définie ?
La notion de génocide .date juridiquement du 9 décem-bre 1948,
veille de la déclaration universelle des droits de Il'homme. Le
génocide est.alors défini comme un certain nombre d'actes
perpétrés en vue de détruire en tout ou en partie un
groupe ethnique, racial, religieux. Pas politique.
Cette définition est problématique du point de vue de l'histoire.
« Détruire en partie » laisse entendre qu'un crime raciste,
dès l'instant où il ya deux tués, pourrait être
qualifié de génocide. Pour l'historien, cette définition
juridique banalise la notion de génocide.
o L'usage du mot génocide n'est donc pas toujours très clair...
C'est pourquoi j'en ai une lecture très restrictivte. Si on devait
suivre les journalistes et les politologues, même des historiens, le
génocide serait en effet l'événement le plus banal du
XXe siècle. Pour le sens commun, un génocide devient le meurtre
d'un grand nombre de personnes en peu de temps.
Quant à moi, je limite les génocides du XXe siècle à
trois : les Arméniens, les Juifs et les Tutsis. Mais pas les
Tsiganes.
Et pour les Cambodgiens, je suis très sceptique parce que là
tout se passe au sein d'un même peuple qui persécute les siens
au nom d'une idéologie politique.
Un génocide, ce n'est pas non plus une persécution
meurtrière. Dans le ghetto de Varsovie, on enferme 400.000 personnes
dans un espace réduit avec peu de nourriture. 83.000 personnes vont.
mourir en deux ans. C'est considérable.
Pourtant; ce n'est (pas ?) ainsi que les Juifs de Varsovie vont dispaaître
de la terre. On en déporte 300.000 en deux, trois mois à Treblinka
où ils sont as;assinés, convoi après convoi, dès
leur arrivée. Il faut concevoir le génocide comme un asassinat
d'un peuple. C'est le sens propre du terme.
o La persécution des ArmérJiens en 1915 correspond à ces critères et en fait un génocide selon vous ?
Il s'agit là aussi d'un assassinat pur et simple. Chrétiens,
mais surtout indépendantistes, les Arméniens étaient
un obstacle à la réalisation d'une grande Turquie nationaliste.
Donc, on va vider l'Anatolie orientale de sa population arménienne.
On ne sait pas avec certitude combien il y a eu de fusillés. Même
pour les Juifs, on fait encore des calculs aujourd'hui. Mais on sait que
les hommes qui étaient dans l'armée ottomane et qui n'étaient
pas musulmans ont été désarmés et tués.
Puis, on déporté les femmes et les enrants dans le désert.
On les a conduits à la mort.
Un génocide, c'est vraiment un programme d'exterminalion d'un peuple
qu'on décide et qu'on s'empresse d'exécuter. Les Tutsis ont
été massacrés en cent jours. Les Arméniens en
un an. Les Juifs en un an et demi. Leur sort s'est joué en 1941-1942.
Interview:
Catherine ERNENS
Emir Kir fut son élève
o Comment expliquer que les faits qui se sont déroulés en Arménie restent difficiles à qualifier de génocide pour certains, notamment pour la communauté turque en Belgique ?
C'est le problème de l'intégration de la communauté
turque en Belgique. C'est aussi la question de l'entrée de la Turquie
dans l'espace européen.
Emir Kir (secrétaire d'État bruxellois socialiste ayant parlé
d'un « prétendu génocide arménien » ) est
un de mes anciens élèves. Je lui ai enseigné l'histoire.
Je lui ai même donné cours sur le génocide arménien.
Et contrairement à ce qu'il a dit, le prof d'histoire ne l'empêchait
ni de discuter ni d'avoir un autre point de vue.
De mon point de vue, nous sommes ici en présence d'une position
électoraliste.
o Justement, il y a un combat politique belge pour faire reconnaître le génocide arménien...
La politique ne peut se soustraire à la revendication des droits de
l'homme. C'est la seule idéologie qui se soit maintenue et qui opère
aujourd'hui comme une religion civique.
Elle impose de se sentir responsable du sort de chaque être humain,
hier, aujourd'hui et demain. C'est l'enjeu du XXle siècle.
o C'est le devoir de mémoire.
.Le travail de mémoire, pas le devoir. Je n'aime pas qu'on en parle
en termes d'obligations. On se doit de faire le voyage de la mémoire
à Auschwitz mais on oublie que les convois de la mort partaient de
Malines. Chacun est responsable. Le travail de mémoire c'est d'assumer
ce qui s'est passé en prenant ses distances critiques.
Le XXe siècle commence par un génocide, celui des Arméniens,
se termine par un autre, celui des Tutsis. Et entre le deux, c'est comme
si celui des Juifs n'a servi à rien puisqu'il n'a pas empêché
le génocide au Rwanda.
C. Ern.
(i) Maxime Steinberg est docteur en histoire, professeur associé à l'Institut d'études du judaisme à l'ULB où il enseigne les questions d'histoire de l'antisémitisme et du génocide. Spécialiste de l'histoire de la Shoah, il vient de publier aux Éditions Complexe, "La persécution des Juifs en Belgique (1941-1945)".
Le PS ouvre le dialogue
Nier le génocide arménien est-il digne d'une démocratie comme la nôtre ? La réponse est (presque) unanime : non. Depuis plusieurs jours, les parlementaires ferraillent autour d'une proposition destinée à poursuivre en Belgique ceux qui nient ou minimisent les faits historiques. Au même titre que la négation du génocide juif et rwandais qui sont, eux, reconnus par le droit international au contraire du génocide arménien.
C'est sur cette base que le PS expliquait ne pas vouloir entrer dans une telle législation. L'affaire a alors commencé à mousser sérieusement. On s'est surtout focalisé sur le secrétaire d'État bruxellois, Emir Kir. Cet élu socialiste (d'origine turque) a plusieur fois esquivé le terme de génocide. Il n'est pas le seul parmi les élus d'origine turque. Le président du MR, Didier Reynders, avait très vite rappelé ses mandataires turcs à corriger leur attitude de toute urgence. Les élus d'origine turque du MR et du cdH viennent, aux aussi, d'être priés de se taire. Pour que le débat puisse se faire. Le PS a décidé de relâcher sa position délicate et difficile à faire comprendre aux Arméniens, d'abord, et aux démocrates, ensuite. Les socialistes discuteront donc de la proposition du MR et Écolo qui veulent faire amender le texte sur le négationnisme, projet de loi issu de la ministre de la Justice Onkelinx, PS. L'affaire est complexe. Elle doit être discutée mardi à la commission de la Justice au Sénat. Des juristes et historiens apporteront leur expertise. Il s'agit de mettre un terme, sur le sol belge, à l'impunité dont bénéficie encore ce type de négat.ionnisme concernant l'extermination des Arméniens.
VITE DIT
La communauté juive, solidaire de la cause arménienne Le Centre Communautaire Laïc Juif a fait savoir que "la négation du génocide des Arméniens doit être pénalisée en Belgique". "Nous ne pouvons nous montrer insensibles au désarroi, à la colère et à la tristesse qui frappent actuellement la communauté arménienne de Belgique. .
Écolo continue son cornbat. Écolo se réjouit des changements de position intervenus ces derniers jours au sein d'autres formations démocratiques. Outre l'amendement qu'ils ont déjà introduit au Sénat et la proposition de loi qu'ils s'apprêtent à déposer, les sénateurs écolos se montrent prêts à discuter toute formulation juridique qui permette d'atteindre dans les délais impartis par la procédure d'évocation (avant le 8 juillet) leur principal objectif que la négation/justification du génocide arménien puisse être pénalement poursuivie.