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Le 13 décembre 1998 avait lieu une grande première en Europe, l'élection par une communauté musulmane d'une instance représentative destiné à gérer le "temporel du culte", c'est-dire les bâtiments du culte, les ministres du culte, les enseignants de religion, les aumôniers... le tout dans un pays où un certain nombre de cultes, dont l'Islam, sont subsidiés par l'Etat.
Ces élections s'étaient déroulées dans la précipitation, l'idée étant de les organiser avant les élections législatives prévues en 1999. Une fois élue, l'Assemblée constituante avait fait l'objet d'attaques très dures de la part de diverses personnalités politiques et autres sous le prétexte qu'elle abriterait un grand nombre d'"intégristes musulmans", de "fondamentalistes" liés à des réseaux internationaux. Des chiffres avaient d'ailleurs été étalés dans toute la presse, à l'instigation notamment du député libéral Jacques Simonet (voir ma tribune libre de l'époque dans Le Matin).
La désignation de l'Exécutif avait quant à elle duré des mois, le Ministère de la Justice intervenant pesamment dans le processus en refusant certains candidats et en en imposant d'autres sur base de rapports rédigés sur on ne sait quelle base. En fin de compte, ces dernières semaines, l'Exécutif s'est retrouvé dans une situation de blocage interne telle qu'un "vote de confiance" à l'initiative de l'Assemblée constituante ne lui a assuré que 28 voix contre 35. Un nouvel Exécutif a été subséquemment désigné par l'Assemblée, mais le Ministre de la Justice a refusé de le reconnaître, sous prétexte que le mandat du précédent était de cinq ans et que nul n'avait le droit d'abréger celui-ci. (cela n'apparaît en tout cas pas dans l'arrêté royal, voir le texte)
Une journaliste du Vif-L'Express a cru bon d'ajouter à la confusion dans un articulet intitulé ""Putsch" à l'Exécutif des musulmans" (26/01/2001) où elle affirme notamment qu'"une frange activiste, proche des Frères Musulmans et des réseaux islamistes internationaux, avait extorqué aux 16 premiers membres de l'Exécutif, juste avant leur reconnaissance par le ministre de la Justice Tony Van Parys (CVP), la promesse de démissionner au bout de six mois".
Une chose est certaine dans cet imbroglio, la responsabilité du président de l'Exécutif, Noureddine Maloujahmoune, et du petit groupe dont il s'est entouré, est écrasante quant à l'absence totale de politique de communication entre l'Exécutif et le public, notamment via la presse. La manie du secret, l'atmosphère de suspicion, les rumeurs de complots, les manoeuvres en sens divers ont fini par discréditer cette nouvelle institution en rendant possible les spéculations les plus folles dans les milieux politiques et journalistiques. Aucune réaction publique par exemple à l'article précité, c'est un comble !
Avec pour résultat que ce sont des hommes politiques originaires de pays musulmans qui occupent à présent le devant de la scène dans la polémique autour du transport et de l'abattage des moutons pour la "Fête du mouton", et de la collecte des abats (voir plus bas). Le gouvernement est ainsi sommé par le député régional libéral Ouezekhti, pour l'année prochaine, de se concerter avec les "parlementaires bruxellois musulmans" sur ces questions...
Il n'est pas inutile de rappeler à cette occasion que c'était justement sous l'impulsion du gouvernement, sur les conseils de certains "experts", que les mandataires politiques avaient été écartés d'office de l'Assemblée constituante en 1998. Les voilà qui reviennent par la fenêtre... et n'ont-ils pas une certaine légitimité à le faire, dans la mesure où leur mandat à eux ne peut être mis en cause par le ministre de la Justice ni par le gouvernement tout entier ? Ne conviendrait-il pas, en fin de compte, d'élargir carrément l'Assemblée constituante à des élus de confession musulmane afin de lui donner plus de relief, mais aussi plus d'interconnexions avec le monde réel, hors de la mentalité de ghetto qui s'est développée dans cette instance ? Ce d'autant plus qu'un des membres de celle-ci siège désormais sous une étiquette FDF au conseil communal de Saint-Josse, après avoir fait campagne avec des tracts le mentionnant comme membre de... l'"Exécutif des Musulmans" (alors qu'il est seulement membre de l'assemblée, pas de l'exécutif) !
Autre chose: pour le moment, il n'y a qu'un seul membre de l'Exécutif qui est rémunéré à plein temps en tant que tel, le président, fonctionnaire détaché du Ministère des Finances. Les autres doivent assumer leurs fonctions en plus d'une occupation professionnelle. Cela donne un pouvoir trop étendu à un seul homme, qui détient de la sorte un fâcheux monopole sur l'information et court le risque de s'isoler et de devenir ainsi la proie de toutes sortes d'intrigants qui voient des complots partout. Ce serait tout de même la moindre des choses que l'ensemble des membres de l'Exécutif, vu l'ampleur des tâches à accomplir dans les prochaines années, aient la possibilité financière de se consacrer à plein temps à leur tâche, et donc reçoivent des émoluments comparables à, par exemple, ceux des évêques catholiques romains.
Pierre-Yves Lambert 07/02/2001 (e-mail)