Les Français de l'étranger: qui sont-ils, combien sont-ils ?
Pierre-Yves LAMBERT
1) Il y a les descendants plus ou moins lointains
d'émigrés français du XIXème et du XXème
siècles qui se sont assez rapidement assimilés dans leurs pays
d'accueil, principalement aux Etats-Unis et en Amérique hispanophone
ou lusophone. Ceux-là ont généralement perdu toute attache
avec la France, que ce soit sur le plan de la nationalité ou de la
langue. Il resterait actuellement plus de 100.000 ressortissants français
(c'est-à-dire de personnes détentrices de la nationalité
française) au Canada, plus de 200.000 aux Etats-Unis, plus de 70.000
en Australie.
2) Il y a les descendants de Français
métropolitains qui se sont établis dans des territoires qui
faisaient partie à l'époque de la "France d'outre-mer", l'"Empire
français", l'"Union française" ou la "Communauté
française", territoires qui ont entretemps changé de statut
et ont soit été intégrés dans des ensembles
politiques plus vastes (Canada, Etats-Unis, Inde) soit ont accédé
à l'indépendance (principalement en Afrique): les
Franco-Québécois, les Acadiens du Nouveau-Brunswick ou de
Louisiane, mais aussi de nombreux Français d'Afrique, d'Asie (comptoirs
de l'Inde, Indochine) ou du Pacifique (Vanuatu). Les descendants des
Français établis en Amérique du Nord avant la perte
ou la vente du Québec et de la Louisiane ont automatiquement acquis
la nationalité de leurs nouveaux Etats, britannique (puis canadienne)
ou américaine..
Dans tous les cas, il faut néanmoins
préciser que des unions mixtes ont été contractées
au fil du temps, tant avec des "indigènes" (Amérindiens,
Maghrébins, Africains noirs) qu'avec d'autres (descendants d')immigrants.
Les statistiques américaines donnent d'ailleurs des estimations fort
intéressantes à cet égard, en tenant compte des "origines
multiples" (un grand-père français, une grand-mère danoise,
un arrière-grand-père fils d'esclave noir etc. etc.). D'une
manière générale, les descendants de ces émigrés
français sont donc aussi des descendants d'autres groupes ethniques
(au sens strictement culturel du terme, le seul admis en sociologie). Par
ailleurs, des migrations intra-américaines ont eu lieu
ultérieurement, amenant des populations d'origine (au moins partiellement)
française dans des provinces canadiennes autres que le Québec
("métis" du Manitoba), ainsi qu'en Nouvelle-Angleterre (Nord-est des
Etats-Unis) et jusqu'à la côte pacifique (Californie, Colombie
britannique).
Par ailleurs, il est essentiel de se rappeler que
les "Français d'Afrique", tant au Maghreb qu'en "Afrique noire", ne
sont pas tous des descendants de "Français métropolitains".
Il y a notamment de nombreux binationaux, y compris parmi les dirigeants
politiques de certains Etats. La loi Diagne de 1946 avait en effet attribué
à tous les "sujets" ("indigènes") de l'Union française
la citoyenneté pleine et entière (l'application politique de
ce principe constitue un objet de recherches et de débats abordé
dans d'autres articles de "Suffrage Universel"). Certains "indigènes"
l'ont donc conservée après l'indépendance, ou l'ont
réintégrée à l'occasion d'un séjour en
France. En tout, il y avait au début des années 90 au moins
70.000 ressortissants français au Maghreb, et au moins 130.000 dans
le reste de l'Afrique. Pour mémoire, il y avait onze millions de citoyens
français au Maghreb en 1960, plus de 26 millions dans le reste
de l'Afrique, et moins de 45 millions en Métropole.
3) Lors des guerres de religion, et après
la révocation de l'Edit de Nantes, un nombre important de Français
protestants ont pu bénéficier du droit à la liberté
du culte en allant l'exercer hors de la France catholique, romaine et
apostolique... De temps en temps, la presse le rappelle quand un politicien
allemand par exemple accède à une fonction importante et que
ses origines lointaines sont rappelées (ce fut le cas notamment lors
de la brève période démocratique de la RDA avant son
absorption par la RFA), ou quand le Pape, lors d'une visite en France,
évoque la Saint-Barthélémy. Il est intéressant
de noter que la Révolution française vota une loi
rétablissant tous ces réfugiés politico-religieux et
leurs descendants dans la nationalité française pleine et
entière.
L'article 4 de
la loi du 26 juin 1889 (sur la nationalité) précise que: "Les
descendants des familles proscrites, lors de la révocation de l'Edit
de Nantes, continueront à bénéficier des dispositions
de la loi du 15 décembre 1790, mais à la condition d'un
décret spécial pour chaque demandeur. Ce décret ne produira
d'effet que pour l'avenir.".
4) Plus récemment, des Français juifs
ont émigré en Palestine, puis dans l'Etat d'Israël et
dans les territoires occupés. La plupart bénéficient
de la double nationalité, même si certains ont brûlé
leur passeport français dans des manifestations publiques, par exemple
après la dénonciation par les médias français
de la responsabilité israélienne dans les massacres de
réfugiés palestiniens à Sabra et Chatila. Lors des
élections sénatoriales de 1998, Roland Roth, un binational
franco-israëlien avait d'ailleurs annoncé sa candidature à
un siège de sénateur des Français de l'étranger. Il y avait au moins
60.000 ressortissants français en Israël et dans les territoires
occupés (y compris Jérusalem) en 1996.
5) Il faut mentionner enfin un groupe important
(un demi-million environ) de Français qui résident dans des
pays frontaliers. Un nombre important d'entre eux ont conservé la
nationalité française, la plupart cumulant celle-ci avec celle
de leur pays d'accueil. La politique à leur égard est assez
ambiguë, dans la mesure où la Convention de Strasbourg de 1963
(entre plusieurs Etats du Conseil de l'Europe) tente de réduire les
cas de "pluralité de nationalités", ce qui entraîne parfois
des choix douloureux pour les générations nées dans
ces pays mais souhaitant conserver un lien avec leur pays d'origine.
Au total, il y a plus de 900.000 Français
"immatriculés" (ou équivalents), c'est-à-dire ayant
fait enregistrer leur présence par les autorités consulaires
françaises de leur pays de résidence. Plus de 40% sont des
"binationaux". Il est quasiment impossible de dire combien sont les autres
ressortissants français, certaines estimations les évaluaient
à près de 800.000 en 1995, mais il y a peut-être beaucoup
plus de "Français oubliés" (qui ont négligé de
faire renouveller leurs documents d'identité français depuis
parfois très longtemps) ou de "Français potentiels" (nés
d'un parent lui-même né en France par exemple).