Suffrage Universel

Citoyenneté, démocratie, ethnicité et nationalité en France 

Elus français métropolitains d'origine non-européenne: communes et communautés de communes - départements - régions - Assemblée nationale - SénatParlement européen

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Nationalité et citoyenneté dans l'Union Française (1946-1958)

"(...) quand la proportion des indigènes-citoyens augmente: si l'on n'augmente pas leur représentation, il y a disparité de traitement du corps électoral, ce qui blesse l'équité politique; si l'on augmente leur représentation à due concurrence, des citoyens de fraîche date peuvent devenir l'arbitre entre les partis dans la Métropole, déplacer la majorité et bientôt peut-être la constituer à eux seuls. A la limite, le code civil des Français est voté par une majorité de polygames et, pour noircir le tableau, le code pénal, par des fils d'anthropophages. Avant que cette limite soit atteinte, il faut trouver autre chose." (Henri CULMANN, L'Union française, PUF (Que sais-je ?), 1950)
"Le cynisme d'un Aragon lui (Camus) répugne, comme d'ailleurs celui de de Gaulle redoutant devant lui qu'une extension du vote en Algérie n'amène cinquante bougnoules à la Chambre". (Le Monde 09/02/1996)
"bien peu étaient prêts à admettre à l'Assemblée nationale 300 députés noirs et arabo-berbères" (Henri GRIMAL, La décolonisation de 1919 à nos jours, Bruxelles, Editions Complexe, 1996 (nouvelle édition revue et mise à jour), p. 284)
"Edouard Herriot, constatant que les députés d'outre-mer (2ème collège, autochtones) jouaient souvent le rôle d'arbitre à l'intérieur de l'Assemblée nationale, exprimait publiquement la crainte que la France ne fût "colonisée par ses colonies"." (Jacques Julliard, La Quatrième République, Paris, Calmann-Lévy (coll. Pluriel), 1968, p.77n1

extraits de: Henri CULMANN, L'Union française, PUF (Que sais-je ?), 1950
En 1950, le juriste Henri CULMANN (pp. 14-17) a élaboré une typologie de l'organisation de la "coprésence" entre colons et "indigènes" dans les territoires colonisés. Nous n'en retenons ici que trois formules, les autres concernant les concessions (comme à Shanghaï) ou les protectorats (comme en Indochine).
1. "La formule coloniale feint la présence unique et hiérarchise les deux groupements": "(...) au regard de la Métropole, le colon est citoyen, l'indigène est sujet: à la vérité, ni l'un ni l'autre, à la colonie, ne sont rien autres que des administrés, c'est dans la Métropole que la différence se marque, lors des élections et pour l'accès aux places." Dans certains cas, on peut cependant "obliger le gouverneur à prendre (...) l'attache de ses administrés, s'exprimant par la voix de ses représentants. Mais dans ce sens, on avance très prudemment: les représentants ne représentent pas tous les administrés, mais ceux-là seulement qui ont la citoyenneté d'origine ou la médaille militaire; ils ne représentent pas un peuple, mais des intérêts; on ne leur demande pas une décision, mais un avis et non pas politique, mais technique."
2. "La formule de l'assimilation, ou mieux, de l'annexion, est radicale aussi en ce qu'elle feint la présence unique, mais à l'encontre de la formule coloniale, elle ne hiérarchise pas les groupements, elle les confond juridiquement. Elle consiste à dire: la colonie, en tant que territoire, est partie intégrante du territoire métropolitain; les habitants de la colonie - colons ou indigènes - sont citoyens de la Métropole. Par la formule de l'annexion, le fait colonial disparaît; il n'y a plus de colonie, mais une collectivité locale de la Métropole, dont le particularisme, s'il existe, a pour sauvegarde les libertés locales que la Constitution et la loi accordent à tous les groupes élémentaires de citoyens."
3. Il existe cependant une possibilité de compromis, "qu'on appelle la formule d'association": "pour la Métropole, sont citoyens d'outre-mer, mais pleinement citoyens néanmoins, ses nationaux et, parfois, les plus évolués des indigènes; à la colonie, ils forment un groupe de citoyens, constitués en corps électoral dans les mêmes occasions et pour les mêmes fins que n'importe quel groupe de citoyens de la Métropole et les représentants qu'ils élisent composent les pouvoirs publics de la Métropole de la même façon que ses propres élus. Les choses se passent comme si la Métropole avait assimilé à sa propre substance un part de la substance coloniale composée de ses nationaux et de certains indigènes. Mais à la colonie, la formule coloniale subsiste avec les différences de statut personnel, de législation applicable, et, entre le corps électoral et le reste de la population, de droits politiques.
Cette formule (...) a une valeur d'attente certaine. Elle respecte la réalité en ce qu'elle introduit entre les indigènes des différences de statut qui correspondent à des différences d'aptitudes. Elle détourne l'attention du véritable problème colonial - qui est l'organisation convenable de la coprésence ou, ce qui revient au même, un bon gouvernement de la colonie - en la portant sur les problèmes métropolitains.
Quand la colonie s'en aperçoit, cela devient le premier défaut de la formule.
Le second est la difficulté de bien classer les indigènes et la source d'irritation incessante que devient tout classement.
Le troisième apparaît quand la proportion des indigènes-citoyens augmente: si l'on n'augmente pas leur représentation, il y a disparité de traitement du corps électoral, ce qui blesse l'équité politique; si l'on augmente leur représentation à due concurrence, des citoyens de fraîche date peuvent devenir l'arbitre entre les partis dans la Métropole, déplacer la majorité et bientôt peut-être la constituer à eux seuls. A la limite, le code civil des Français est voté par une majorité de polygames et, pour noircir le tableau, le code pénal, par des fils d'anthropophages. Avant que cette limite soit atteinte, il faut trouver autre chose."
La Constitution française du 27 octobre 1946 a appliqué la formule de l'assimilation-annexion aux "départements d'outre-mer qui sont des Territoires d'outre-mer que la Constituante a jugés assez anciennement français et par suite suffisamment marqués du sceau de la Métropole pour qu'en règle générale sa législation leur convienne et que, de ce fait, elle fait entrer dans son sein." Il s'agissait de la Réunion, de la Guyane, de la Martinique et de la Guadeloupe. Quant au "groupe de départements d'Algérie", il s'agissait de "départements différenciés, non encore complètement assimilés, qui (...) ont reçu de la loi du 20 septembre 1947 un statut particulier qui, pour certaines matières, leur réserve des lois propres" (pp. 33-34). En fait, les Martiniquais et les Guadeloupéens étaient français depuis 1636 (date de l'octroi de la première charte par le Cardinal de Richelieu), "en avance de douze ans sur les Alsaciens et de deux cent trente ans sur les Niçois" (p.48).
Comme l'explique CULMANN, la colonisation est d'abord allée de pair avec l'évangélisation. "Ainsi, société indigène et société métropolitaine ont pu se confondre à l'origine dans la chrétienté, parce que l'indigène, en recevant l'évangile, était touché du principe nécessaire et suffisant - et du seul qui fut tel - pour lui conférer toute la dose de dignité dont l'homme était susceptible selon la croyance du temps. Mais dans le cours des siècles qui suivirent, cette confusion ne devait pas subsister. Les deux sociétés s'écartèrent l'une de l'autre pendant un longs temps, et toute l'histoire contemporaine des doctrines coloniales est celle des tentatives qu'elles ont faites pour se rejoindre et se retrouver dans un principe nouveau d'unité humaine." (p.48)
Sous l'Ancien Régime, "l'unification des indigènes et des colons par la commune qualité de sujets du Roi, si elle ne blessait pas le bon sens au début de la conquête parce qu'elle concernait des hommes libres, n'était plus possible après l'introduction généralisée d'esclaves dans le Nouveau Monde: on ne pouvait raisonnablement songer à conférer le statut de sujet à des hommes arrivés à la colonie sous le statut de marchandise." (p.49)
A la suite de l'indépendance des futurs Etats-Unis, des ordonnances furent élaborées dans la France de 1787, qui instituaient des assemblées locales "pour aviser sur les dépenses et les recettes", "cent quarante ans avant que la IIIe République en fit autant pour l'Indochine" (p.50). La Constituante assimila quant à elle les affranchis aux Blancs et la Convention abolit l'esclavage, rétabli par Bonaparte en l'an V, sous la pression de Joséphine de Beauharnais.
"Plus tard, c'est la conquête progressive par les peuples occidentaux des droits politiques qui accentua l'écart; quand bien même on aurait donné à tous les indigènes avec la liberté, le statut de sujet, qu'ils n'auraient pas pour autant rattrapé les Blancs qui entre temps, l'avaient quitté pour celui de citoyen. 1848 marque à cet égard une date cruciale: par l'abolition de l'esclavage, tous les indigènes devenaient libres au moment même où, par le suffrage universel, tous les Français devenaient électeurs: les deux statuts étaient changés, mais l'écart restait le même et du plan moral, où elle reçut à cette date son entière solution, la question du statut des indigènes, devait, pour d'autres progrès, passer sur le plan politique." (p.49)
Le préambule de la Charte des Nations-Unies (26 juin 1945) proclamait clairement "les droits fondamentaux de l'homme, dans la dignité et la valeur de la personne humaine, dans l'égalité des droits des hommes et des femmes". "Mais comme le faisait observer M. René Capitant à la 26e séance de la Commission de la Constitution (5 février 1946) "la garantie des droits de l'homme, c'est le droit au suffrage". Ainsi voit-on la question glisser du plan moral au plan politique et l'homme céder la vedette à la Société." (p.65)
CULMANN note qu'"au nombre des devoirs que la Charte [de San Francisco] impose aux puissances coloniales figure le développement de libres institutions politiques" et "au profit des populations indigènes le bénéfice des droits de l'homme et des libertés fondamentales", quel que soit le statut du pays ou du territoire dont la personne est ressortissante (p.67).
 

BIBLIOGRAPHIE COMPLEMENTAIRE
Jean-Loup Amselle, Vers un multiculturalisme français - L'empire de la coutume, Paris, Aubier, 1996, 179 p.

Damien Deschamps, « Une citoyenneté différée : cens civique et assimilation des indigènes dans les établissements français de l’Inde », in : Revue française de science politique, vol. 47, n°1, février 1997, p. 49-69