Droit de vote des non Belges: assez d'hypocrisie ! (paru dans La Wallonie-Le Peuple, 12/6/1997)

Le Suffrage Universel et les non-Européens: les non-dits du non-débat (paru dans "Politique", juin-juillet 1997)

Participation politique des "étrangers": un débat inachevé (paru dans Avancées, juillet-août 1997)

Autres articles sur le droit de vote en Belgique


DROIT DE VOTE DES NON BELGES: ASSEZ D'HYPOCRISIE !

Pierre-Yves LAMBERT (paru dans La Wallonie-Le Peuple, 12/6/1997)

Le 9 mars dernier, le Premier Ministre Jean-Luc DEHAENE déclarait à l'émission télévisée "De Zevende Dag" qu'"il n'est pas impossible de faire des pas [en avant]" en ce qui concerne le droit de vote des non-Belges, en commençant d'abord par mener un "débat de société" et que "les communes ne peuvent plus refuser des lieux de sépulture islamiques".

Contrecoup de l'émotion suscitée par le dénouement de la disparition de Loubna et la cérémonie publique d'adieu dans la "Grande Mosquée de Bruxelles", ou coup médiatique pour forcer l'ouverture d'un débat de société, en particulier au sein de son propre parti, sur le droit à la participation politique des Marocains de Belgique, au moins sur un pied d'égalité avec les Italiens ou les Finlandais de Belgique, toujours est-il que ces déclarations ont relancé des débats qui avaient souffert de blocages depuis près de trente ans dans la société politique belge. Dans la foulée du Premier Ministre, des élus et des responsables politiques tant de la majorité que de l'opposition, PRL-FDF compris, se sont tout à coup fendus de "nouvelles propositions" et de "petites phrases".

Trois mois plus tard, il faut bien constater que seul le parti de Monsieur DEHAENE, le CVP, a réellement porté en son sein, de la base au sommet, le débat de société sur la non discrimination politique entre "Européens" et "non-Européens", à commencer par la question de la révision de l'article 8 de la Constitution. Et à peine ce débat interne au CVP a-t-il abouti à un compromis que le Parlement fédéral s'apprête à voter, avant les vacances d'été, une révision constitutionnelle qui renverra aux calendes grecques les droits politiques de ces "non Européens"...

Le moins qu'on puisse dire, c'est que les autres partis n'ont pas brillé par leur courage en la matière: faire des déclarations devant les médias, ça ne mange pas de pain, mener démocratiquement, et donc contradictoirement, le débat avec des militants de base toujours soupçonnés par leurs "cadres" de sentiments plus ou moins ouvertement xénophobes, c'est courir un risque auquel aucun parti francophone n'a eu le courage de faire face depuis déjà plusieurs années .

L'exemple de la fédération bruxelloise du Parti socialiste (FBPS) est typique à cet égard. En 1987, ses délégués avaient voté en congrès un document liant clairement l'exercice de la citoyenneté à l'acquisition de la nationalité, sauf en cas de réciprocité entre états membres de la CEE. Il s'agissait à l'époque de donner des gages à "une population belge qui, laissée sans réponse et sans solution aux problèmes de l'immigration, sera inévitablement tentée par le mirage des discours extrémistes dont il faut rappeler le caractère mensonger et irréaliste". Bref, d'éviter des transferts d'électeurs "socialistes" vers la "droite" ou l'extrême-droite, dont les limites étaient plutôt floues à l'époque. Louis MICHEL n'était pas encore président du PRL et Roger NOLS figurait toujours sur les listes de ce parti pour y récolter les voix des électeurs xénophobes...

Dix ans plus tard, dans un contexte médiatique favorable, la FBPS s'est déclarée partisane de ce même droit de vote et d'éligibilité aux communales pour tous les non-Belges, y compris donc les ressortissants d'états non membres de l'Union européenne. "Parce que nos candidats d'origine maghrébine ont fait d'excellents résultats aux communales et aux régionales"... Mais ce changement de position, d'abord annoncé par le président et le secrétaire politique, ensuite confirmé par un vote quasi unanime en congrès fédéral le 1er mai dernier, n'a apparemment pas fait l'objet de débats dans plusieurs sections locales, où les délégués au congrès ont eu à faire face, dès la semaine suivante, à des réactions parfois très hostiles de la part d'affiliés de base.

Au PSC, une "consultation interne" n'a visé que les cadres du parti, dont moins d'un quart se sont donné la peine de renvoyer un formulaire alambiqué, où le choix était quelque peu forcé, notamment par rapport à l'exigence d'inscription volontaire des électeurs non-européens trente mois avant les élections. Il est assez significatif que seule une parlementaire de ce parti ait soutenu, avant les événements de mars 1997, la pétition du Comité National pour le Suffrage Universel qui affirmait le refus de discriminations entre "Européens" et "non Européens" à l'occasion de toute extension du suffrage universel. Quant aux autres ténors de la "gauche chrétienne", ils ne se sont ouvertement exprimés en défiance par rapport à la "consultation interne" qu'après la publication des résultats (négatifs) de celle-ci dans la presse.

Au PRL-FDF, l'ouverture du président Louis MICHEL n'a cessé d'être tempérée par la suite par ses lieutenants SIMONET et REYNDERS bien que des voix s'élèvent, en Wallonie du moins, en faveur d'un renouement avec la tradition de soutien au suffrage universel des libéraux belges. A Bruxelles, seuls quelques trop rares élus du FDF, pourtant toujours prompt à dénoncer les atteintes à la démocratie dans la périphérie bruxelloise, se sont risqués dans cette voie.

Même le programme Ecolo de 1981, stipulant que "à moyen terme, il s'agit de rendre identiques tous les droits politiques et les devoirs des citoyens belges et étrangers domiciliés en Belgique", s'est rapidement réduit au fil des ans au seul niveau électoral communal, puis s'est à nouveau élargi en novembre 1996 au niveau de l'élection du Parlement européen malgré l'opposition politique, puis procédurière, du sénateur wallon José DARAS et du député européen Paul LANNOYE, finalement défaits par un vote massif des délégués au Conseil de fédération d'Ecolo. (1)

D'un autre côté, une coalition contre nature entre un élu écologiste d'origine marocaine, un vieux militant laïco-socialiste d'origine luxembourgeoise (comme il aime à le répéter) et un islamiste d'origine... belge s'efforce depuis plus d'un an de convaincre les autorités de ce pays d'organiser des élections pour une instance chargée de gérer le culte musulman. Pour eux, cette problématique devrait être résolue en priorité, avant donc celle des droits politiques communaux dont dépendent pourtant, qu'on le veuille ou non, la création de carrés musulmans dans les cimetières... communaux, comme l'a récemment rappelé Francis DELPEREE. Mais cette "représentation des Musulmans", dans l'esprit de certains de ses plus chauds partisans, aura plutôt à coeur de revendiquer la création de cimetières musulmans privés, première étape d'une autonomisation de la communauté musulmane de Belgique sur le modèle des Chrétiens et des Juifs dans les pays musulmans.

Grâce aux efforts de cette coalition, qui peut compter sur le soutien des autorités marocaines, les Musulmans non belges pourront peut-être bientôt élire des "gestionnaires du culte", mais resteront exclus de l'élection des conseillers dans les communes où ils résident. Beau résultat d'un manque flagrant de sens des priorités politiques. Résultat satisfaisant aussi pour le régime de Rabat, qui a toujours craint comme la peste que ses "sujets" résidant à l'étranger soient contaminés par le virus politique dans un environnement où les élections ne peuvent être manipulées ou truquées, du moins pas dans la même mesure qu'au Maroc...

A force d'esquiver le débat sur le type de société multiculturelle et pluriethnique qu'on souhaite pour la Belgique, il faut bien constater que certains en profitent pour nous amener lentement mais sûrement à une situation où les interlocuteurs des autorités de Ce Pays parmi les minorités ethniques "non européennes" seront d'un côté des instances représentant la communauté musulmane pour tout ce qui concerne la religion au sens large, d'un autre, pour tout ce qui concerne l'ordre public au sens large, les représentations diplomatiques (et leurs milices) qui continueront indéfiniment à s'exprimer au nom de "leurs" compatriotes, même de la minorité d'entre eux qui sont juridiquement belges. Pour les Turcs, les deux sont d'ailleurs déjà confondus puisque le seul interlocuteur turc des autorités belges en matière d'Islam est un organe dépendant du gouvernement turc, la Fondation religieuse turque, le MIT (Sûreté turque) et ses acolytes "associatifs" (Loups Gris et mafias) se chargeant du "maintien de l'ordre" pour le compte de ses associés belges. Une situation qui n'est pas sans rappeler le vieux principe colonial britannique de l'"indirect rule", ou le système des "Bureaux arabes" en Algérie française (1)...


(1) lire à ce propos Jean-Loup AMSELLE, Vers un multiculturalisme français. L'empire de la coutume, Paris, Aubier, 1996, qui décèle des parallèles frappants entre les expériences coloniales françaises en Egypte, en Algérie et au Sénégal, et la gestion de la société multiculturelle française actuelle

(1) ce paragraphe a suscité l'ire de la direction d'Ecolo, et en fin de compte a été le premier pas vers mon départ d'Ecolo six mois plus tard: voir Lettre de démission d'Ecolo  (retour à l'article)


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LE SUFFRAGE UNIVERSEL ET LES NON-EUROPEENS:
LES NON-DITS DU NON-DEBAT

Pierre-Yves LAMBERT (paru dans "Politique", juin-juillet 1997)

Une "petite phrase" de Jean-Luc DEHAENE le 9 mars dernier a suffi à réveiller le débat somnolent sur le "droit de vote des immigrés" dans la sphère politico-médiatique de Ce Pays. Au-delà des "petites phrases" et autres "coups médiatiques", il faut bien constater néanmoins que seul le CVP a jusqu'ici concrétisé ses promesses de porter le débat jusqu'aux militants de base, par ailleurs sollicités par le Vlaams Blok qui a jugé utile de débloquer pas moins de dix millions de francs pour une campagne contre le péril apparemment crédible à ses yeux d'une issue favorable audit droit. Les autres partis, tant néerlandophones  (à l'exception d'Agalev, seul parti, mise à part l'extrême droite, à avoir toujours défendu des positions claires à l'égard de tous les droits politiques de tous les non-Belges) que francophones, se sont contentés de demander l'avis de leurs "cadres" ou de "délégués" nullement mandatés par une quelconque base pour prendre des décisions sur ce sujet.

La question qui se pose donc, c'est de plus en plus "de quoi ont-ils peur" ?

La peur du "peuple belge"

Peur des militants de base de certains partis, traditionnels ou pas, qui seraient globalement, ou au moins partiellement, convertis aux idées d'exclusion et de xénophobie, ou tellement attachés au concept de "nation belge" que seul le Traité de Maastricht pourrait leur faire admettre une brèche dans le lien entre nationalité et citoyenneté, à condition qu'elle soit exclusivement réservée à des "Européens" ? Dans ce cas, on se demande tout de même avec l'appui de quelle base les parlementaires ont-ils pu voter d'une part la confirmation et l'extension des lois réprimant le racisme, l'antisémitisme et la xénophobie, d'autre part les réformes menant au fédéralisme.

Pourquoi donc, au-delà d'un discours public anti-extrême-droite, les politiciens ne semblent-ils pas toujours oser affronter des débats internes avec leur base sur le droit de vote ou d'autres revendications de non-discrimination sur base de la nationalité. Serait-ce parce qu'en "privé", ils n'oseraient pas toujours réagir quand un militant de base, un client ou un électeur potentiel parle de "bougnoules", de "macaques", voire de "réouvrir Breendonck pour y mettre les délinquants étrangers, avant de les expulser" ? La question est posée, aux intéressés d'y répondre en toute franchise...

L'extrême-droite a recueilli beaucoup de voix depuis 1991, on n'a pas cessé d'en parler depuis lors, surtout en Flandre. Mais beaucoup, en "Communauté française", ont la mémoire courte et oublient que parmi les zélés collaborateurs du Front Nouveau de Marguerite BASTIEN figurent plusieurs anciens élus ou militants du PRL et du PSC. Que Roger NOLS a été FDF, puis PRL avant d'adhérer au FN, puis au "FN-bis". Que certains de ses anciens amis et admirateurs se retrouvent un peu partout, y compris au PS. Que Guy LALOT, ancien collaborateur de Philippe MOUREAUX et rival schaerbeekois de NOLS, y compris dans la surenchère xénophobe et sécuritaire, n'a été jeté par le PS que parce que ses tracas judiciaires commençaient à devenir gênants. Et l'UDRT Robert HENDRICKX n'a-t-il pas un jour côtoyé Jean-Louis THYS et Georges-Henri BEAUTHIER sur une même liste bruxelloise social-chrétienne ? La base des sections locales qui ont soutenu tous ces gens, ou qui ont approuvé ces alliances, où est-elle passée ? Aurait-elle massivement quitté le parti et rejoint l'une ou l'autre version du FN ? Ne serait-elle pas plutôt toujours là, par exemple parce que le Parti est encore au pouvoir, à la commune ou à la région, et que ça peut toujours servir un jour d'en rester membre, pour aider le fiston à décrocher un logement social ou un job par exemple ?

La peur des futurs électeurs

Un leader turc d'Allemagne a très justement déclaré à propos des perspectives de partis ou de listes ethniques d'"immigrés" que "si les enfants issus de la troisième génération continuent d'être considérés comme des étrangers et ensuite rejetés (...), il ne faudra pas s'étonner que certains individus décident de se raccrocher à leur minorité ethnique" (interview parue dans l'hebdomadaire turc Cumhuriyet Hafta du 3/11/1995, traduction dans l'excellente revue Espace Orient n°7, décembre 1995). Il y a vingt ans, un membre du conseil consultatif des immigrés de Liège tenait déjà un discours similaire en déclarant que "la volonté d'une liste d'immigrés aux communales existe car aucun parti belge, et je le souligne aucun, n'a jusqu'à maintenant pris en main les problèmes des immigrés dont ils ne se sont d'ailleurs pas rendus compte" (Silvana PANCIERA, Immigration, force sociale, mouvement politique. Les conseils communaux consultatifs des immigrés en Belgique, Paris, thèse pour le doctorat du 3ème cycle, 1978, tome III. note 77 p.597). Il ajoutait néanmoins aussitôt être "sceptique quant à sa possibilité de réussite", ce qu'ont confirmé les expériences de ce type aux Pays-Bas, en France ou au Royaume-Uni.

La question devrait en fait être posée en ces termes: quelle place, quel accueil sont réservés aux personnes "non-autochtones", juridiquement belges ou non, au sein des partis politiques belges, au-delà de quelques situations exceptionnelles ? Dans des communes où vingt, quarante, voire soixante pourcents des habitants sont de nationalité ou d'origine étrangère, quelle proportion représentent-ils au sein des sections locales des partis ? Ce débat avait été abordé début 1991 lors d'un congrès du Parti socialiste sur le militantisme, suite à une campagne interne de la Fédération Bruxelloise des Jeunes Socialistes demandant l'ouverture du parti aux progressistes issus de l'immigration, notamment aux militants syndicaux et mutualistes. Ne serait-il pas temps de se reposer la question, et pas seulement au PS, et de faire un bilan des expériences des apprentis-sorciers qui ont précipitamment "coloré" leurs listes aux communales de 1994 et aux régionales de 1995, , au lieu de préparer les uns et les autres à une cohabitation franche et positive, et à l'exercice d'éventuels mandats électifs, comme cela s'était fait aux Pays-Bas dans la perspective des communales "étrangers admis" de 1986 (cf. le manuel diffusé à l'époque par les socialistes néerlandais dans leurs sections "Toegangelijker maken van de PvdA voor migranten" [rendre le PvdA plus ouvert aux immigrés"] ) ?

Au-delà de la revendication des droits politiques égaux, au moins entre les "Européens" et les "autres", le débat de société reste largement à mener, sans faux-semblants, sans non-dits, bref sans hypocrisie. En faire l'économie aujourd'hui reviendrait à construire la société plurielle de demain sur des sables mouvants.


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PARTICIPATION POLITIQUE DES "ETRANGERS": UN DEBAT INACHEVE

Pierre-Yves LAMBERT (paru dans Avancées, juillet-août 1997)

Au lendemain de la cérémonie d'adieu à Loubna, le Premier Ministre Jean-Luc DEHAENE déclarait qu'"il n'est pas impossible de faire des pas [en avant]" en ce qui concerne le droit de vote des non-Belges, en commençant d'abord par mener un "débat de société" .

Diverses déclarations ont été faites entretemps par d'autres éminentes personnalités politiques, dont Louis MICHEL pour qui "tant d'un point de vue intellectuel qu'humain, il (...) paraît difficile de défendre la thèse de l'octroi d'un droit de vote pour les étrangers de l'Union européenne pour les élections communales tout en refusant ce même droit aux étrangers hors Union européenne" .

Trois mois plus tard, sous la menace de voir la Belgique traînée devant la Cour de Justice européenne pour non respect de la directive sur le droit de vote et d'éligibilité des ressortissants de l'Union Européenne aux communales , la commission de révision de la Constitution a, sous l'impulsion du CVP et du PRL, proposé un compromis inégalitaire: pour les "Européens", la future loi électorale ne devrait être votée qu'à la majorité simple, pour les "non Européens", à la majorité des deux tiers. Retour à la case départ...

Au-delà des polémiques sur l'attitude des différents partis politiques quant aux droits politiques et à la représentation des personnes de nationalité ou d'origine étrangère , une réflexion commence à émerger sur la participation et l'implication de ces personnes dans les structures existantes, que ce soient les partis politiques ou les associations comme le MRAX. Le débat sur la place des personnes d'origine étrangère dans les structures politiques belges reste largement à mener, mais la plupart des partis politiques, à l'exception notable du CVP, semblent réticents, craignant probablement des débordements de leurs bases dès lors qu'elles pourraient s'exprimer sans contraintes .

Ce débat doit néanmoins être également mené parmi les personnes concernées elles-mêmes, si celles-ci ne veulent pas rester indéfiniment des objets de manipulations électoralistes, que ce soit en direction de l'électorat xénophobe ou insécurisé, ou de l'électorat croissant des Belges d'origine étrangère. Il s'agit de devenir acteur de son destin et de ne pas craindre de s'affirmer en tant que tel, à contre-courant d'une certaine vulgate "intégrationniste" qui voudrait reléguer les différences ethniques dans l'espace privé au nom de principes prétendument hérités de la République française (lire à ce propos Jean-Loup AMSELLE, Vers un multiculturalisme français. L'empire de la coutume, Paris, Aubier, 1996, qui remet en cause certains clichés, au regard de trois expériences coloniales et de la situation actuelle en France) .

En 1996 a été mis sur pied en Flandre, puis à Bruxelles, un Comité National pour le Suffrage Universel animé exclusivement par des personnes d'origine étrangère militant dans diverses associations et partis politiques (à l'exception du PTB). Face à des "immigrés flamands" bien organisés et disposant du soutien tant de leurs fédérations que d'Agalev, les "immigrés francophones" ont dû rapidement constater que leurs soutiens émanaient quasi exclusivement d'individus, principalement militants, élus ou anciens candidats des partis démocratiques. Peu d'associations "immigrées" francophones se sont manifestées sur ce thème, mis à part à l'occasion des shows médiatiques improvisés suite aux déclarations de DEHAENE.

Par contre, une centaine de candidats d'origine étrangère ont été présentés par ces mêmes associations pour la (re)mise sur pied d'une une "commission mixte" de concertation entre la Commission communautaire française et les personnes issues de l'immigration. Résultat édifiant, à contre-courant de la fameuse "nouvelle culture politique": sur les 105 candidats, celles et ceux qui ont été retenus appartiennent étrangement pour la quasi totalité d'entre eux à l'un ou l'autre des partis représentés dans cette assemblée bruxelloise, le Front National excepté (ça sera pour la prochaine fois).

En Flandre, le gouvernement a récemment invité les dix fédérations d'associations immigrées reconnues (par décret) à se rassembler au sein d'une structure-coupole qui aura un statut d'interlocuteur privilégié des ministères compétents. Pour le moment, il y a deux fédérations marocaines, trois turques, une musulmane (ex-association des profs de religion islamique), une italienne (ACLI), une africaine, une latino-américaine et une "internationale" (émanation de la CSC limbourgeoise). Des structures équivalentes doivent être mises en place en Wallonie au niveau des centres régionaux d'intégration prévus par le décret adopté l'an dernier, mais les associations restent très dispersées et trop souvent engagées dans des stratégies de concurrence acharnée, ce qui rend difficile la tâche des "sélectionneurs".

D'autre part, le Ministre de la Justice et l'Exécutif (provisoire) des Musulmans de Belgique, reconnu au terme de longues et discrètes négociations par un arrêté royal de juillet 1996, semblent s'acheminer vers l'organisation, dont les modalités restent à déterminer, d'élections pour désigner "définitivement" une structure représentative chargée de gérer le temporel du culte islamique en Belgique.

Ces conseils consultatifs ou confessionnels ne pourront néanmoins pas occulter l'absence de participation politique réelle des personnes d'origine étrangère, ce alors même qu'elles se désintéressent de plus en plus des élections organisées par leurs représentations diplomatiques . De moins en moins citoyens d'un lointain pays d'origine, pas encore citoyens du pays où ils vivent, ceux des "immigrés" qui n'ont pas choisi de "devenir belges" sont donc condamnés à vivre dans une sorte de no man's land civique, surtout pour les "non Européens", "plus étrangers" que les autres. Certains politiciens prétendent dédramatiser cette situation en prédisant que dans vingt, trente ans, le problème aura été résolu pour les nouvelles générations nées en Belgique. Aux Etats-Unis, les Noirs se sont vus reconnaître il y a quarante ans une citoyenneté à part entière, sur le plan juridique du moins, dans tous les états. Mais ce passé de discrimination politique reste encore dans toutes les mémoires, y compris dans les nouvelles générations. Par son manque de courage aujourd'hui, la classe politique belge ouvre peut-être la voie à l'émergence d'un Louis FARRAKHAN belge d'origine marocaine ou turque dans vingt, trente ou quarante ans...


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