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La sale affaire de Boviolles

Manifestation antiraciste à Boviolles (Meuse) - 500 manifestants pour 100 habitants, CAFAR Ras l'front Nancy s l'front Nancy

Manifestation antiraciste à Boviolles (Meuse)
500 manifestants pour 100 habitants

Le 11 mars : Youcef Hamami, maire sortant de Boviolles, recueille le plus grand nombre de voix sur son nom. Avec ses amis conseillers municipaux qui sont " repartis " avec lui, il est assuré de présider à nouveau aux destinées de la commune. En milieu de semaine, un habitant du village se présente chez Youcef Hamami. Son épouse est seule à la maison. Le visiteur se transforme en agresseur. Menaces, propos orduriers. La fille du couple, dix ans, témoin de la scène, est choquée. Youcef Hamami décide de démissionner pour ne pas envenimer la situation.

L'agresseur n'est pas un inconnu. Habitant du village, il avait toujours tisonné le feu d'une opposition minoritaire, larvée, mais opiniâtre. Devant la perspective d'un deuxième mandat confié à cette équipe ouvertement de gauche, quand le village votait à droite jusqu'en 1995, constituée en partie de nouveaux arrivés (depuis 1983, en ce qui concerne Youcef Hamami), menée par un homme qui porte un nom arabe, le seul agriculteur de la commune a voulu passer à l'action.

Son acte n'est pas isolé. Pendant six ans, sur neuf conseillers municipaux, les trois " opposants " avaient décidé de ne plus assister aux réunions du conseil, sans pour autant remettre leur démission. Ils ont systématiquement refusé le débat démocratique. La veille de l'agression, Youcef Hamami était allé jusqu'à leur proposer le poste de premier adjoint dans le nouveau conseil municipal, pour tenter de réintégrer, sans qu'ils ne renient rien de leurs points de vue, ces opposants dans le jeu démocratique.
Leur réponse a été à la hauteur de ce qui se disait dans la contrée après l'élection de 1995 : " Qu'est-ce qui leur prend à Boviolles, de mettre un Arabe à la tête de la commune ?


Christian LOMBARD, L'élu éconduit de Boviolles, Infodujour.com (Vandoeuvre, France), 25 Mars 2001

L'élu éconduit de Boviolles

La population de Boviolles était multipliée par cinq cet après-midi du dimanche 25 mars. Sous une pluie incessante, venus des quatre coins du département, les Meusiens sont venus dire leur solidarité à Youcef Hamami. Celui qui fut maire de son village pendant six ans avait été réélu le 11 mars. Quatre jours après, il a démissionné, suivi par les autres élus. Récit.

Motif  de la démission : ce jour là, alors que le village s'est vidé de ses actifs partis travailler dans les villes plus ou moins proches, un de ses administrés fait irruption au domicile de Youcef Hamami et profère de graves menaces à l'encontre de son épouse, en présence de sa fille âgée de dix ans. Quelque chose vient de se briser à Boviolles, village d'une centaine d'âmes. Youcef Hamami préfère calmer le jeu en démissionnant.

"Je me suis installé à Boviolles en 1983. explique Youcef Hamami. En épousant une fille du village, j'ai épousé le village, où nous avons commencé à retaper la maison de l'arrière-grand'mère. Rapidement, il y a eu ceux qui me disaient bonjour et ceux qui s'y refusaient. Puis j'ai été un animateur du Comité des fêtes. La vie d'un village vaut qu'on s'y investisse, de mille façons. Ainsi ai-je été amené à me présenter aux élections municipales de 1995, moi, homme de gauche affiché, dans une commune votant plutôt à droite. Avec mes amis, nous avions un vrai projet, nous l'avons emporté."

"Qu'est-ce que vous avez foutu à Boviolles, de mettre un Arabe à la tête de la commune  ? Cette première réaction venue des villages environnants a conforté une opposition larvée, mais vigilante, qui guettait mes moindres démarches et m'a d'ailleurs obligé à faire un apprentissage accéléré. Pas de droit à l'erreur. Je dirais même qu'il faut se montrer le meilleur, puisqu'on est nouveau, et surtout puisqu'on a déjà, aux yeux de certains, le handicap d'être d'origine étrangère."

Refus du débat démocratique

"Pendant six ans , pression constante. Sur neuf conseillers, trois désertent rapidement les séances du conseil municipal, mais sans jamais démissionner. Ils refusent seulement le débat démocratique. Ainsi, après notre succès du 11 mars, entre les deux tours, j'avais tenté une démarche. J'avais proposé le poste de premier adjoint à nos adversaires, de façon à les associer activement à la gestion de la commune, même si, comme tout le monde le prévoyait, le 18 mars confirmait notre succès. La réponse a été l'agression contre ma femme."

"Après notre démission collective, les seuls candidats à participer au deuxième tour étaient nos adversaires. Ils ont obtenu trois nouveaux élus et, à cinq, ont désigné le nouveau maire. J'ai décidé de prendre du recul et d'être un plus présent auprès de mes enfants de dix et quinze ans. Mais ce qui m'est, nous est arrivé est à rapprocher de nombreux petits faits observables un peu partout dans la dernière campagne électorale. On a souvent manié la calomnie, l'attaque personnelle, sur la vie privée. Alors que selon moi, les compétences des élus se jugent sur les actes et la méthode de travail."

"Cette réflexion en appelle une autre, à propos de la citoyenneté, commente Youcef Hamami. Il est extrêmement difficile de susciter une citoyenneté active. Vous organisez des réunions publiques où l'on débat de l'avenir de la commune, mais les gens ne se déplacent pas forcément. Même s'ils sont d'accord avec vous. Même s'ils vous réélisent."

25 Mars 2001 Christian LOMBARD

Bernard DELEMOTTE, Boviolles ou de la difficulté d'un Arabe d'être maire, La Lettre de la Citoyenneté n°53, septembre-octobre 2001

BOVIOLLES OU DE LA DIFFICULTE POUR UN ARABE D'ETRE MAIRE

Ce qui s'est passé lors des dernières élections municipales de mars 2001 à Boviolles, petit village d'une centaine d'habitants près de Bar-le-Duc dans le département de la Meuse, a été largement commenté dans la presse régionale mais cette lamentable histoire est passée presque inaperçue au niveau national.

Maire en 1995

Youcef Hamami, éducateur spécialisé, né à Oran en Algérie, se marie à une jeune femme native de Boviolles et s'installe dans cette commune en 1982. En 1983, Madame Hamami devient la secrétaire de mairie du village.

En 1995, pour la première fois, Youcef Hamami se présente aux élections municipales. Il explique : "des gens m'ont soutenu dans ma démarche, d'autres ont fait campagne contre moi, bref, le jeu normal de la démocratie. Mais la campagne a dégénéré, mes partisans et moi avons été l'objet de multiples pressions. Certains redoutaient ouvertement que " le village ne passe aux mains des bougnoules" ; aux natifs du pays qui m'encourageaient, d'autres ont demandé si on devait désormais les appeler "Abdel"... Socialiste et d'origine arabe dans un milieu conservateur, je crois que je cumulais les tares."Youcef Hamami est élu avec cinq membres de son équipe. Les ennuis continuent : "On t'aimait bien avant, tant que tu ne t'occupais pas de nos affaires".

Réélu au premier tour en 2001

Youcef Hamami est élu maire et gère pendant six ans avec une équipe municipale restreinte sa commune. Malgré le harcèlement d'un noyau dur d'habitants n'ayant jamais admis son élection, le maire mène à bien ses projets en concertation avec tous et sans léser personne. Il a droit à plusieurs reprises aux honneurs de la presse régionale et des autorités départementales.

Les hostilités reprennent de plus belle au moment de la campagne électorale de 2001. Youcef Hamami est réélu, en tête de l'ensemble des candidats, avec trois de ses colistiers, preuve s'il en était besoin que son mandat de maire avait été apprécié par une majorité des habitants. Deux candidats de " l'opposition " sont également élus. Il reste trois postes à pourvoir.

Agression et démission

Entre les deux tours, pour une question d'ordre sur la liste des candidats, devant des témoins et sa petite fille en larmes, Madame Hamami est violemment prise à partie à son domicile par un supporter du "clan" adverse.

Pour le maire sortant, "la ligne jaune a été franchie"... "Cet homme a abreuvé d'injures ce que j'ai de plus cher au monde. J'ai découvert la lâcheté. D'ailleurs j'ai porté plainte. Mais entre l'intérêt général et la protection de ma famille, j'ai tout de suite choisi et c'est irrévocable."

Youcef Hamami démissionne de son mandat et avec lui ses trois "coéquipiers" élus au premier tour. Ses partisans candidats au second tour se retirent aussi, laissant aux adversaires les trois postes éligibles le 18 mars. Youcef Hamami assure ses fonctions jusqu'à l'élection d'un nouveau maire.

Manifestation silencieuse

Le dimanche suivant, 25 mars, près d'un millier de personnes, malgré la pluie, parcourent silencieusement l'unique rue du village derrière Youcef Hamami et signent un registre de soutien. Le député de la circonscription et six conseillers généraux de partis politiques différents sont présents. Des pancartes contiennent des mots d'encouragement "Youcef, nous sommes fiers de toi .." "Intégration. Ne te décourage pas, la génération à venir a besoin de toi"... Personnalités et associations expriment aussi leur soutien dans la presse.

Cette mobilisation contre la bêtise humaine a mis du baume au coeur de l'ancien maire, mais ne l'a pas fait changer d'avis. Les quatre conseillers démissionnaires ont été remplacés par des adversaires lors d'un " troisième tour ". Le nouveau maire, notable arrivé dans le village la même année que M. Hamami, et sa municipalité font régner un climat pesant de règlement de comptes dans le village.

Philosophe, Youcef Hamami se dit que les femmes ont aussi des difficultés à devenir maires et que les vieilles querelles de familles ont encore beaucoup de poids dans les petites communes. Il se rappelle aussi ce que disait son père à lui-même et à ses frères et soeurs durant leur enfance "même avec la nationalité française, vous serez toujours un peu derrière les autres sur la ligne de départ. Pour remonter le retard, il vous faudra toujours fournir plus d'efforts."

Bernard DELEMOTTE