Pierre-Yves Lambert, La participation politique des allochtones en Belgique - Historique et situation bruxelloise, Louvain-la-Neuve, Academia-Bruylant (coll. Sybidi Papers), juin 1999,  122p., ISBN 2-87209-555-1
avertissement: cette version en ligne ne correspond pas exactement à l'ouvrage publié en 1999, qui reste disponible chez l'éditeur Academia-Bruylant, de même que d'autres dans l'excellente collection Sybidi Papers, elle ne peut donc être utilisée pour les citations 

Sommaire -  Introduction -Chapitre I - Chapitre II - Chapitre III - Chapitre IV - Chapitre V -  Conclusions - Sources

(ce texte ne figurait évidemment pas dans l'ouvrage de 1999)

Les personnes d'origine étrangère dans les assemblées politiques belges

Pierre-Yves LAMBERT

[article paru dans Migrations-Société (Paris), Vol. 13, n°77, septembre-octobre 2001, pp. 31-40]

De par son histoire relativement récente en tant qu'Etat indépendant, la Belgique a connu dès sa naissance des élus d'origine étrangère puisqu'il n'existait pas de "nationalité belge" avant 1830. Tous les membres du Congrès, l'assemblée qui proclama l'indépendance, et des premiers parlements élus avaient par conséquent une nationalité "étrangère" à leur naissance, autrichienne, française ou néerlandaise. Les premiers ouvrages de droit électoral belge consacraient des chapitres entiers à tous ces Belges ou Belges potentiels (dans les territoires "belges" réannexés par les Pays-Bas en 1839), ainsi qu'aux étrangers s'étant installés sur le futur territoire belge avant l'indépendance, notamment ceux qui avaient obtenu la nationalité néerlandaise entre 1815 et 1830.

Par contre, il aura fallu attendre 1976 pour que les naturalisés "ordinaires" et les personnes ayant acquis la nationalité par mariage se voient reconnaître le droit de vote, sans éligibilité, à toutes les élections, alors qu'ils n'étaient auparavant électeurs et éligibles qu'au niveau communal. La distinction entre "naturalisation ordinaire" et "grande naturalisation" (voir encadré) n’a quant à elle été supprimée de la Constitution qu’en février 1991.

Loi du 28 juin 1984 sur la nationalité belge - article 20

Pour pouvoir demander la grande naturalisation, il faut:

  1. être âgée de vingt-cinq ans accomplis;
  2. remplir les conditions pour pouvoir obtenir la naturalisation ordinaire;
  3. avoir rendu des services importants à la Belgique ou pouvoir en rendre par ses capacités et ses talents ou avoir depuis cinq ans au moins obtenu la nationalité belge par naturalisation ordinaire ou par déclaration faite en vertu de l'article 16 [par mariage]

Il n'y a donc désormais plus aucune distinction juridique entre Belges de naissance et Belges d'origine étrangère, si ce n'est la déchéance de nationalité à laquelle certains de ces derniers peuvent être condamnés, une mesure surtout appliquée après la première guerre mondiale pour des "traîtres à la nation". Dans les années 1930, les élus et les dirigeants d'un parti autonomiste dans la région germanophone furent déchus de la nationalité belge, opération rendue possible sous prétexte qu'ils n'étaient pas belges de naissance. Moins de quinze ans plus tôt, leurs communes faisaient en effet encore partie de l'Empire allemand, comme celles de l'Alsace-Moselle !

Les lois de 1983 et de 1989 réglant l'élection directe des conseils de la Communauté germanophone et de la Région de Bruxelles-capitale furent les premières à ne pas prendre en compte ces discriminations entre Belges, tant pour l'éligibilité que pour les fonctions de membres des exécutifs. Les discriminations en matière d'éligibilité à la Chambre et au Sénat, ainsi que d'accession aux fonctions ministérielles, prirent fin juste à temps pour les élections législatives de novembre 1991. A la fin des années 80, il y avait eu au moins un cas de candidat refusé au motif qu'il n'avait pas la "grande naturalisation", une conseillère communale d'origine italienne devenue belge par mariage qui figurait sur la liste Ecolo pour le Sénat à Bruxelles. Il est probable que cet incident a joué un rôle dans la prise de conscience des députés qui votèrent la suppression de cette distinction.

Les premiers politiciens belges d'origine étrangère

Au XIXème siècle, des Français, des Italiens et des Allemands, notamment des réfugiés politiques, eurent des activités politiques en Belgique, surtout vis-à-vis de leur pays d'origine, mais ils n'y étaient pas précisément encouragés, et furent souvent "invités" à y mettre fin ou à aller les poursuivre dans un autre pays, ce que firent par exemple Karl Marx ou Victor Hugo. D'autres décidèrent de s'installer définitivement en Belgique et leur engagement politique et social en mena certains à de hautes responsabilités, d'autres figurant par exemple parmi les fondateurs d'associations ouvrières qui furent à la base de la création du Parti Ouvrier Belge.

Parmi les premiers élus d'origine étrangère, le banquier Jonathan Raphaël Bischoffsheim (1808-1883) était issu d'une famille juive de Mayence, en Allemagne. Après avoir obtenu la grande naturalisation en 1857, il fut élu au conseil communal de Bruxelles puis, en 1862, au Sénat où il siégea pendant vingt ans. Il fut également président du consistoire israélite de Belgique. Paul Errera, fils du fondateur de la Banque de Bruxelles, le Juif vénitien Giacomo Errera, fut bourgmestre (maire) d'Uccle, une commune de l'agglomération bruxelloise, de 1912 à 1921, ainsi que recteur de l'Université Libre (laïque) de Bruxelles (ULB).

D'autres politiciens juifs d'origine étrangère (première ou deuxième génération) ont eu des carrières de premier plan dans la seconde moitié du XXème siècle, parmi lesquels Jean Gol, artisan de la refondation du libéralisme wallon et bruxellois dans les années 70, ministre de la Justice et vice-premier ministre dans les années 80, ou Edouard Klein, également un libéral, qui fut notamment échevin (adjoint au maire) de l'instruction publique à Bruxelles, député de 1981 à 1991 et vice-président de l'ULB.

Depuis quelques années, quelques candidats de gauche indiquent dans les documents de propagande électorale leur appartenance à l'Union des Progressistes Juifs de Belgique (UPJB), une organisation qui regroupe historiquement des immigrés ou enfants d'immigrés juifs de la mouvance communiste. L'UPJB est fort peu appréciée au sein des institutions juives, auxquelles elle n'est pas associée, en raison de ses prises de position critiques envers Israël. Une de ces candidates a été élue sur la liste écologiste francophone aux élections communales bruxelloises d'octobre 2000. Les membres de l'UPJB, ont exprimé à diverses reprises leur solidarité, en tant qu'enfants d'immigrés, avec les autres minorités issues de l'immigration, alors que la communauté juive "officielle" tient à être considérée comme pleinement autochtone.

Les parlementaires

Il existe actuellement en Belgique six assemblées parlementaires composées totalement ou partiellement d’élus directs, plus une composée d’élus cooptés parmi les membres de deux des six autres. Il y a également 25 députés européens élus en Belgique. Au total, sans compter les sénateurs de droit [héritiers du trône dont aucun ancêtre n'est belge, le fondateur de la dynastie belge étant un prince allemand; leur mère est italienne de naissance, leur grand-mère paternelle était suédoise], et les sièges qui reviennent à des élus régionaux ou communautaires (Sénat, Parlement de la Communauté française, Parlement flamand), il y a donc pas moins de 518 parlementaires en Belgique, dont seuls les 25 eurodéputés peuvent être des ressortissants d’un autre pays membre de l’Union Européenne.

Tous les parlementaires européens, fédéraux, régionaux et communautaires perçoivent les mêmes indemnités et bénéficient de la même immunité en matière judiciaire. Ils abandonnent leur mandat parlementaire dès qu’ils deviennent membres d’un exécutif, mais le récupèrent automatiquement s'ils se défont de leur portefeuille.

 

sièges

membres d'origine étrangère en mai 2001 [identifiables comme tels par leur patronyme ou par la mention de leur origine dans les médias]

Parlement européen

25

3 (Italie, Luxembourg, France)

Chambre des députés

150

3 (Italie, Maroc, Algérie)

Sénat

71

6 (Italie, Turquie, Maroc, Colombie)

Parlement flamand

124

1 (Maroc)

Parlement (régional) wallon

75

1 (Italie)

Parlement (régional) bruxellois

75

12 (Italie, Pologne, Maroc, Tunisie, Israël, Grèce)

Parlement de la Communauté allemande

25

0 ?

Parlement de la Communauté française

94

6 (Maroc, Italie)

Suite aux élections de 1999, sur les 10 eurodéputés élus par le collège électoral francophone il y a une écologiste italienne née au Mexique, Monica Frassoni, et une libérale luxembourgeoise, Frédérique Ries. Une socialiste française d'origine maghrébine, Olga Zrihen, élue conseillère communale à La Louvière (Wallonie) en octobre 2000, les a rejointes début 2001 suite à la démission de deux élus de son parti pour cause de cumul de mandat. D'un autre côté, le Belge Olivier Dupuis (liste Bonino) siège au Parlement européen sur le quota italien. Il y a par ailleurs un député élu en Belgique à l'Assemblée nationale algérienne, il y en avait également un au Parlement marocain dans les années 80.

L’assemblée qui compte la plus forte proportion d’élus d’origine étrangère est le parlement régional bruxellois où sur 75 membres au moins 12 sont nés d'au moins un parent qui n'était pas belge de naissance. Parmi ceux-ci, 4 n'avaient jamais été candidats à une élection auparavant, 6 siégeaient déjà au parlement régional, un était conseiller communal depuis un peu plus de deux ans, le dernier avait déjà été candidat sans être élu.

Sept d'entre eux (3 PS, 2 Ecolo, 2 libéraux PRL-FDF) sont nés au Maroc ou en Algérie (de parents marocains), un (PS) en Tunisie, un autre (Ecolo) en Israël. Christos Doulkeridis, pour sa part, a assumé pendant plusieurs années le secrétariat politique régional d'Ecolo et a été candidat aux élections européennes de 1994 en tant que résident de nationalité hellénique, avant d’obtenir la nationalité belge quelques mois plus tard. Le libéral Eric André, secrétaire d'état régional de 1999 à 2001, est issu d'un couple mixte belgo-italien, son colistier Stéphane de Lobkowitz est le fils d'un aristocrate polonais réfugié en Belgique.

Un seul membre du Parlement flamand, le socialiste Chokri Mahassine (SP), est né au Maroc de père marocain et de mère palestinienne. Il a également été coopté comme sénateur communautaire au Sénat fédéral. Il avait siégé quelques mois en février 1999 à la Chambre des députés, en tant que suppléant appelé à remplacer une élue démissionnaire. Cet ancien professeur de géographie, très connu dans toute la Flandre comme organisateur d'un important festival de musique pop, était le seul candidat d'origine non-européenne figurant en ordre utile [quatrième sur une liste qui avait obtenu quatre sièges en 1995] aux élections de juin 1999 en Flandre.

Fauzaya Talhaoui, députée fédérale écologiste d’origine marocaine élue à Anvers (Flandre) est née en Espagne (Melilla). Initialement, la deuxième place sur la liste écologiste avait été proposée à sa soeur, avocate et membre d'Agalev, qui déclina l'offre et proposa sa soeur, assistante en droit international. Sa collègue Dalila Douifi, suppléante socialiste appelée à remplacer un ministre flamand est quant à elle née en Belgique de père algérien et de mère flamande. Elle a été pendant plusieurs années la porte-parole du ministre SP de l'intérieur, et a également été élue conseillère communale en 1994 dans une petite ville flamande. Géraldine Salandra-Pelzer, une écologiste élue en Wallonie, ancienne échevine de Welkenraedt (Wallonie), est quant à elle née en Italie.

Au Sénat, la première suppléante écologiste flamande, l'avocate gantoise Meryem Kaçar, née en Turquie, a également été appelée à remplacer une ministre. La tête de liste Ecolo au Sénat en 1999, Marie Nagy Patino, est une sociologue d'origine colombienne qui a déjà siégé pendant les dix années précédentes au conseil régional bruxellois. L'ancien dirigeant d'Ecolo, Jacky Morael, conseiller communal liégeois dont la mère est italienne, siège également dans cette assemblée, de même que deux élus régionaux socialistes d'origine marocaine, Chokri Mahassine et Mohamed Daïf (PS), cooptés au titre de sénateurs communautaires. Suite aux élections communales d’octobre 2000, un jeu de chaises musicales, pour cause de lois et statuts de partis anticumuls, entre exécutifs municipaux, Parlement européen et Sénat a permis à Fatma Pehlivan (SP), une candidate d'origine turque non élue en 1999, d’être cooptée au Sénat en février 2001. Fin mai 2001, Mohamed Daïf a abandonné son siège de sénateur pour celui d'échevin à Molenbeek (région bruxelloise), il devrait être remplacé par Sfia Bouarfa.

Le Parlement wallon compte depuis 1999 un élu socialiste d’origine italienne, Paul Furlan, devenu par ailleurs bourgmestre en 2000. Le chef de groupe libéral dans cette assemblée en 1995-99, était Serge Kubla, bourgmestre d'origine tchèque, qui est devenu ministre régional en 1999.

En mai 2001, il y a donc en Belgique au moins 24 parlementaires européens, fédéraux et/ou régionaux d’origine ou de nationalité étrangère sur un total de 518. "Au moins", parce qu’il y a probablement des parlementaires d’origine française, néerlandaise ou allemande qu’il n’est pas possible d’identifier par leur patronyme, ainsi que des personnes de mère étrangère ou d’origine étrangère.

Le "cas Di Rupo"

Elu au conseil communal de Mons (Wallonie) sur la liste du PS en 1982, Elio Di Rupo, fils de mineur italien, devint échevin en 1986, puis député en 1987. Aux élections communales de 1988, il obtint le meilleur score de la liste, devançant le candidat en tête de liste qui comptait bien succéder au bourgmestre. Les virulentes disputes à ce propos, dont la presse se fit l'écho, prirent une tonalité xénophobe assez marquée, avec des références aux mafiosi, Mons étant sur le point, d'après certains, de devenir "la Palerme du Nord"... Di Rupo dut finalement s'effacer et reçut en guise de compensation une place "de combat" sur la liste PS aux élections européennes de 1989. A la surprise générale, il fut élu grâce à un score personnel impressionnant. Sa carrière politique prit alors une tournure nationale: élu sénateur en 1991, il devint en 1992 ministre de l'Education au gouvernement de la Communauté française, et en 1995 il entra au gouvernement national comme vice-premier ministre, ministre de l'économie et des Télécommunications. Ministre-président de la Région wallonne en 1999, il a abandonné ce poste en 2000, quelques mois après son élection à la présidence du Parti Socialiste. Début 2001, il est enfin devenu bourgmestre de Mons.

Les élus communaux

Chacune des 589 communes (2.359 avant les fusions de 1975 et 1983) dispose d’un conseil communal élu plus, pour la Ville d’Anvers, de conseils de district, naguère composés de membres cooptés par le conseil communal au prorata de sa représentation politique, élus depuis octobre 2000. Ces districts correspondent aux 9 anciennes communes d’avant la fusion de 1983. Au total, il y avait, en 1995, 7.202 conseillers communaux en Flandre (pour 308 communes), 651 à Bruxelles et 5.058 en Wallonie (pour 262 communes).

Pour la première fois en 2000 des électeurs et candidats ressortissants d'autres états membres de l'Union Européenne ont pu participer aux élections des conseils communaux et de districts. La Ville de Malines (Flandre) a annoncé, en mars 2001, qu'elle organiserait des élections non partisanes pour des conseils de quartier, incluant notamment des anciennes communes fusionnées. Le projet prévoit d'étendre le droit de vote pour ces conseils consultatifs à tous les résidents âgés de 16 ans et plus.

Il est difficile d'apprécier factuellement le nombre d'élus d'origine étrangère dans les conseils communaux: les archives électorales sont centralisées au niveau provincial et l'identification par patronymes est très aléatoire.

Il apparaît en tout cas clairement que dans les 19 communes bruxelloises le nombre de candidats d'origine étrangère "visible" (par le patronyme) a brusquement augmenté en 1994, alors qu'il était assez limité sur la période 1970-1988, pour atteindre des sommets en 2000, y compris pour les personnes issues de vagues d'immigration plus anciennes (d'origine italienne, espagnole ou grecque), dont beaucoup étaient de nationalité belge, alors que le taux d'inscription moyen des résidents UE sur les listes électorales dans les communes bruxelloises n'a pas dépassé 10%. Mais il faut relativiser en rappelant qu'au recensement de 1991 le groupe le plus important (1,3%) de Belges d'origine étrangère en région bruxelloise était celui des... Français, inidentifiables par le patronyme, et que le second (1,2%) était celui des originaires des pays d'Europe de l'Est, comprenant notamment une partie de la communauté juive.

En ce qui concerne les élus communaux d'origine non-européenne, ils sont principalement originaires du Maroc et de Turquie, mais aussi d'Algérie, de Tunisie, d'Iran, du Congo-Kinshasa, de Libye, du Liban ou d'Israël (une Arabe israëlienne). Entre 1994 et 2000, leur nombre est passé de 13 à 92 en région bruxelloise, de 9 à 40 en Flandre, de 5 à 21 en Wallonie. Quatorze d'entre eux sont devenus échevins, 10 à Bruxelles, 3 en Flandre et 1 en Wallonie. Dans quatre communes bruxelloises, plus d'un élu sur cinq est désormais d'origine non-européenne, une d'entre elle (Saint-Josse) en a 13 sur 27. Deux de ces communes (Saint-Josse et Schaerbeek), comptent trois échevins d'origine marocaine ou turque, dont les échevins des finances et de l'enseignement.

Le premier élu d'origine non-européenne semble avoir été Constant-Daniel Ajanohun, originaire du Bénin, devenu échevin PS à Villers-le-Bouillet (Wallonie) après les élections communales de 1982. A la suite de conflits internes au PS, il quitta ce parti et se présenta, avec d'autres dissidents (autochtones), sur une liste qui n'obtint pas de sièges aux élections suivantes. En 1994, ce fut au tour de la Flandre d'innover, avec la désignation à Roeselaere d'un échevin CVP d'origine marocaine, Aziz Cherkaoui, réélu au conseil communal en 2000. La proportion d'étrangers dans ces deux communes était dérisoire, particularité qui se retrouve pour plusieurs communes flamandes qui ont eu des élus d'origine non-européenne en 1994 et/ou en 2000.

Perspectives

Actuellement, tous les ressortissants des états membres de l'Union Européenne ont le droit de vote et d'éligibilité aux élections européennes depuis 1994, aux élections communales et de districts depuis 2000, sans toutefois pouvoir accéder aux fonctions exécutives d'échevin ou de bourgmestre. Quelques rares résidents UE n'ayant pas la possibilité légale de voter dans leur pays d'origine, principalement des Britanniques et des Irlandais, avaient déjà le droit de vote aux élections européennes depuis 1989.

Le débat sur l'extension du droit de vote aux étrangers non UE pour les élections locales est toujours en cours actuellement, avec la proposition de régionaliser la loi communale, ce qui aurait peut-être pour conséquence de le rendre possible dans seulement une ou deux des trois régions du pays, les réticences étant les plus fortes en Flandre alors que les partis politiques y sont favorables en Wallonie et à Bruxelles. De nombreux obstacles tant juridiques que politiques, sans relation directe avec la question du droit de vote, risquent toutefois de renvoyer cette nouvelle réforme de l'Etat belge après de nouvelles élections législatives.

Il faut rappeler ici que l'article 8 de la Constitution a été modifié en décembre 1998 et prévoit (§3) que "la loi peut organiser le droit de vote des citoyens de l'Union européenne n'ayant pas la nationalité belge, conformément aux obligations internationales et supranationales de la Belgique", mais aussi (§4) que "le droit de vote visé à l'alinéa précédent peut être étendu par la loi aux résidents en Belgique qui ne sont pas des ressortissants d'un Etat, membre de l'Union européenne, dans les conditions et selon les modalités déterminées par ladite loi.". Toutefois, cette extension ne pouvait intervenir qu'après les élections communales d'octobre 2000: "La loi visée à l'alinéa 4 ne peut pas être adoptée avant le 1er janvier 2001" ("disposition transitoire"). Des propositions de loi ont été redéposées dans cette perspective par des parlementaires socialistes et écologistes immédiatement après les élections communales.

Fin mars 2001, un nouveau débat a été lancé par le président du SP, mettant cette fois en cause l'option d'assouplissement des règles d'acquisition de la nationalité qui avait été adoptée par la nouvelle coalition gouvernementale (libéraux-socialistes-écologistes) suite au refus des libéraux flamands (VLD) de s'aligner sur la position pro-droit de vote de ses cinq partenaires gouvernementaux. L'idée serait maintenant d'amadouer le VLD en larguant du lest sur la nationalité, une "donnée émotionnelle", en échange d'une extension du droit de vote aux résidents non-UE: "La nationalité est un donnée émotionnelle et elle est pour moi, sur le plan intellectuel, un obstacle plus élevé que celui de la participation politique, surtout au niveau local. C'est pour cela que le droit de vote des immigrés me semble plus approprié.'' (De Standaard 25/04/2001).

Autre aspect qui ne doit pas être négligé, la réforme électorale qui a été adoptée moins de quatre mois avant les dernières élections communales a renforcé considérablement le poids des votes préférentiels pour un ou des candidats sur la même liste, ce qui a permis à de nombreux candidats d'éliminer des colistiers initialement mieux placés sur la liste, la seule place "sûre" restant souvent la première. Cette réforme a notamment bénéficié, au grand désarroi de certains partis, à des candidats d'origine étrangère qui avaient parfois été insérés sur les listes soit à titre symbolique soit comme "bouches-trous", même si en Belgique il n'y a pas d'obligation de présenter des listes complètes. Avec à la clé des revendications en termes de mandats exécutifs qui ont pris au dépourvu les sections locales des partis et ont provoqué des crises parfois médiatisées, comme à Anvers et Forest, mais le plus souvent réglées "en interne", avec toutes les frustrations que cela implique.

Il existe manifestement une crainte dans certains états-majors politiques que si, comme prévu par les accords de coalition gouvernementale, cette réforme est étendue aux élections régionales et fédérales, modifiant notamment le système de suppléance, un certain nombre d'actuels élus régionaux bruxellois et flamands notamment perdraient leurs sièges au profit de candidats d'origine maghrébine, turque ou congolaise.

En clair, la Belgique pourrait bien être confrontée, lors des prochaines échéances électorales régionales et communales, à une situation de surreprésentation politique de certaines minorités d'origine étrangère qui ont pendant longtemps été totalement écartées de la vie politique belge. Cette évolution est suivie de près par les ambassades marocaine et turque surtout, qui voient là des opportunités de mettre sur pied des lobbies politiques sur le modèle américain et multiplient les invitations en direction de "leurs" élus. En avril 2000, cinq parlementaires bruxellois d'origine marocaine ont ainsi effectué un voyage à Rabat sur l'invitation du parlement marocain, avec une importante couverture médiatique sur place.

Les partis politiques belges n'ont pas encore intégré cette nouvelle donne et ces deux dernières années il y a eu plusieurs dérapages de candidats ou d'élus, que ce soit pour assurer les lecteurs d'un quotidien turc que le parti du candidat avait l'intention de supprimer tout subside d'organe officiel belge aux associations "antiturques", c'est-à-dire pro-kurdes, ou pour mettre en demeure par voie de presse belge son propre parti de se prononcer en faveur de l'"intégrité territoriale" du Maroc, contre les "séparatistes" du Polisario. Et les pressions sont tellement fortes que peu d'élus ont le courage de déclarer publiquement qu'ils refusent de se laisser entraîner sur cette voie et qu'ils ne jugent pas opportun de prendre position en tant qu'élus belges sur ce genre de problématiques. Ceux qui le font ne sont d'ailleurs plus invités aux réceptions de l'ambassade du Maroc par exemple...

suite de ce chapitre: La participation politique des minorités en Belgique