Pierre-Yves Lambert, La participation politique des allochtones en Belgique - Historique et situation bruxelloise, Louvain-la-Neuve, Academia-Bruylant (coll. Sybidi Papers), juin 1999,  122p., ISBN 2-87209-555-1
avertissement: cette version en ligne ne correspond pas exactement à l'ouvrage publié en 1999, qui reste disponible chez l'éditeur Academia-Bruylant, de même que d'autres dans l'excellente collection Sybidi Papers, elle ne peut donc être utilisée pour les citations 

Sommaire -  Introduction -Chapitre I - Chapitre II - Chapitre III - Chapitre IV - Chapitre V -  Conclusions - Sources

(voir aussi: Politiciens allochtones et lobbying politique en faveur du pays d'origine)

Chapitre III

L'exercice de la citoyenneté des pays d'origine

La plupart des Etats prévoient des dispositions spécifiques quant à la représentation de leurs citoyens expatriés. D'autres, comme la Belgique jusqu’en 1998, considèrent que ceux-ci ne peuvent exercer leur droit de vote que pendant leur séjour sur le territoire national. Cette attitude est également celle de l’Italie pour les élections autres qu’européennes, ce qui a poussé certains partis italiens, dès les années 50, à organiser eux-même le transport d’électeurs expatriés jusqu’en Italie, les autorités italiennes prenant financièrement en charge les déplacements sur le territoire national.

Plusieurs pays, dont l’Italie, la France, la Grèce, l’Espagne et le Portugal, ont par ailleurs mis sur pied des instances élues dans chaque pays d’émigration, soit à titre purement consultatif, soit pour constituer un collège de grands électeurs chargés d’élire des parlementaires nationaux (des sénateurs en France). Il y a également des parlementaires représentant la diaspora en Algérie, à Taiwan et au Sénégal.

La plupart des Etats de l’Union européenne accordent également à leurs ressortissants expatriés vivant dans un autre Etat membre le droit de voter dans des locaux consulaires pour les élections européennes. Depuis 1994, ils ont également la possibilité de s’inscrire sur les listes électorales de leur pays de résidence, mais très peu ont entrepris les démarches à cet effet, soit pour conserver leur droit de voter pour des listes de leur pays d’origine, soit par manque d’intérêt pour ces élections, où le pourcentage d'abstentions est également élevé parmi les nationaux.

Certains ont déploré le manque d’empressement des autorités communales belges à inciter leurs résidents communautaires à effectuer cette démarche. Seules quelques communes ont entrepris des campagnes à cet effet, en 1994 comme en 1999, cette fois-ci à la demande des autorités consulaires italiennes dans certains cas ! Etant donné que le système d’inscription volontaire sera également en vigueur pour les prochaines élections communales, plusieurs communes wallonnes et bruxelloises ont d’ores et déjà décidé de mener des campagnes d’information afin d'assurer une participation plus significative de ce nouvel électorat potentiel (e.a. La Meuse 9/4/98, Le Matin 16/3/99).

Les Italiens

Aux élections des Comites (Comitati degli Italiani all'Estero, Comités des Italiens à l'étranger) le 22 juin 1997, sur 218.630 électeurs inscrits, seuls 36.086 (16,5%) ont voté en Belgique, ce taux s'élevant à 15% pour l'ensemble de l'Europe - 24,9% en 1991 - et à 20,55% pour l'ensemble du monde - 37,7% en 1991 (Qui Italia juillet 1997; Tassello 1997).

Les missions des Comites (Ministero degli Affari Esteri, Comites, Comitato degli Italiani, [1997])

Pour Daniele Rossini (1997), rédacteur en chef du mensuel italien de Belgique Qui Italia (lié aux ACLI, l’Association chrétienne des travailleurs italiens), le message des non électeurs peut être interprété de deux manières: soit ils n'en ont rien à faire de l'Italie, soit ils n'en ont rien à faire des Comites. La seconde explication lui semble la plus plausible: "l'immense majorité de nos compatriotes, et en particulier les nouvelles générations, ne croient pas aux Comites, que ce soit parce qu'ils ne connaissent pas leurs fonctions et leurs potentialités, ou parce que ces organismes - à quelques exceptions près - se sont jusqu'à aujourd'hui révélés incapables de percevoir, d'interpréter, de représenter les demandes, les besoins, les attentes sociales et culturelles de la collectivité italienne".

Comme le note encore Monsieur Rossini, "les élections [des Comites] du 22 juin devaient constituer un test important avant l'exercice du droit de vote à l'étranger", pour l'élection directe par les Italiens à l'étrangers de membres du Parlement, mesure qui venait d'être adoptée par la Chambre par la révision de l'article 48 de la Constitution italienne mais qui a en fin de compte échoué lors d'un second vote en 1998, le quorum de députés présents n'ayant pas été atteint... A cet égard, "il est permis de se demander si, quand le droit de vote [des Italiens résidant] à l'étranger arrivera, il ne sera pas trop tard: parce que, à ce moment, on pourra voter aux élections communales dans le pays de résidence, parce que les vieilles générations auront encore plus diminué en nombre, parce que les nouvelles générations ne sont en rien intéressées par la politique italienne".

Depuis 1984, les Italiens peuvent voter en Belgique pour les listes italiennes aux élections européennes (résultats: voir tableau 7). Les taux de participation ont fortement chuté en 1994 - 44,7% en 1984 (120.000 inscrits), 49,5% en 1989 (114.000 inscrits), 23,2% en 1994 (139.000 inscrits) -, même en additionnant le nombre de votants sur les listes italiennes (32.234) aux Italiens inscrits sur les listes belges (15.449) (Rea 1997: 93-94).

Tableau 7. Pourcentages de voix en Belgique pour les principaux partis italiens aux élections européennes (Rea 1997: 93)
 

1984

1989

1994

DC

18,2

24,8

 

PCI

41,6

25

 

PSI

14,2

19

 

Forza Italia

   

30

PDS

   

11,4

Rifondazione

   

9,4

 Aux élections européennes de 1999, Daniele Rossini figure sur la liste PSC alors qu’un autre membre des ACLI est candidat sur la liste du SP pour la circonscription flamande. Cette association, une des plus importantes en Belgique, a clairement appelé ses compatriotes à s’inscrire sur les listes d'électeurs en Belgique, et non plus sur les listes italiennes, prônant même l’inscription automatique des résidents communautaires sur les registres électoraux belges tant pour les élections européennes que communales, avec possibilité d'y renoncer sur déclaration (Qui Italia mars 1998). Dans leur communiqué de presse, les ACLI qualifient le vote pour les listes italiennes de "choix anachronique, anti-européen et inutile", étant donné que les Italiens de Belgique "se sont de longue date intégrés dans la société belge" (Qui Italia février 1999).

Un autre élu Comites dans la circonscription Bruxelles-Brabant, Francesco Catania, se trouve au confluent des extrêmes-droites italienne et belge. Il est notamment le principal responsable d’un groupuscule belge monarchisto-réactionnaire, l’Alliance Nationale.

autres élections des Comites de Belgique

Les autres ressortissants de l'Union Européenne

Il est intéressant de comparer les taux de participation aux élections des Comites à ceux enregistrés lors d'élections similaires en décembre 1996 pour les Espagnols du Brabant (2,3%)(Taradellas 1996) ou pour les Portugais de Belgique (4,5%). En France, alors que seuls 4.362 électeurs (0,4%) sur 1.210.000 s'étaient déplacés pour élire les seize membres du Conseil des Communautés Portugaises en avril 1997 (Neumann 1997), deux mois plus tard ce sont 41.081 électeurs italiens sur 322.330, soit 12,75%, qui ont pris part à l'élection des Comites.

Les délégués du Conseil Supérieur des Français de l’Etranger (créé en 1982) élisent à leur tour des sénateurs à part entière. En 1998, sur plus de 100.000 Français dans la circonscription de Bruxelles (qui inclut Bruxelles, les deux Brabant, les deux Flandres et le Hainaut, soit 75.444 Français d'après les statistiques belges), 30.000 étaient inscrits sur la liste électorale du CSFE (Trait d'Union juin 1998). Les six élus de Belgique au CSFE sont soit des RPR-UDF et apparentés, soit des socialistes (ADFE) ou des radicaux de gauche, la proportion variant d'une élection à l'autre.

Les citoyens français inscrits sur les registres électoraux ad hoc des consulats en Belgique (17.000 pour la circonscription de Bruxelles en 1998) ont par ailleurs le droit de vote aux élections européennes et présidentielles, ainsi qu'aux référendums. Indication probable de la présence importante de fonctionnaires européens parmi les électeurs inscrits, le candidat arrivé en tête aux présidentielles de 1988 fut Raymond Barre, ancien commissaire européen, arrivé en troisième position en France. La proportion de "oui" au référendum sur le Traité de Maastricht dépassa les trois quarts des suffrages exprimés, alors qu'elle dépassait tout juste les "non" en France.

voir aussi:

  1. Quelle citoyenneté pour les émigrés (1997)
  2. Le Conseil des résidents espagnols en Belgique (2001)  

Les Marocains

Dans les années 80, les Marocains de Belgique étaient représentés par un député au Parlement marocain, un membre des Amicales marocaines (créées par les autorités marocaines) vivant à Malines (Flandre). Actuellement, leur participation à la vie politique marocaine se limite aux référendums. Dans un cas comme dans l'autre, l'organisation de ces votes et l'information des électeurs est assez lacunaire. L'immense majorité des Marocains de Belgique n'ont en réalité jamais participé à une élection marocaine et sont peu informés de la situation politique dans ce pays. En mai 1997, plusieurs élus belges d'origine marocaine que l'auteur de ce document avait rencontrés ignoraient la tenue d'élections communales au Maroc le mois suivant.

Les Algériens

En juin 1997, un député a été élu par les Algériens de Belgique et de quelques régions voisines à l'occasion des élections législatives en Algérie. Il s’agit d’un permanent du syndicat socialiste FGTB à Mons (Wallonie) qui était présenté par le parti du président Zeroual. Outre quatre candidats de partis algériens (dont un journaliste, auparavant candidat PSC à la Chambre belge en 1995), deux candidat(e)s indépendant(e)s ont tenté, en vain, de récolter les quatre cents signatures nécessaires pour se présenter à ces élections, par manque d'intérêt ou par crainte d'afficher leurs opinions vis-à-vis des autorités consulaires de la part des électeurs potentiels, ou suite aux pressions des agents du régime qui ont fait la propagande du candidat "présidentiel". Des bureaux de vote ont à nouveau été ouverts à l’occasion des élections présidentielles d’avril 1999, pour lesquelles 10.186 Algériens de Belgique avaient demandé des cartes d'électeurs selon les autorités consulaires.

Les Turcs

Les Turcs résidant hors de Turquie pourront peut-être un jour exercer leurs droits civiques aux élections législatives, mais cela ne constitue apparemment pas la priorité du travail parlementaire dans ce pays, malgré plusieurs projets annoncés ces dernières années. Le régime turc craint en fait qu’une telle participation bénéficie surtout au parti islamiste, bien implanté dans la diaspora par le biais de Milli Görush. Tous les partis turcs sont organisés en Belgique, des sociaux-démocrates kémalistes aux islamo-nationalistes, mais sous le couvert d'associations portant d'autres noms, l'organisation de sections de partis à l'étranger étant interdite par la législation turque.

 

Les Albanais

La communauté albanaise originaire de Macédoine a également la possibilité de voter par correspondance ou au consulat. Toutefois, on ignore le nombre d’Albano-Macédoniens qui ont effectivement conservé cette nationalité après l’indépendance, un délai d’un an ayant été imparti à l’époque aux Macédoniens de l’étranger pour la revendiquer. D’une manière générale d’ailleurs, il est impossible d’estimer l’importance numérique des Albanais de Belgique (40.000 selon leurs organisations), pour la plupart originaires de l’ex-Yougoslavie (Macédoine et Kosovo) et donc recensés comme tels. Une partie d’entre eux a transité pendant quelques années par la Turquie, dont ils ont obtenu la nationalité, sans parler des personnes originaires d’Albanie ou des communautés albanaises d’Italie et de Grèce.

suite (chapitre IV)