Les Motivé-e-s d'Hellemmes

Pierre-Yves Lambert
(mars 2001, publié sur Suffrage Universel et Maghreb Observateur)

Trois jours avant le premier tour, le maire socialiste d'Hellemmes s'en prenait, à l'occasion d'un point de presse, aux "Gens d'Hellemmes", une liste de la gauche associative, qualifiant ses candidats de "gloglos" et fustigeant leur "incompétence" du haut de ses 18 années de mayorat. Le verdict des urnes aura été amer pour ce politicien, Bernard Derosier, qui cumule pas moins de trois autres mandats, député, président du conseil général et élu municipal lillois: sa liste PS-PC est passée de 45% en 1995 à 38% en 2001, et les "gloglos" sont arrivés en deuxième position avec près de 19%, devançant les Verts et le FN. Au second tour, ils ont en fin de compte obtenu six sièges au conseil communal, ce qui leur permettra de mener une opposition active, peut-être relayés ponctuellement par les Verts, et même le PC, qui semblent peu apprécier l'hégémonisme du PS local.

Cette commune "associée" à Lille, c'est-à-dire à mi-chemin entre l'autonomie et la fusion, compte 12.416 électeurs inscrits sur 18.371 habitants, soit une proportion de 66% alors que Lille dans son ensemble n'a qu'une proportion électeurs inscrits/habitants de 55%. Le taux d'abstention a été légèrement plus bas à Hellemmes, avec 49%, que dans le reste de la ville, 53%, où il y a eu des pointes jusqu'à 59% dans les quartiers défavorisés à forte concentration de populations issues de l'immigration de Lille-Sud.

Les Hellemmois votaient à la fois pour le conseil municipal de Lille, où ils devaient choisir entre 9 listes pour 61 sièges, et pour leur conseil communal, 6 listes pour 33 sièges. Il est donc intéressant de comparer les résultats des différentes listes en présence (les chiffres sont repris de La Voix du Nord du 12 mars 2001).

A la tête des "Gens d'Hellemmes", un universitaire de 47 ans, Nabil El-Haggar, qui m'a reçu entre les deux tours dans sa petite maison ouvrière qui ne se distingue - presque - en rien de ses voisines. Presque, parce qu'à l'entrée les travaux en cours laissent entrevoir une future arcade mauresque ! Et la pièce où se déroule l'interview est agréablement parfumée de l'odeur du tabac aux pommes que contient le narguileh de mon interlocuteur...

Vice-président de l'Université des sciences et technologies de Lille, ce fils de réfugiés palestiniens, né dans un camp en Jordanie, est arrivé en France comme étudiant voici près de trente ans, et a décidé de s'y fixer après ses études et habite Hellemmes depuis cinq ans. Il enseigne la mécanique et organise les "rencontres d'Archimède", des débats hebdomadaires où se croisent le scintifique, l'artistique et le philosophique, prolongés par une revue trimestrielle, "Le Nouvelles d'Archimède", et par une collection qu'il dirige aux éditions L'Harmattan, "Les rendez-vous d'Archimède".

Sur les 33 candidats de sa liste, trois sont originaires du Monde arabe (1er, 8ème et 15ème), mais il y a aussi des personnes d'origine belge et canadienne notamment. C'était la deuxième candidature de Monsieur El-Haggar, 8ème sur la liste des Verts, en tant que personnalité (non-membre du parti), aux élections régionales de 1998, ce qui fait de lui le deuxième suppléant des Verts au conseil régional.

P-Y Lambert Le maire de Hellemmes a eu des mots très durs à l'égard de votre listes, des "gloglos", des "gens venus d'ailleurs". Qu'est-ce qui explique une telle animosité alors qu'à Toulouse par exemple une liste similaire à la vôtre a fusionné au second tour avec celles de la gauche plurielle ?

N. El-Haggar Il faut resituer le contexte tout d'abord. Hellemmes a été "associée" à Lille il y a 24 ans par la seule volonté des dirigeants socialistes des deux communes, comme plus récemment à Lomme, la population n'a jamais été consultée. A présent, les gens demandent un bilan de cette association, et ensuite un référendum pour décider si cette expérience doit se poursuivre ou non, voire se transformer en fusion complète.
A Hellemmes, rien n'a changé depuis les années 30, tout a été figé, muséifié, la vcommune n'a pas du tout suivi les développememnts qu'a connus Lille depuis 20 ans. Le tout dans une ambiance de "no-politics-land" où le maire PS se comporte comme un seigneur médiéval ou un potentat du tiers-monde, hautain, méprisant, ne concevant les affaires de la Cité qu'en termes de rapports de force. Le modèle politique de la majorité PS-PC, c'est le patron du XIXème siècle, quand un habitant se plaint du bruit de l'usine d'à côté, la seule réponse du maire c'est "allez donc habiter ailleurs", idem quand il décide sans concertation aucune d'accorder à des transporteurs routiers des autorisations pour installer des garages dans des rues trop étroites où ils empoisonnent la vie des riverains. L'argument-massue qu'il oppose à toute suggestion de changement, c'est "il faut respecter la mémoire ouvrière", il est opposé à toute modernité care elle serait "contre l'Histoire". En fait, cette commune a vécu un processus de muséification, mais le musée est sale, évoque l'abandon et le mépris.

P-Y L De quelle façon s'est constituée votre liste, et quels sont ses objectifs ?

N E-H Ca s'est passé à partir d'associations diverses et variées, d'une vision de la démocratie représentative autre que celle où la délégation enlève au citoyen tout droit de s'exprimer hors des élections. Des gens se sont décidés à aller jusqu'au bout de la logique de participation, de créer un festival politique de la participation.
Notre liste n'est pas "revendicative", c'est bien une liste politique qui défend les principes politiques du bien commun, de la réinvention de la commune, du dialogue et du respect face au mépris et à l'abandon.

P-Y L Un peu dans le même esprit que Motivé-e-s à Toulouse ? Vous avez des contacts avec eux ?

N E-H Tout-à-fait, notre démarche est similaire à la leur, nous n'avons pas encore eu le temps de développer nos relations avec eux, mais après les élections nous participerons plus activement au réseau des listes motivé-e-s auquel nous avons d'ores et déjà adhéré.

[deux jours après cet interview, La Voix du Nord rapportait ceci: "A l’instar de ce qui se passe à Toulouse avec le groupe Zebda, un groupe de " citoyens " estampillé " les Motivé(e)s " accorde son soutien à la liste des Gens d’Hellemmes. Sur le modèle toulousain de " Ouste, Douste ", ils ont même concocté une chanson intitulée : " Nanard, allez, y’en a marre " ! Bernard Derosier appréciera."]

P-Y L Quelle sera votre attitude pour le second tour et qu'espérez-vous ? Une alliance avec les Verts était-elle envisageable ?

N E-H Nous avions peu de contacts avec les Verts avant les élections, j'étais d'ailleurs quasiment le seul des Gens d'Hellemmes à accepter ne serait-ce que le dialogue avec un parti politique, les autres y étaient très hostiles par méfiance. Mais tant le PS que les Verts locaux se sont montrés arrogants, pour eux la politique ne se fait que via les partis reconnus, pas ailleurs, les autres sont des "politiques de seconde zone" !

Notre liste se maintient au second tour car nous sommes une alternative au pouvoir actuel. Nous espérons une mobilisation des abstentionnistes qui se rendront peut-être compte que les choses peuvent réellement changer, ce qui était moins évident avant le premier tour. D'baitude, le chantage électoral du maire, comme le faisait Mitterrand, c'est "moi ou le FN", hé bien cette fois-ci entre lui et le FN il y a nous !

Quel que soit le résultat, qu'on détrône Derosier ou qu'on soit simplement représentésq au conseil, notre groupe continuera à mener le combat politique dans la commune, à accomplir ce qu'il a promis pendant la campagne, c'està-dire par exemple des débats trimestriels dans la commune et la publication des débats du conseil.

par Isabelle DEMEYERE
Avertissement pour Bernard Derosier
En réalisant 18,68 %, la liste des Gens d’Hellemmes a trouvé une vraie légitimité. Vote contestataire passager ou véritable prise de conscience ? Réponse dimanche...

A TOULOUSE, ils sont sur la liste des Motivé-e-s soutenue par le groupe Zebda. Et leur presque 13 % leur faisait dire, hier, que le temps où les gens votaient par habitude était révolu.
A Hellemmes, dimanche soir, ils se disaient particulièrement motivés. Ils, ce sont Les Gens d’Hellemmes, ces trente-trois personnes issues du milieu associatif, emmenées par un universitaire de 47 ans, Nabil El Haggar, qui ont réalisé un score de 18,68 %, créant véritablement l'événement de ce premier tour de scrutin.

Climat exécrable
" Enfin un vote qui secoue le cocotier des gens qui y sont assis pour toujours. Y a plus que dans le Tiers Monde où on est élu à vie ", commentait, dimanche soir, l’un des colistiers. Pour Bernard Derosier, qui a réalisé un score décevant par rapport à 95 (38,48 % au lieu de 45,48 %), l’avertissement est, sans être sévère, pertinent. Car, que revendiquent Les Gens d’Hellemmes ? Globalement, le droit à la parole. " Il n’y a pas de démocratie participative à Hellemmes, on ne demande jamais l’avis des gens ", commente un autre colistier. " Nous avons voulu faire de cette échéance électorale un véritable festival politique de la participation. Notre projet est avant tout d’installer un état d’esprit, qui s’oppose au mépris et propose dialogue et respect. Nous voulons que les élus rencontrent chaque trimestre les gens dans leur quartier ", explique Nabil El Haggar, qui regrette amèrement le climat exécrable dans lequel s’est déroulée sa campagne. Et qui jubile d’autant plus de la vraie légitimité que sa liste a obtenue dimanche. " Il s’agit de sortir politiquement Hellemmes de son isolement ".
Un vote contestataire ? " Oui ", répond le vert, Ludovic Coupin, qui s’attendait à un bon score des Gens d’Hellemmes. " A force de ne pas consulter les gens, voilà le résultat. C’est aussi ce qui explique le score du Front national ". Les Verts qui, avec 12,91 %, réalisent le double de leur score de 95. Les Verts avec qui Bernard Derosier devra maintenant composer. Même si Ludovic Coupin confie qu’avant la campagne : " Il n’a jamais voulu nous recevoir, nous l’avons sollicité plusieurs fois ".
Si en additionnant les voix de Bernard Derosier et des Verts, la gauche plurielle reste majoritaire sur le territoire de la commune en réalisant un score total de l’ordre de 51 %, comme en 95, on assiste à une nouvelle répartition de ces voix. Notamment pour la liste Les Gens d’Hellemmes. Des gens qui reconnaissent avoir le coeur à gauche mais qui ont sans doute attiré plus largement. Bernard Derosier voit dans leur score les voix qui manquent cruellement à la droite républicaine, eu égard au score qu’elle avait réalisé en 95 (voir ci-dessous).
Si l’alliance négociée hier avec les Verts (cf nos pages régionales) aboutit, Bernard Derosier affrontera donc, dimanche, le Front national et Les Gens d’Hellemmes. Reste à savoir si le score de ces " révolutionnaires de la démocratie " confirmera l’avertissement donné au maire sortant lors de ce premier tour.

Pour le second tour de l’élection communale, un accord a été passé entre écologistes et majorité sortante

Dimanche, deuxième tour des élections communales (1), les tractations continuent. Comme on pouvait s’y attendre en voyant l’accord signé mardi chez la grande soeur lilloise, les Verts d’Hellemmes et la majorité sortante ont décidé à leur tour d’unir leurs efforts. Ludovic Coupin et cinq de ses colistiers seront, en effet, présents sur la liste défendue par Bernard Derosier. Dimanche, les Hellemmois auront donc à se déterminer entre trois listes : la majorité plurielle ; les gens d’Hellemmes ; le Front national.
En fait, l’accord entre la majorité sortante hellemmoise et les Verts a été signé dès lundi, alors même que les négociations pour la municipalité de Lille achoppaient. Le contrat fixe donc " un programme commun qui présente pour dominantes la démocratie participative, l’environnement et le développement durable ", explique Gilles Pargneaux, actuellement deuxième adjoint à Hellemmes. D’ailleurs, celui qui occupe également la septième place sur la liste de Martine Aubry à Lille n’hésite pas à parler d’un " partenariat avec une nouvelle génération d’élus qui va être très fructueux ".

Parité respectée
La liste menée par Bernard Derosier réunira donc vingt socialistes et apparentés, sept communistes et six Verts. Et respectera scrupuleusement la loi sur la parité. Ça se voit sur l’entrée des six Verts sur la liste : trois hommes et trois femmes. Ce respect strict oblige même Ludovic Coupin, pourtant tête de liste des Verts avant le premier tour, à n’être que le deuxième écologiste sur la liste Derosier.
En outre, si cette liste de gauche plurielle obtient la majorité au nouveau conseil communal, on sait déjà que les Verts obtiendront deux postes d’adjoints.
La même chose pour les communistes. Cinq seront attribués aux socialistes et apparentés. Reste, pour eux, à sortir en tête du scrutin de dimanche, devant les gens d’Hellemmes et le Front national.
Voici les six Verts et leur position qui entrent sur la liste PS-PC : 5. Martine Carlier ; 7. Ludovic Coupin ; 10. Mireille Jarry ; 15. Patrick Redouté ; 18. Virginie François ; 24. Daniel Boulagnon.
Ceux-là provoquent le départ de six co-listiers du premier tour : Annie Dauvergne (PC), Marie-Dominique Béague (PS), Annie Wardavoir (PS), Pascal Moyson (PRG), Michel Boulanger (personnalité) et Alphonse Sallé (PS, adjoint au maire sortant).

Résultats du premier tour : Les gens d’Hellemmes, 18,68 % ; Front national, 15,41 % ; liste Bernard Derosier, 38,48 % ; les Verts, 12,91 % ; liste Danièle Mésans, 8,08 % ; liste RPF, 8,95 %.

Les Motivé(e)s soutiennent les Gens d’Hellemmes.– A l’instar de ce qui se passe à Toulouse avec le groupe Zebda, un groupe de " citoyens " estampillé " les Motivé(e)s " accorde son soutien à la liste des Gens d’Hellemmes. Sur le modèle toulousain de " Ouste, Douste ", ils ont même concocté une chanson intitulée : " Nanard, allez, y’en a marre " ! Bernard Derosier appréciera.

Elections communales d’Hellemmes - second tour
Trois candidats en lice.
Bernard Derosier (maire sortant) : liste soutenue par la gauche plurielle (parti communiste, Verts...).
Nabil El-Haggar : liste estampillée " Les gens d’Hellemmes ".
Anne Coolzaet : liste soutenue par le Front national.

Le conseil communal sera installé le 31 mars, jour où le maire délégué et ses neuf adjoints seront élus

" Nous avons six ans à vivre ensemble : il va falloir s’entendre ". Hué alors qu’il se déclarait satisfait de son bilan, Bernard Derosier lâcha cette petite phrase, dimanche soir, à l’heure de la proclamation des résultats qui en dit long sur l’ambiance future qui risque de régner au conseil communal d’Hellemmes.
Quelles sont les forces en présence ? La liste de la gauche plurielle menée par Bernard Derosier a obtenu 43,77 des voix soit 24 sièges parmi lesquels six pour les élus Verts et six pour les élus du PC, les douze autres sièges allant au PS.
Cette gauche plurielle n’a pas le visage de l’entente cordiale, c’est le moins qu’on puisse dire, puisque les communistes se déclaraient dimanche soir, par tract interposé, très mécontents du sort qui leur avait été réservé : seulement six élus et à priori deux adjoints alors qu’ils en voulaient sept dont trois adjoints. " C’est inadmissible, après 30 ans d’union et de gestion commune, déclarait M. Sinkiewicz, dorénavant ce sera la totale transparence : avant on travaillait en interne, en conclave fermé, désormais la population sera avisée ". Des propos du secrétaire de la section locale du PC comme un écho au discours des Gens d’Hellemmes ou... les suites d’une indigestion d’avoir avalé trop de couleuvres !
Et si les Verts, les communistes et les Gens d’Hellemmes (six sièges), entre gens de gauche qu’ils sont, parvenaient à s’entendre ? Cela ferait 18 voix contre douze au PS, une sorte de majorité...
Reste le Front national, trois sièges avec lesquels Verts, communistes et Gens d’Hellemmes ne pourront pas composer. " 19,45 % des Hellemmois approuvent les thèses racistes et xénophobes : est-ce qu’un jour nous arriverons à leur prouver qu’ils se trompent ? ", a déclaré Bernard Derosier lors de la proclamation des résultats.
" L’abandon et le mépris conduisent les gens à aller vers les propositions simplistes du FN, beaucoup de politiques n’ont pas compris qu’ils avaient un rôle éducatif à jouer ", rétorque pour sa part Nabil El Haggar, tête de liste des Gens d’Hellemmes.
Et qui sera le maire ? Le nom de Gilles Pargneaux étaient sur toutes les lèvres dimanche soir. Bernard Derosier a fait comprendre que, atteint par le cumul des mandats s’il reste président du conseil général - ce qu’un vote interne aux élus du PS au département déterminera mercredi - il pourrait bien passer la main à celui qui est, depuis six ans, son adjoint aux finances.
A suivre donc, samedi 31 mars, 15 h, espace des Acacias...

33 élus
La Gauche Plurielle pour Hellemmes.- 1. Bernard Derosier ; 2. Gilles Pargneaux ; 3. Evelyne Redlich ; 4. Frédéric Marchand ; 5. Martine Carlier ; 6. Claire Dhelin ; 7. Ludovic Coupin ; 8. Thierry Fontaine ; 9. Roger Maly ; 10. Mireille Jarry ; 11. Marcelle Marcellis ; 12. Marie Pieroni-Tournier ; 13. Jean-Luc Lietart ; 14. Sylvanna Cauchy ; 15. Patrick Redoute ; 16. Yves Boucher ; 17. Michèle Loire ; 18. Virginie François ; 19.
Yves Thiery ; 20. Stéphanie Freulon-Maucourant ; 21. Chantal Guilbert ; 22. Bernard Vanbelle ; 23. Régine Leseutte ; 24. Daniel Boulagnon.
Les Gens d’Hellemmes.- 1. Nabil El Haggar ; 2. Robert Rapilly ; 3. Jacqueline Deville ; 4. Anne Lefevre ; 5. Patrice Vandemæle ; 6.
Christiane Vernay.
Hellemmes sécurité.- 1. Anne Coolzæt ; 2. Pierre Lestienne ; 3. Françoise Coolzæt.

Nabil El Haggar et sa liste citoyenne ont provoqué un séisme en ébranlant 24 ans d’hégémonie socialiste. Rencontre avec celui qui fit vaciller B. Derosier...
UN QUESTIONNEMENT incessant a toujours habité Nabil El Haggar. " J’ai toujours été sensible au monde dans lequel je vis, j’ai toujours tenté de le comprendre et de ne pas le subir ". Il est des naissances qui déterminent des existences...

Regard critique
D’origine palestinienne, Nabil El Haggar est né il y a quarante-sept ans dans un camp de réfugiés en Jordanie. Il poursuit en France de brillantes études scientifiques et obtient un poste d’assistant à Lille 1 pendant sa thèse. Il commence ainsi sa carrière d’enseignant chercheur en mécanique, tout en portant un regard constamment critique sur la vie universitaire. La place de la science dans la société, celle de l’homme, la sienne, sont autant de questions sans réponse qui le poussent en 88 à prendre... un congé sans solde pour partir deux ans faire du théâtre avec une troupe de Jérusalem. Le brillant universitaire se retrouve comédien sur les scènes du monde entier, jouant son propre rôle. Car la pièce écrite par des amis s’inspire de son histoire. Le succès l’amène à passer à l’écriture d’une autre production dans laquelle il joue le rôle d’Omar Khayam, un scientifique philosophe du XIIe siècle...
Une projection qui ramène Nabil El Haggar à ses activités d’enseignant chercheur. On est en 90, une échéance électorale pour la présidence de l’université.
On lui propose d’entrer sur une liste en vue d’élaborer un projet culturel pour l’université qui n’en a pas. Nabil El Haggar devient vice-président de Lille 1 chargé de la culture. " Ce fut ma première occasion de partager mes interrogations et mon désir de mettre à disposition de tous des moyens supplémentaires afin que chacun puisse avoir sa propre vision du monde ". Depuis 92, parallèlement à sa fonction d’enseignant, Nabil El Haggar mène ainsi un véritable projet politique culturel considéré comme exemplaire en France et reconnu comme unique au monde par la conférence mondiale de l’enseignement tenue par l’UNESCO en 98. Les Rendez-vous d’Archimède chaque mardi permettent au plus grand nombre d'accéder à la maîtrise des savoirs et des connaissances. " Je pense que les gens simples peuvent comprendre des choses difficiles, je suis absolument contre le nivellement par le bas ".
De l’université, centre culturel de la cité et force de réflexion, à Hellemmes, les choses ne sont pas si éloignées. C’était il y a cinq ans, Nabil El Haggar qui habitait un appartement à Lille cherche une maison et la trouve à Hellemmes. " J’ai découvert une ville en dehors de tout mais située à 500 m de Lille, un "No politic land" avec un consensus insupportable, un urbanisme abandonné au siècle dernier et pour toute modernité, le chômage et l’absence de lien social. Et puis l’absence de dialogue qui est une vraie forme de mépris, le mépris des associations qui se montaient contre certains projets et qu’on continuait d’ignorer ".

De CHIC aux Gens
Nabil El Haggar décide alors il y a trois ans d’organiser l’associatif et co-fonde avec quelques amis un collectif qui a pour objet de relayer les habitants isolés. Le collectif CHIC organise de nombreuses manifestations et sort un petit journal Les Gens d’ici où l’on parle des problèmes. " Début 2000, nous avons eu un débat entre amis sur le rôle que pouvait jouer le monde associatif dans une échéance électorale. Nous étions divisés et il nous a fallu un an pour convaincre les plus dégoûtés de la politique d’entre nous. La liste des Gens d’Hellemmes n’est pas une liste de contestation mais le résultat d’un travail de terrain et d’une longue réflexion sur ce que c’est de faire de la politique ".
Sans moyens, les Gens d’Hellemmes passent des nuits blanches à relire collectivement le riche contenu des sept bulletins qui vont sortir. " Nous avons des regards très divers mais partageons la même volonté de réinventer la commune ". Comment ? " En imposant une autre méthode de travail et en instaurant le principe de respect comme règle inébranlable dans le fonctionnement du conseil communal d’Hellemmes. En proposant un contrat de travail, projet par projet, avec des échéances à court, moyen et long terme ainsi qu’un travail de bilan transparent sur tous les points de la vie publique hellemmoise. Nous allons obliger Hellemmes à rester en campagne durant six ans ". D’ailleurs, le n°8 du bulletin des Gens d’Hellemmes va sortir. Nabil El Haggar sait depuis dimanche qu’il peut compter sur 2000 Héllemmois mo-bi-li-sé-e-s.

Et la démocratie ?
Comment ne pas revenir sur le climat délétère qui a présidé toute la campagne électorale de la liste Des Gens d’Hellemmes ? Les témoignages sont édifiants. Et terrifiants comme les fantômes d’un autre âge politique ressurgissant en ce début du 3e millénaire...
Nabil El Haggar est un homme qui se souvient particulièrement bien des dates. Le 5 mars par exemple. Lors d’un meeting de Bernard Derosier, en présence de Pierre Mauroy et de Martine Aubry, le président du conseil général évoque les Gloglos que sont pour lui les Gens d’Hellemmes. Dans la salle, personne ne bronche. Soit, dimanche soir, Bernard Derosier salua leur score et alors qu’il était sifflé par la foule il fit amende honorable : " Je me reconnais comme un gloglo ce soir ".
Et puis il y a eu cet incroyable tract de la section socialiste d’Hellemmes qui évoquait " des gens d’ailleurs ".
Sans oublier les " dénigreurs " ou encore les " terroristes intellectuels ". Ou encore les insultes, particulièrement à l'encontre des colistières de Nabil El Haggar, alors qu’elles distribuaient leur bulletin sur le marché.
Et la démocratie dans tout ça ? Nabil El Haggar regrette aujourd’hui amèrement le comportement du monde politique lillois " qui a toujours fait semblant de ne pas savoir ce qui se passait à Hellemmes ".

	PS-PC	Verts	RPR-UDF-DL	FN	RPF	div.gauche et extr.gauche
Lille (mun.)	34,53%	15,52%	22,02%	11,54%	4,66%	11,73% (4 listes)
Hellemmes (mun.)	38,13%	13,26%	10,7%	16,94%	5,5%	15,46% (4 listes)
Hellemmes (com.)	38,48%	12,91%	8,08%	15,41%	6,45%	18,68% (1 liste)