Pierre-Yves Lambert, La participation politique des allochtones en Belgique - Historique et situation bruxelloise, Louvain-la-Neuve, Academia-Bruylant (coll. Sybidi Papers), juin 1999,  122p., ISBN 2-87209-555-1
avertissement: cette version en ligne ne correspond pas exactement à l'ouvrage publié en 1999, qui reste disponible chez l'éditeur Academia-Bruylant, de même que d'autres dans l'excellente collection Sybidi Papers, elle ne peut donc être utilisée pour les citations 

Sommaire -  Introduction -Chapitre I - Chapitre II - Chapitre III - Chapitre IV - Chapitre V -  Conclusions - Sources

(ce texte ne fait pas partie de l'ouvrage de 1999)

IV. 4. 3. Polémique sur le "stemblok ethnique" et la réforme du mode de scrutin régional bruxellois

Pierre-Yves Lambert 

décembre 2001

Une réforme de la loi pour les élections communales, provinciales et européennes en juillet 2000 a diminué de moitié l'influence du vote de liste sur l'ordre des candidats, renforçant donc les effets des votes préférentiels (à titre de comparaison, voir l'ancien système). Etant donné qu'il est possible de voter pour autant de candidats qu'on veut sur une même liste et que d'un autre côté lors des élections communales d'octobre 2000 de nombreux candidats issus des minorités allochtones (Marocains, Turcs, Congolais) ont été élus alors qu'ils ne figuraient pas dans les meilleures places sur certaines listes, certains "analystes électoraux" autoproclamés, surtout à Ecolo (voir document interne) et au Parti Socialiste, en ont déduit que "les Marocains votent pour les Marocains" etc., et qu'on assistait à des phénomènes de "vote ethnique", voire de "stemblok ethnique", sans d'ailleurs préciser s'il s'agissait d'une stratégie des électeurs ou des candidats. Déjà aux régionales de 1995 un élu sortant autochtone menacé de perdre son siège au profit d'une colistière d'origine marocaine (une juriste travaillant dans un cabinet ministériel, pour être précis) avait suggéré devant plusieurs personnes que "les Marocains voteraient pour un âne du moment qu'il porte un fès"...

Le "stemblok" (stem = voix, vote) est une technique typiquement bruxelloise qui consiste à appeler à voter non pas pour un candidat mais pour toute une série de candidats, sur une liste ou dans un autre type de scrutin (les "polls" internes des sections PS ou de la régionale Ecolo par exemple), afin d'être sûr de faire passer un maximum de candidats d'une tendance (ou d'un groupe linguistique, dans les listes linguistiquement hermaphrodites pour les communales en région bruxelloise) en empêchant par la même occasion les candidats de l'autre tendance d'être élus.

Un tel phénomène a pu être observé sur la liste PRL dans la commune bruxelloise d'Uccle, où un candidat-bourgmestre (en Belgique, le bourgmestre est proposé à la nomination ministérielle par le conseil communal en son sein, sauf exceptions rarissimes) a réussi en 2000 à faire en sorte que ses partisans soient majoritaires parmi les élus alors qu'ils étaient minoritaires dans la section, qui avait dès avant les élections désigné un autre candidat-bourgmestre. Toutefois, il s'agit d'un cas assez exceptionnel, en général chaque candidat appelle les électeurs à voter exclusivement pour lui, ou éventuellement pour un notable (le bourgmestre en place p.ex.) et pour lui.

Par contre, il est exact qu'avant les élections communales de 2000 les partis flamands et la presse régionale flamande (Brussel Deze Week e.a., un hebdomadaire gratuit diffusé gratuitement dans les foyers flamands de la région avec les deniers publics) ont publié les listes de candidats flamands sur les différentes listes, appelant implicitement les électeurs flamands à voter pour ces candidats. C'est une autre question de savoir si cette stratégie a été rémunératrice en termes de mandats, en 2000 elle l'a été plus qu'en 1994 semble-t-il. Mais il faut tenir compte aussi du "vote femmes", une pratique qui consiste à voter pour (toutes) les femmes d'une liste, il y a donc parfois aussi eu cumul d'effets "stembloks".

La loi du 27 décembre 2000 (Moniteur belge du 24 janvier 2001) a modifié la loi électorale dans le même sens pour les élections fédérales (Chambre et Sénat), ainsi que pour le Parlement de la Communauté germanophone. Un "Projet de loi visant à réduire de moitié l'effet dévolutif des votes exprimés en case de tête et à supprimer la distinction entre candidats titulaires et candidats suppléants pour l'élection du Conseil flamand, du Conseil régional wallon et du Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale" a quant à lui été voté par la Chambre le 8 mars 2001 et par le Sénat le 5 juillet 2001. Le nombre de sièges au parlement régional bruxellois a quant à lui été augmenté de 75 à 89 pour satisfaire certaines exigences flamandes Dans le même temps, les listes séparées de suppléants ont été supprimées, ce qui signifie que désormais les suppléants seront les candidats non élus ayant eu les meilleurs scores en votes préférentiels (même si les votes de liste conserveront une influence pour la désignation de ces suppléants).

Aux régionales de 1999, le nombre d'élus d'origine maghrébine est passé de 4 (depuis 1995) à 8, mais de 3 à 4 au sein du groupe PS, qui perdait pourtant globalement des sièges. Avec le système tel que réformé en 2001 (en restant à 75 élus) il y aurait eu encore au moins un élu allochtone supplémentaire au PS, d'origine turque cette fois, un autre élu actuel aurait perdu son siège au profit d'une femme, et cinq parmi les sept premiers suppléants auraient été d'origine marocaine ou algréienne, alors que tous ceux de la réalité, choisis par leur parti, étaient des Belges autochtones "pure laine", comme disent les Québécois: Mohamed Ghali, dont le nom figurait sur la liste initiale des suppléants, avait carrément été éliminé de la liste avant son dépôt formel.

Tant à Ecolo qu'au PS, certains esprits ont donc commencé à cogiter, et ont accouché d'un amendement (voir page à ce sujet) déposé au sénat pendant la discussion sur la réforme électorale par Marie Nagy, députée régionale bruxelloise Ecolo en 1989-99, sénatrice fédérale depuis lors. Rejeté, cet amendement fut transformé en proposition de loi présentée cette fois-ci par Marie Nagy, François Roelandts du Vivier (FDF, ancien eurodéputé Ecolo), Frans Lozie (Agalev), et Philippe Moureaux, président de la Fédération bruxelloise du PS, bourgmestre de Molenbeek où les candidats d'origine marocaine sur sa "liste du bourgmestre" PS+SP+PSC+CVP ont raflé 8 sièges sur 18, mettant à la retraite certains mandataires locaux "autochtones" qui étaient vissés sur leurs sièges et leurs jetons de présence, sans oublier les "mandats dérivés" dans les organismes inter- et intracommunaux. Certains au PS de Molenbeek ont demandé après-coup, sans succès, que la section de leur parti soit scindée en deux, une pour le "haut" de la commune (plutôt "autochtone"), une pour le "bas" (majoritairement allochtone)... Cela n'est pas sans rappeler certaines suggestions saint-gilloises d'il y a dix ans.

L'exposé des motifs de cette proposition de loi est explicite:

"La présente proposition de loi a pour objet de limiter à trois le nombre de voix de préférences que peut exprimer chaque électeur, afin de prévenir les effets néfastes tant sur la stabilité politique de l'assemblée que sur les tensions prévisibles entre colistiers. On respecterait ainsi la volonté du législateur de permettre à l'électeur de voir traduite sa préférence personnelle pour un candidat précis, tout en empêchant des manoeuvres destinées à former un sous-groupe de taille déterminante au sein d'une liste."

Pour le moment, il n'y a pas à proprement parler de débat sur ces questions parce qu'il est étouffé par les "analystes électoraux", par contre des initiatives ont été prises pour juguler cette "déferlante ethnique", dont la proposition Nagy, Moureaux et consorts, adoptée par le Sénat (voir la proposition, sa discussion, et le vote final). Toute contribution au débat est la bienvenue, y compris des réflexions à partir de situations étrangères. Une ébauche de débat est accessible sur ce site.

Pierre-Yves Lambert


amendement Nagy

proposition de loi Nagy, Moureaux et consorts

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